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On encourage l’exode des femmes du Saguenay, selon LASTUSE

7 février 2005

par Micheline Carrier

La commission parlementaire sur l’Avis du Conseil du statut de la femme a entendu, le 3 février dernier, un groupe du Saguenay, le « Lieu d’actions et de services travaillant dans l’unité avec les sans-emploi » (LASTUSE), qui a plongé tout le monde dans un bain d’hyper-réalisme.

Très documentés, Dominik Villeneuve, Maryse Boucher et Sylvain Bergeron ont tracé de façon imagée et souvent émouvante un portrait socio-économique désolant de leur région, et en particulier de la situation des femmes. Un taux d’emploi régional qui se situe à 50,8% et à 46,5% pour les femmes ; 30% des travailleuses et des travailleurs touchant des revenus inférieurs au seuil de la pauvreté ; des taux de chômage et d’aide sociale qui atteignent respectivement 12%. Le revenu des femmes se situe à 83,4% de celui de l’ensemble des Québécoises et elles sont en chômage huit semaines en moyenne de plus. Seulement 35% des travailleuses sont admissibles à l’assurance-emploi, notamment à cause du travail saisonnier et du travail précaire qui les touchent.

« Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on peut évaluer à près de 75% le nombre de femmes qui vivent dans un état précaire, a dit l’organisme ; 21,5% sont sans revenu, 43,2% ont un revenu disponible de moins de 10 000 $, 29% entre 10 000 $ et 19 999$. Un très grand nombre d’obstacles se présentent aux femmes lorsqu’elles cherchent à améliorer leur condition : manque d’emploi, préjugés, sexisme ».

Comme c’est le cas dans l’ensemble de la province, « la main-d’oeuvre féminine se trouve majoritairement dans des emplois à temps partiel. Leur salaire atteint à peine 55,4% des travailleurs masculins. Le salaire hebdomadaire moyen des femmes est de 347$ ; celui des hommes, 519$, ce qui démontre un différentiel négatif de 172$ par semaine. Les trois quarts des femmes en emploi se retrouvent dans le secteur tertiaire : bureaux, vente et santé. Nul n’est besoin de développer sur la faible rémunération de ce secteur », a ajouté la porte-parole de LASTUSE.

Les femmes cheffes de familles plus touchées

Comme partout au Québec, les femmes cheffes de famille connaissent une situation plus précaire que l’ensemble des femmes en situation de pauvreté. LASTUSE mentionne que 55,1% des familles monoparentales vivent en-dessous du seuil de faible revenu et 80% d’entre elles sont dirigées par des femmes. Parmi celles qui vivent de l’aide sociale, ce pourcentage atteint 90,4%.

On suggère aux femmes cheffes de familles monoparentales de demander une pension alimentaire que le gouvernement récupère ensuite pour lui-même, dit LASTUSE. Parfois, ces pensions ne sont même pas perçues. « La pension alimentaire versée au bénéfice d’un enfant doit permettre de maintenir la qualité de vie, d’autant plus qu’elle n’est plus considérée comme un revenu pour la famille au plan de la fiscalité ». Pourtant, les programmes sociaux de soutien du revenu déduisent ce montant des prestations « dès que l’enfant est d’âge scolaire et commence à fréquenter la maternelle. Ce n’est pas quand on commence l’école que ça coûte le plus cher ? »

L’organisme rappelle que la pension alimentaire pour enfant est une responsabilité parentale. Il faut « nous rentrer dans l’esprit qu’elle est destinée au bien-être de l’enfant ». Or, on prive de nombreuses femmes monoparentales d’une somme moyenne de 235$ par mois en saisissant leur pension alimentaire. « La mère se trouve donc doublement pénalisée, a ajouté l’une des porte-parole de LASTUSE.

Sexisme et préjugés à tous les niveaux

LASTUSE estime que "tout est mis en oeuvre pour favoriser l’exode des femmes et détruire les régions". Les employeurs résistent à l’embauche de femmes, Emploi-Québec restreint leurs choix aux mesures d’employabilité et les dirige, parfois contre leur gré, dans des secteurs traditionnels où les emplois sont précaires et mal rémunérés, et certains enseignants des métiers non traditionnels les harcèlent. Les femmes cheffes de familles monoparentales subissent les critères arbitraires des agent-es d’Emploi-Québec qui les inscrivent en majorité dans des programmes de formation générale au secondaire. Le plus souvent, elles se voient refusé sans justification une réorientation de carrière.

LASTUSE identifie les préjugés sexistes des employeurs, des enseignants et des fonctionnaires d’Emploi-Québec parmi les principaux obtacles à l’autonomie (devrait-on dire la survie) économique des femmes du Saguenay. L’accès des femmes aux métiers non traditionnels ou dits masculins, domaine où il se crée le plus d’emplois, leur est pratiquement bloqué. « Sur les enseignants, je pourrais vous en dire long, a commenté Maryse Boucher, parce que plusieurs de mes copines étudiaient dans d’autres métiers non traditionnels puis vivaient les mêmes choses que moi. On a vu des enseignants poser des questions auxquelles les élèves ne pouvaient pas répondre à l’examen simplement parce que les élèves avaient refusé les avances de l’enseignant ».

L’apparence de la candidate à un emploi joue un rôle dans les choix des employeurs : « Si tu n’as pas le physique de ce que chez nous - vous excuserez l’expression - on appelle une "racing poupoune", bien, ça ne passe pas, poursuit Maryse Boucher. Donc, il faut que tu aies la « shape » pour, puis il faut que tu aies la mentalité qui va avec aussi. Ça prend une voiture, ça prend un permis de conduire. Donc, c’est un package deal qui est énorme pour l’émancipation de la femme. On n’arrive pas à passer par-dessus ça, plusieurs d’entre nous... en tout cas, c’est ça, ou on s’en va dans un métier traditionnel puis on ne travaille pas ; ou bien on se ramasse là, puis c’est des dépressions, c’est des problèmes de santé psychosomatiques qui arrivent puis c’est vraiment dévalorisant ».

À ces problèmes, il faut ajouter l’accès limité à des services de garde pour un grand nombre de travailleuses qui font face, là encore, aux préjugés à l’égard des personnes à faible revenu. On se méfie d’elles, croyant qu’elles amèneront leurs enfants "sales" à la garderie ou ne pourront pas payer les frais de garde. Dans certains cas, on leur demande de payer ces frais une semaine d’avance. Les transports en commun, au Saguenay comme dans plusieurs régions du Québec, sont aussi un autre obstacle au travail et aux études des femmes de cette région ; 22% d’entre elles vivent dans des secteurs où il n’existe même pas de transport en commun.

Sous-représentation des femmes dans les instances régionales

Comme d’autres groupes entendus précédemment à la commission parlementaire, LASTUSE déplore le fait que les femmes soient moins représentées dans les instances régionales depuis les changements qu’y a apporté le gouvernement : « Dans toutes les autres sphères de la répartition du pouvoir, dit le groupe, la représentation féminine ne dépasse jamais les 25%, et ce nombre chute radicalement si on parle de postes décisionnels. Les femmes ont toujours été tenues loin du pouvoir pour plein de considérations aussi futiles que patriarcales ». LASTUSE pense que la réforme du mode de scrutin et l’éducation à la citoyenneté à tous les niveaux scolaires l’un des remèdes pourraient corriger cette situation.

Enfin, LASTUSE fait une recommandation qui me semble, ma foi, très censée : que tout-e candidat-e député-e séjourne un an à l’aide sociale dans une région afin de comprendre ce que vivent les personnes en situation de pauvreté.

Visiblement touchée par le tableau qui venait d’être brossé, la ministre Courchesne a remercié chaleureusement le groupe et déclaré que la situation décrite ne resterait pas sans solution.

Site de LASTUSE

Sources

Mémoire de LASTUSE. Voir Mémoires des groupes, en bas à droite
Le Journal des débats, le 3 février 2005, 9h300-10h30, sur le site de l’Assemblée nationale. On peut consulter l’index pour une recherche rapide.

Autres

Lire les autres articles dans la rubrique Commission parlementaire et dans la rubrique Avenir du Conseil du statut de la femme.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 février 2005.

Micheline Carrier


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