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Métier : prostitution ? Des questions légitimes
La prostitution, un choix de carrière pour nos enfants ?

19 octobre 2004

par Johanne St-Amour

Dans l’édition du journal "Le Devoir" du samedi 25 et dimanche 26 septembre dernier, les représentantes du groupe Stella citaient le sociologue reconnu Richard Poulin ("Le Devoir", Page Idées, 13 septembre 2004) hors contexte et l’accusaient de les injurier. Pour elles, Monsieur Poulin escamotait le vrai débat et passait à l’injure personnelle. Mais les militantes de la décriminalisation de la prostitution veulent-elles vraiment un débat ou se croient-elles les seules aptes à décider et à influencer les décideurs sur ce sujet ? Elles prétendent également que Monsieur Poulin s’oppose à l’existence de leur groupe. Personne ne contestera la légitimité de recevoir de l’aide financière du Réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) et même un prix d’excellence pour souligner la contribution d’un organisme à la prévention, la promotion et la protection de la santé et du bien-être des personnes, mais il est pertinent de se demander si le RSSS cautionne aussi le volet "propagande de la décriminalisation de la prostitution" via ses subventions à l’organisme ? Autrement dit, nos impôts servent-ils à promouvoir la décriminalisation de la prostitution ? Mes demandes répétées auprès du MSSS sont, sur ce point, demeurées lettre morte.

Je reçois beaucoup de messages sur le supposé droit "privé" d’une minorité de prostitué-es à pratiquer légalement la prostitution mais je n’ai pas beaucoup d’échos de la part d’opposant-es, la plupart des féministes, entre autres, ayant abdiqué. Souvent, l’information des différents médias table sur le sensationnalisme ou ne montre qu’un côté de la médaille, et fait table rase de toutes les implications sociales de la décriminalisation de la prostitution sur toute la société. En tant que citoyenne ordinaire, je soumets aux militantes de la décriminalisation de la prostitution des questions qui me préoccupent et qui préoccupent beaucoup de personnes de mon entourage. Au risque de me faire répliquer que je manque totalement d’ouverture, de me faire dire que je suis une hypocrite qui nie et méconnaît le milieu prostitutionnel, de me faire culpabiliser ou intimider, voici ces interrogations qui, à mon avis, viendraient alimenter le débat.

D’un point de vue philosophique, votre occupation donne-t-elle un sens à votre vie, à la vie de la communauté, à la vie de la société ? Gagner sa vie en se prostituant, légalement ou non, permet-il d’après vous aux préposé-es du sexe de découvrir leurs talents, leurs intérêts spécifiques et de les développer ? Cela leur permettrait-il réellement de découvrir leurs nombreuses aptitudes ? Pourriez-vous être plus précises sur les motivations profondes qui vous guident en ce sens ? La prostitution étant étroitement associée à la violence, à la domination masculine, aux milieux criminels, à la traite des femmes et d’enfants, à l’exploitation économique, psychologique et sociale, pourquoi militez-vous pour sa décriminalisation alors que dans les pays où elle l’a été, ces facteurs ont augmenté ? La décriminalisation de la prostitution apportera-t-elle l’espoir d’une vie meilleure à toutes les femmes, à tous les hommes ?

D’un point de vue psychologique et sexuel, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi tant d’hommes, puisqu’ils représentent massivement votre clientèle, ressentaient le besoin d’un rapport sexuel dominant et à sens unique ? Êtes-vous prêtes à accepter le fait que des personnes désirent entrer en communication d’une façon différente avec ces hommes et aient donc un point de vue totalement différent du vôtre sur la pertinence de la décriminalisation comme facteur d’amélioration des rapports de communication égalitaires ? Et en ce sens votre mari, conjoint, copain, petit ami ou chum s’offre-t-il les produits des prostitué-es et autres préposé-es du sexe ? Sinon, si l’envie lui en prenait, vous y objecteriez-vous ? Et votre père, votre frère et votre fils ? Pourriez-vous me tracer un portrait de votre client-cible : Quel âge a-t-il ? Qui est-il ? Quel est son statut marital, professionnel, social et psychologique ? Combien gagne-t-il ? Quels sont ses autres intérêts ? Sait-il qu’il cautionne les milieux criminels ? Sait-il que ses amis sont peut-être en train en ce moment même de payer les services sexuels offerts par se-s propre-s fils-filles ? Êtes-vous prêtes à faire une liste de vos clients ainsi que de leurs caractéristiques ? Avez-vous un dossier sur chacun ?

Dans l’éventualité où la prostitution serait totalement décriminalisée, élaborerez-vous un code de déontologie ? Ces frais que déboursent vos clients pourraient-ils éventuellement être couverts par leurs assurances ? Selon des préposé-es, les services rendus remplaceraient avantageusement les conseils d’un psychologue. Qu’en pensent les psychologues professionnel-les ? Pourquoi les militantes de la décriminalisation de la prostitution et les clients qui paient pour satisfaire leurs désirs sexuels n’encouragent-ils pas une libération sexuelle basée sur des rapports non monnayables ? Croyez-vous que les clients et les proxénètes consentiraient, eux aussi, à se prostituer ? Et sinon, pourquoi ? Pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous êtes les seules à monter aux barricades afin de réclamer la décriminalisation de la prostitution et qu’on n’y voit jamais les clients et les proxénètes ? Êtes-vous conscientes que vous répondez aux désirs (et non pas aux besoins) d’une partie seulement de la population, je le répète, votre clientèle étant exclusivement masculine ?

Pourriez-vous être plus explicites sur des conditions futures d’emploi ? Les avantages sociaux et marginaux seraient-ils attrayants pour les jeunes filles et les jeunes hommes à qui on désirerait vendre les avantages reliés à ces emplois ? Aurez-vous droit à des indemnités de maladie, des conditions sociales acceptables, un plan de retraite équitable ? D’autant plus que vous n’êtes pas sans savoir que la retraite est très jeune dans ce domaine. Advenant la décriminalisation de la prostitution, prévoyez-vous une baisse du travail au noir dans ce domaine ? Entendez-vous promouvoir la syndicalisation des employé-es ? Entendez-vous établir un ordre professionnel ?

À quand les écoles du sexe pour nos filles et nos garçons ? L’élaboration des diplômes, des choix de cours, des matières obligatoires, des compétences transversales, des cours de rattrapage, des cours de mise à niveau ? J’imagine que vous savez que ça existe dans d’autres pays. En tous les cas, vous avez toute la clientèle cible parfaite à la CSDM, la pauvreté y étant très présente. Je connais aussi des secteurs potentiels dans le quartier St-Roch à Québec. Quoique la propagande effrénée, intense et universelle des dernières années a conquis d’autres milieux moins pauvres, mais malheureusement plus jeunes, et donc la prostitution
n’a plus de secret pour ces nouveaux et nouvelles jeunes préposé-es potentiel-les . Quelles illusions croyez-vous qu’il soit possible d’entretenir auprès de ces personnes ? Prévoyez-vous un taux de décrochage élevé dans ce nouveau domaine d’apprentissage ? Si ce n’est déjà fait, entendez-vous promouvoir auprès de vos fils les plaisirs de se payer les services sexuels d’un homme, d’une femme ? Allez-vous aussi promouvoir auprès de vos filles, nièces et petites voisines (et de vos fils, neveux et petits voisins, bien sûr), les avantages d’un choix de carrière dans le domaine de la prostitution et autres domaines connexes ?

Socialement, avez-vous déjà entretenu des liens privilégiés avec la prostituée préférée de votre conjoint, de votre frère ou de votre fils ? Votre mari, votre frère ou votre fils savent-ils que vous vous prostituez et sinon pourquoi en attribuez-vous le silence au manque d’ouverture des gens ? Votre mari, votre frère, votre fils seraient-ils d’accord que leurs propres enfants se prostituent ? La décriminalisation éventuelle de la prostitution les amènera peut-être à rencontrer leurs fils-filles, leurs neuveux-nièces, leurs voisins-voisines lors de leur prochain échange sexuel commercial, croyez-vous qu’ils en soient conscients ? Comment réagiront-ils ? Pourquoi les autres femmes sont-elles devenues les nouvelles cibles à combattre alors que la violence vient de vos clients, des proxénètes, de certains policiers, selon vos dires ? Je m’explique très mal le fait que vous désiriez valider ces personnages centraux qui vous agressent et que vous accusiez les femmes qui désirent un rapport plus démocratique avec tous les hommes. La décriminalisation réussira-t-elle vraiment à enrayer la violence dans le milieu et à faire émerger des liens plus égalitaires ?

Monsieur Richard Poulin est une des rares personnes au Canada à faire des recherches universitaires sur la question de la prostitution. Ses nombreuses recherches très documentées nous confrontent aux dures réalités de la problématique actuelle de la prostitution, de la traite des femmes et des enfants, à la violence et aux conséquences désastreuses de la prostitution pratiquée même légalement. Comprenez-vous que les réticences de plusieurs personnes à la décriminalisation de la prostitution ne dépendent pas de leur manque d’ouverture mais proviennent de leurs besoins d’analyser toutes les implications, et que, d’emblée, cela ne leur apparaisse pas comme un projet de société enrichissant et profitable pour l’ensemble de la collectivité ?

Je comprends qu’il puisse être plus facile de légaliser un fait de société plutôt que de le combattre mais à ce titre devrons-nous aussi légaliser la pauvreté, la guerre, la pollution ? Je comprends également l’impasse dans laquelle se trouveraient plusieurs prostitué-es et la difficulté qu’elles auraient à trouver une valorisation, mais doit-on engager l’avenir de toute une société à cause de ces difficultés ou ne devrait-on pas plutôt tenter de dénouer ces impasses et de rechercher des solutions créatrices à leurs problèmes ? D’autant plus que, selon une étude du Conseil du statut de la femme, 92 % des personnes prostituées aimeraient quitter ce milieu, si on leur en donnait les moyens. Le groupe Stella représente-t-il aussi ces personnes ? Au fait, combien de personnes Stella représente-t-il ?

 Lettre de Stella au Devoir, le 20 septembre 2004.
 Voir l’article de Richard Poulin ici.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 octobre 2004.

Johanne St-Amour

P.S.

 Lire également : Une étude dresse le portrait des prostitueurs ou clients de la prostitution. Les motivations sont diverses.




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