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« La mondialisation des industries du sexe » : des faits aux valeurs

15 novembre 2004

par Pascale Camirand, éthicienne et féministe

Dans « La mondialisation des industries du sexe », paru récemment chez l’Interligne, Richard Poulin dresse un portrait sociologique de la traite des femmes et des enfants pour fin de prostitution. Il approche aussi le monde de la pornographie. Son analyse est celle d’un sociologue qui s’oppose au néo-libéralisme et au patriarcat. Il s’agit donc aussi d’un ouvrage militant. La position de l’auteur est fermement abolitionniste.

Poulin nous instruit d’abord au sujet des données statistiques touchant les mouvements de population dans le système prostitutionnel. Je suis estomaquée par les chiffres : des millions de femmes et d’adolescent(e)s sont vendu(e)s par des proxénètes et des tenanciers de bordels. Poulin nous parle du tourisme sexuel, des liens entre l’essor des milieux de la prostitution et les conflits armés, des agences internationales de rencontre et de mariage par correspondance. L’auteur nous explique ce que sont les liens structurels entre les milieux prostitutionnels, les milieux du crime organisé et les gouvernements complices. Se dévoile tout au long de ce portrait un monde de violence et d’abus, de déshumanisation, de chosification du corps et de la sexualité des femmes et des enfants.

Les liens systémiques entre le phénomène de la traite, celui de la prostitution et celui de la pornographie sont éclairés par l’analyse féministe radicale et marxiste de l’auteur. Nous sommes devant la marchandisation des corps féminins et des corps adolescents. Commercialisation des corps sexuels, « échanges de marchandise », transactions financières, domestication des corps violés et battus, dépersonnalisation, aliénation. Voilà ce qui anime l’industrie mondiale du sexe. Une industrie en pleine expansion, légalisée dans plusieurs pays et accompagnée par la non moins foisonnante industrie de la pornographie.

Pour Poulin il est clair que nous sommes devant un système économique de type capitaliste et néo-libéral. Le libéralisme économique de la mondialisation des marchés a permis l’expansion de cette industrie lucrative qui exploite le corps des femmes et des enfants au nom de la dominance masculine. Le dernier chapitre de l’ouvrage nous placera, en effet, devant les arguments des défenseurs et défenderesses de la légalisation de la prostitution. Des arguments tournant autour des notions de choix, de liberté, de droit à l’autodétermination. Richard Poulin réplique. Pour lui, il s’agit d’une « novlangue » qui maquille l’oppression en pseudo-liberté, une « novlangue » créée à l’image des valeurs marchandes de l’industrie du sexe. Et cette « novlangue », c’est celle du libéralisme économique,

Le livre de Poulin nous apprend que des êtres humains, en très grand nombre, utilisent la vulnérabilité économique de d’autres êtres humains pour faire des profits en exploitant leur corps et leur sexualité. L’étendu du phénomène de la traite et des mécanismes d’assujettissement des corps nous rappelle que l’humain, souvent, détruit l’humanité chez l’autre et en lui-même. La déhumanisation du corps sexuel est de toutes les déshumanisations la plus intime et la plus profonde. Faire des corps sexuels des marchandises, des objets, blesse notre humanité plus que tout. Le livre de Poulin fait émerger une exigence : celle du respect de la dignité et de l’intégrité du corps sexuel des personnes, des femmes, des enfants.

L’ouvrage a le mérite d’offrir une analyse rigoureuse du système complexe des industries du sexe. Les données statistiques et l’exposition de faits ne manquent pas. Ne manquent pas non plus les prises de positions politiques. Cependant, des pans du dossier de la prostitution et de la pornographie restent trop peu approchés. Telle la question des législations à travers le monde. Telle celle aussi du discours théorique des mouvements abolitionnistes qui militent contre la traite des femmes et des enfants. Il importe de passer judicieusement des jugements de faits aux jugements de valeur, même en sociologie. Or, le dossier de la prostitution ne peut faire l’économie d’une évaluation éthique et juridique des éléments non factuels du dossier, c’est-à-dire des éléments idéologiques qui relèvent de la réflexion philosophique sur le phénomène. Ce n’était pas l’objet de l’ouvrage, certes. Ces aspects sont abordés au détour, même dans le chapitre qui traite du libéralisme.

Je souhaiterais simplement rappeler que des batailles comme celle de l’abolition de la prostitution exigent un argumentaire approfondi concernant les valeurs visées, des valeurs qui concernent ici l’épanouissement sexuel de l’être humain.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 novembre 2004

Pascale Camirand, éthicienne et féministe

P.S.

Suggestions de Sisyphe

Écoutez l’entrevue du 14 novembre 2004, Le sexe, une industrie,
Joël Le Bigot reçoit Richard Poulin

Écoutez l’entrevue de Richard Poulin à l’émission Indicatif présent, 18 novembre 2004.

Dans Le Devoir et dans La Presse du 10 novembre 2004, deux entrevues avec le sociologue Richard Poulin.




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