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L’approche sociétale renvoie à la symétrisation
Extrait du mémoire présenté à la Commission parlementaire sur l’égalité

9 février 2005

par la Centrale des syndicats du Québec

Extrait du mémoire de la CSQ intitulé « Le leurre de l’acquis : le patriarcat et la discrimination systémique perdurent au Québec », présenté à la Commission des affaires sociales qui étudie l’Avis du Conseil du statut de la femme, « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes ».



Les approches spécifiques en condition féminine ont, selon le CSF, montré leurs limites. À preuve les inégalités persistent. En conséquence, il faut franchir un pas de plus et adopter l’approche sociétale. « Il s’agit d’accentuer le travail visant à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes un enjeu socialement partagé, en intégrant davantage les hommes comme sujets et acteurs, et en interpellant et mobilisant les diverses composantes de la société » (1).

Approche intégrée de l’égalité

Cette proposition du CSF est l’expression tangible de ce qu’est l’approche intégrée de l’égalité. Conscient des dérives possibles liées à une telle approche, le CSF propose quelques faibles balises, notamment de confier à des entités gouvernementales compétentes le « devoir de répondre aux besoins des hommes et des femmes et de fournir des services adéquats et adaptés à l’ensemble de la population » (2). Le Conseil prévoit aussi des études et des recherches et l’obligation d’inscrire la collaboration avec les hommes et les garçons « dans le contexte global de la promotion de l’égalité des sexes ».

Il juge aussi nécessaire d’ajouter ceci : « Il ne s’agit pas non plus de redistribuer les ressources actuellement consacrées aux femmes vers des actions ciblant les hommes, mais plutôt d’ajouter des ressources pour entreprendre des actions qui agissent à la racine des inégalités entre les hommes et les femmes » (3).

Cet ajout ne rassure pas la CSQ, car au-delà des bonnes intentions, nous observons que l’approche sociétale nous renvoie à la symétrisation des actions, des politiques et du financement gouvernemental entre les femmes et les hommes. Pour notre part, nous craignons que l’adoption d’une telle approche mette en péril l’ensemble des programmes d’accès à l’égalité et les politiques mises en place pour éliminer la discrimination systémique.

Les thèmes sur lesquels il conviendrait de travailler dans cette perspective sociétale sont, notamment, la lutte aux stéréotypes sexistes, la conciliation travail-famille, la lutte à la violence conjugale, le partage du pouvoir économique et politique. Si l’ensemble de ces questions interpelle l’ensemble de la société québécoise, il convient de rappeler qu’elles sont l’expression de rapports de pouvoir fondés sur le patriarcat et que la variable « sexe » sert de vecteur à l’oppression.

Les femmes travaillent déjà avec des hommes

Le CSF en appelle à la mobilisation des hommes qui pourraient travailler dans des comités mixtes à des dossiers spécifiques et aux acteurs sociaux, les « partenaires de l’égalité du gouvernement et du mouvement des femmes qui se sont engagés à un moment ou à un autre dans des actions en faveur de l’égalité » (4). Selon le CSF, il s’agit là d’une nouvelle étape, comme si le mouvement des femmes n’avait pas déjà interpellé l’engagement des hommes. Faut-il rappeler que le mouvement des femmes s’est aussi développé au sein d’organisations mixtes, notamment les centrales syndicales, et qu’il a contribué à l’atteinte de droits et de meilleures conditions de travail dont ont aussi bénéficié les hommes ?

Le CSF propose également de responsabiliser les parlementaires qui procéderaient en commission parlementaire à l’étude du rapport émis, tous les cinq ans, par l’organisme voué à l’égalité. Lequel ? Le document ne le précise pas. L’idée d’engager les députés dans une réflexion sur les progrès réalisés ou non en matière d’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas inintéressante. Au contraire. Il faudrait pousser plus loin la réflexion et la placer en concordance avec la responsabilité des élus à ne pas adopter de législations ayant des effets discriminatoires sur les femmes.

Parmi ces alliés potentiels ou réels le CSF identifie « ceux qui font partie des institutions parapubliques ou à qui l’État a transféré des responsabilités » et les « autres organisations non liées par une délégation de pouvoir », notamment les « groupes de femmes et les chercheures féministes, les groupes communautaires, les médias, les entreprises, les syndicats, les organisations à vocations économiques, les forums régionaux des jeunes, les milieux de la recherche, les partis politiques et certains groupes d’hommes » (5). Bref, la société entière avec laquelle il serait possible de construire des alliances.

Au centre de cette approche, le CSF propose la création d’une Table des partenaires de l’égalité « réunissant les acteurs économiques et sociaux et les regroupements des instances régionalisées qui s’engagent à promouvoir l’égalité et à travailler à sa réalisation dans leur milieu respectif »( 6).

Ces propositions auraient pu être enthousiasmantes si le présent ne nous laissait pas un goût amer. Ces propositions s’adressent, répétons-le, à un gouvernement qui a fait disparaître les sièges réservés aux femmes dans les instances régionales et locales, qui a adopté les lois 7 et 8 interdisant la syndicalisation à des femmes, qui a concocté un projet de loi sur la sécurité du revenu qui constitue le plus grand recul en matière de droits socioéconomiques depuis les années 60, qui rêve de privatiser des pans entiers des services publics, là où les femmes y ont trouvé des emplois décents. C’est à cause de ce gouvernement que plusieurs femmes qui militent dans le mouvement des femmes sont essoufflées par l’ampleur des réformes qui touchent de manière « spécifique » les femmes. Les aidantes naturelles « sont à terre ».

En matière de régulation des effets du travail sur les responsabilités familiales et parentales, le Conseil du patronat et l’Association des entreprises indépendantes ne veulent pas entendre parler de mesures de conciliation contraignantes. En ce qui concerne la discipline des médias et leur contribution à l’égalité, ils sont réfractaires à tout code de conduite contraignant relatif à la publicité sexiste et sexuelle. La prostitution juvénile et la traite des femmes fleurissent partout ; le corps des femmes est de plus en plus exposé.

Des questions occultées

En conséquence, certaines questions méritent d’être répondues avant de nous engager sur cette voie. En quoi cette approche sociétale fera-t-elle avancer la cause des femmes ? En quoi se distingue-t-elle des politiques en matière de condition féminine élaborées par les gouvernements depuis 30 ans ? Où sont les ruptures ? Quel est le bilan des actions antérieures ?

Plus « spécifiquement », pourquoi faut-il encore aujourd’hui se battre pour obtenir la reconnaissance du bien-fondé du combat des femmes pour l’égalité ? Pourquoi faut-il encore et toujours que ce soit les femmes qui doivent faire les efforts pour « inviter », « associer , « inciter » les partenaires sociaux envers le respect et la mise en œuvre de mécanismes fondés sur l’égalité des droits envers les femmes.

Concernant cesdits mécanismes, quelle sera l’influence des hommes aux décisions concernant la situation des femmes ? Quelle place sera accordée dans les débats aux enjeux sur la condition des femmes versus celle des hommes ? Et si un rattrapage social, économique, politique est à faire, dans quel sens ira-t-il ?

Le document du CSF occulte ces questions ; pourtant, elles sont essentielles.

Notes

1. Conseil du statut de la femme, « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les homems », Gouvernement du Québec, novembre 2004, p. 30.
2. Ibid., p. 41.
3. Ibid., p. 42.
4. Ibid., p. 45.
5. Ibid., p. 46.
6. Ibid., p. 157.

 Télécharger le mémoire intégral sur cette page.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er février 2005.

la Centrale des syndicats du Québec


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