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Le débat sur la souveraineté à Option citoyenne

23 novembre 2004

par Élaine Audet

Photo : Claude Lacasse

Après avoir affirmé publiquement leur prise de position en faveur de la souveraineté, Françoise David et le comité de coordination ont dû retirer leur proposition en ce sens lors du récent congrès d’orientation d’Option citoyenne. Une majorité (présente au congrès) a refusé d’adopter une telle position. Personne, semble-t-il, n’avait pu prévoir un tel retournement parce que, lors de la tournée de Françoise David à travers le Québec, la plupart des quelque 1 000 membres s’étaient déclaré-es en faveur de la souveraineté. On peut cependant se réjouir que l’assemblée générale ait entériné l’option féministe, qui ne faisait pas non plus consensus.



Plusieurs questions se posent sur les raisons d’une telle difficulté à obtenir un vote majoritaire sur des enjeux aussi fondamentaux, pour la réalisation d’un projet de justice sociale, que la lutte contre l’oppression spécifique des femmes et du peuple québécois. Alors que les propositions du comité de coordination parlent seulement d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes, pourquoi ont-elles "été perçues par plusieurs comme un empêchement à une mobilisation large de citoyennes et de citoyens en quête d’une réelle alternative politique" ? Voudrait-on, au nom d’une telle mobilisation, laisser le champ libre à des courants qui rêvent de remettre les femmes à leur place, hors des écoles, des lieux de travail et des parlements, de maintenir l’iniquité salariale et de perpétuer le laxisme actuel envers la violence contre les femmes et les enfants ? Sinon, pourquoi tant de réticences à adopter une option qui s’élève contre ces injustices ?

La reconnaissance du Québec comme nation

Le refus de prendre position sur une question aussi essentielle que la souveraineté est d’autant plus étonnant que le document préparatoire remis aux membres par le comité de coordination fournissait une analyse très claire de cette question. On pouvait y lire une définition de la situation du Québec en tant que "nation formée à partir d’une histoire et d’une culture particulière, y compris une langue commune, le français, qui doit disposer de tous les moyens nécessaires à son développement politique, économique, culturel et social".

Le comité de coordination fait valoir qu’il serait difficile, voire impossible, pour Option citoyenne de réaliser son projet social si le Québec ne possède pas tous les leviers de pouvoir nécessaires à la réalisation de ses objectifs. Il lui semble aller de soi qu’une véritable indépendance du Québec est indissociable d’un projet de société fondé sur la justice sociale et un partage équitable de la richesse, bref sur la défense prioritaire du bien commun. Les auteur-es du document affirment "la nécessité de lier question nationale et projet social, même si la question nationale existe aussi par elle-même compte tenu de l’histoire et de la culture du peuple québécois".

En entrevue, Françoise David soutient qu’Option citoyenne n’est pas divisée. Selon elle, ce n’est qu’une question de temps pour que cette position obtienne l’approbation de la majorité. Il s’agirait simplement d’un processus normal de réflexion qui montrera que le contenu qu’Option citoyenne entend donner à un Québec indépendant n’a rien à voir avec une souveraineté fondée sur la mondialisation néolibérale, comme le prônent Bernard Landry et d’autres dirigeants du PQ.

L’impossibilité d’un "fédéralisme asymétrique"

Il semble toutefois que plusieurs membres d’Option citoyenne croient encore en un « fédéralisme radicalement renouvelé », même si toute l’histoire du Québec démontre l’inanité d’une telle position et le refus constant du gouvernement fédéral et des autres provinces de céder quelque pouvoir que ce soit au Québec. On se souvient que les propositions minimales du Lac Meach avaient été jugées dangereusement radicales ! Le document préparatoire du congrès d’orientation, "Pour un Québec souverain", dénonce à juste titre cette situation en rappelant les interminables et infructueuses démarches du gouvernement québécois pour obtenir des pouvoirs additionnels et des politiques asymétriques, le simple respect de ses champs de compétence et des mesures concrètes pour rétablir l’équilibre fiscal.

Qu’on songe à la Loi sur la clarté qui prouve que jamais le Canada n’accèdera au désir d’autodétermination du peuple québécois. Qu’on se rappelle également le scandale des commandites, le rapatriement des congés parentaux, les bourses du millénaire et tant d’autres exemples d’ingérence inadmissible. Que dire de l’impossibilité où est le Québec d’avoir une influence sur la politique étrangère, en particulier face aux États-Unis, dont les interventions militaires et économiques, au mépris total de l’écologie, mettent de jour en jour la paix et l’avenir du monde en danger ?

Pour Françoise David et le comité de coordination, l’avènement d’un Québec indépendant ayant pour objectif de réaliser la justice sociale, la répartition équitable de la richesse, le développement de la culture québécoise et la défense du bien commun, pourrait constituer "un rempart contre une mondialisation qui vise à homogénéiser les économies, les institutions politiques et les cultures".

Se donner les moyens de ses choix

À moins de croire que les personnes qui ont voté le 14 novembre lors du Congrès d’orientation ne sont pas représentatives de l’ensemble des membres d’Option citoyenne, il est difficile de comprendre pourquoi, après les soixante dernières années d’échec à rapatrier les pouvoirs au Québec, ils sont encore autant à refuser de voir que "le Québec doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires à son plein développement aux plans social, économique, culturel et politique" et à n’avoir pas constaté que "le cadre fédéral actuel ne le permet pas et [qu’]aucun parti politique pancanadien ne propose une redéfinition radicale du fédéralisme permettant au Québec d’avoir les moyens de ses choix". Les déclarations de Jack Leighton, chef du NPD, lors des dernières élections, ne devraient plus laisser de doutes quant à une reconnaissance de pouvoirs asymétriques au Québec de la part d’un parti dit "progressiste". Un mirage que, depuis Trudeau, on agite devant les Québécois à chaque élection et qu’on oublie le lendemain de la victoire des partis fédéralistes.

Il faut espérer qu’Option citoyenne mènera rapidement à bien sa réflexion sur cette question pour se consacrer à l’unification de la gauche en participant aux luttes citoyennes contre la pauvreté, l’exclusion, la violence envers les femmes et pour la sauvegarde de l’environnement et de la paix. En l’absence d’un mode de scrutin proportionnel, il sera sans doute possible, comme le déclarait récemment Pauline Marois, de réaliser des ententes stratégiques réciproques avec le PQ lors des prochaines élections permettant ainsi l’élection éventuelle de candidat-es de gauche tout en assurant la défaite du parti libéral. Il reste quelques années à Option citoyenne et à un futur parti de la gauche unifiée pour bâtir un rapport de force suffisant pour permettre la réalisation d’un tel objectif.

En attendant, il y a tout lieu de se réjouir de la naissance d’un parti qui entend donner une place égale aux femmes dans ses instances comme dans la société et dénoncer tous les rapports de domination fondés sur le sexe, la classe sociale, la race et la nation. Dotée d’un charisme exceptionnel, Françoise David est capable d’expliquer simplement les réalités les plus complexes. Elle a fait ses preuves à la tête de la Fédération des femmes du Québec et milite depuis plus de 35 ans pour les valeurs qu’elle défend aujourd’hui. Ses qualités éprouvées de rassembleuse font d’elle une des personnes les plus capables de réaliser l’unité des forces progressistes pour "changer les choses", comme on le chantait déjà lors de la Marche du pain et des roses.

Source :

Documents du Congrès d’orientation d’Option citoyenne à Québec, du 12 au 14 novembre 2004.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 novembre 2004.

Élaine Audet


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