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Enquête sociale générale de 1999 sur la violence conjugale : des conclusions étonnantes et biaisées

9 avril 2005

par Yasmin Jiwani

Avec en toile de fond des manchettes annonçant le meurtre de femmes et d’enfants par des conjoints violents, la publication des résultats de l’Enquête sociale générale (ESG) de 1999 de Statistique Canada sur la violence conjugale a contribué à creuser l’écart entre la réalité sur la violence à l’endroit de l’épouse, que les femmes et les travailleuses et travailleurs de première ligne connaissent directement, et les mythes populaires qui se répandent dans la société au sujet du comportement agressif et des tendances à la violence des femmes. L’Enquête sociale générale sur la violence conjugale a été rendue publique dans le contexte de la publication annuelle, par Statistique Canada, de La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2000. Déjà, des journalistes et des défenseurs des droits des hommes utilisent ces résultats pour appuyer leurs allégations au sujet de la violence des femmes. Le danger, c’est que les décisionnaires prennent les résultats de l’enquête au pied de la lettre pour justifier de nouvelles réductions aux ressources déjà limitées consenties aux centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle, refuges et services offerts aux femmes battues.

Des conclusions étonnantes

Dans un pays où pour chaque conjoint tué, 3,4 conjointes subissent le même sort (Locke, 2000), où des statistiques antérieures révèlent que 98 p. 100 des agressions sexuelles et 86 p. 100 des crimes violents sont commis par des hommes (Johnson, 1996), que les femmes représentent 98 p. 100 des victimes de violence conjugale sous forme d’agression sexuelle, d’enlèvement ou de prise d’otage (Fitzgerald, 1999), et où 80 p. 100 des victimes de harcèlement criminel sont des femmes alors que 90 p. 100 des personnes accusées sont des hommes (Kong, 1996), les conclusions de l’ESG sont étonnantes. Les conclusions de l’ESG révèlent que les taux de violence conjugale chez les femmes et les hommes ne sont que légèrement différents - de 8 p. 100 pour les femmes et 7 p. 100 pour les hommes mariés ou en union libre au cours des cinq années antérieures, et de 4 p. 100 tant pour les femmes et les hommes dans leur relation actuelle. En surface, ces conclusions suggèrent que les femmes et les hommes sont aussi violents, ce qui alimente le ressac à l’égard des expériences et observations des travailleuses et des travailleurs de première ligne, des universitaires et des décisionnaires qui insistent depuis longtemps sur le caractère prédominant de la violence des hommes.

Est-il possible que ces conclusions reflètent avec précision la diminution des niveaux de violence et que les femmes aient maintenant atteint la parité sur le plan de la violence, alors qu’elles n’ont pas réussi à l’obtenir dans d’autres sphères de la vie sociale ? Ou, devons-nous nier complètement tout ce que nous entendons au sujet des niveaux croissants de violence - de la rage au volant au harcèlement criminel, en passant par le viol par une connaissance, le harcèlement criminel, le harcèlement au travail et le meurtre de femmes dans leurs foyers et dans les rues ? Devons-nous ne pas tenir compte de toutes les autres statistiques publiées par Statistique Canada, en commençant par l’Enquête sur la violence envers les femmes de 1993, qui faisait autorité, jusqu’au profil statistique sur la violence familiale au Canada ? Si la violence est une question de pouvoir et de domination, les femmes sont-elles de plus en plus puissantes et dominatrices ?

Les résultats de l’ESG ont été obtenus à la suite d’interviews téléphoniques auprès de 26 000 répondantes et répondants de 15 ans et plus dans dix provinces. Au total, 14 269 femmes et 11 607 hommes ont répondu aux questions. Dix questions dérivées de l’Enquête sur la violence envers les femmes (EVF, 1993) et modifiées ont été posées à ces personnes. Les questions étaient centrées sur la violence, allant des menaces aux agressions sexuelles, subie au cours de la période de 12 mois ou des cinq années précédant l’interview. La définition du terme violence utilisée dans l’ESG était dérivée de la définition et de la description d’actes de violence contenues dans le Code criminel, (Voir l’annexe).

Les sections qui suivent* abordent certains des aspects préoccupants de l’ESG et de l’utilisation qui pourrait en être faite pour minimiser la réalité de la prédominance marquée de la violence des hommes à l’endroit des femmes. Il faut utiliser avec circonspection les conclusions de l’ESG puisqu’elles ne saisissent pas toute l’ampleur de la violence faite aux femmes. En fait, si l’on compare les résultats de l’ESG de 1993 et ceux de l’EVF, on constate que les résultats de l’ESG saisissent environ la moitié du pourcentage réel de cas de voies de fait contre l’épouse signaléspar les femmes qui ont participé à l’Enquête sur la violence envers les femmes (Johnson, 1996 : 54). De plus, contrairement à l’EVF, l’ESG ne tient pas compte des cas de harcèlement sexuel et de violence psychologique dans les taux de violence rapportés, pas plus qu’elle ne suit l’augmentation de la violence à l’endroit des femmes enceintes ou des femmes vulnérables pour des raisons de classe sociale, d’incapacité, de race ou d’orientation sexuelle. L’ESG, contrairement à l’EVF, ne porte que sur les expériences de violence vécues sur une période bien déterminée (12 mois et 5 ans) et dans le contexte d’un mariage ou d’une union de fait, alors que les enquêtes précédentes portaient toujours sur les expériences des femmes avec la violence depuis l’âge de 16 ans et tenaient compte de nombreuses formes de violence.

Enfin, l’ESG compte sur les déclarations des répondantes et des répondants. Cela peut en soi restreindre ce que des femmes qui ont vécu ou qui vivent actuellement des relations de violence peuvent être disposées à révéler. Une certaine honte entoure toujours la violence dans les relations intimes et, pour de nombreuses femmes, la divulgation de ces faits s’accompagne de sentiments de culpabilité, d’embarras, d’échec personnel et de méfiance envers la personne qui dirige l’interview, particulièrement si cette personne représente un organisme gouvernemental (c.-à-d. Statistique Canada). De plus, il faut parfois beaucoup de temps avant qu’une femme puisse parler de la violence qu’elle a vécue.

La violence est une question de pouvoir et de contrôle. Les femmes qui vivent une situation de violence ont tendance à avoir une faible estime de soi (ce que l’ESG a révélé) et, lorsqu’elles sont isolées et ne peuvent compter sur l’aide d’autres personnes, l’agresseur et ses perceptions deviennent le point de référence. La faible estime de soi est perpétuée par l’agresseur et renforcée par les messages sociaux que les femmes reçoivent au sujet de leur statut en tant que femmes et leur impuissance en tant que victimes de violence. Ces femmes peuvent répondre aux questions qui leur sont posées de manière non seulement à minimiser les mauvais traitements subis, mais aussi à donner l’impression, à tort, qu’elles ont fait quelque chose pour mériter un tel traitement. Les femmes ont tendance à assumer la responsabilité de la relation et sont souvent blâmées pour son échec. Les travailleuses et les travailleurs de première ligne connaissent bien cette dynamique, mais les recherches-sondages ont tendance à ne pas la saisir.

Les personnes exclues de l’ESG

L’ESG, contrairement à la Déclaration uniforme de la criminalité, qui repose sur les incidents signalés à la police, recueille des données fondées sur les expériences individuelles de victimisation. Rien n’indique, dans les résultats de l’ESG rendus publics le 25 juillet 2000, si la violence entre conjoints de même sexe était une variable.

L’ESG inclut uniquement des personnes qui parlent français ou anglais et qui vivent dans des ménages qui ont le téléphone. En excluant les personnes qui ne parlent ni français ni anglais, les conclusions de l’ESG sont limitées, de nombreuses femmes qui vivent des situations de violence ne parlent aucune des langues officielles et ne sont pas en mesure de révéler leurs expériences de violence pour des raisons de sécurité, de critères d’immigration et de dépendance sur le conjoint qui les parraine.

De plus, le critère utilisé par l’enquête relativement aux répondantes et aux répondants - qui doivent vivre dans un ménage qui possède un téléphone - exclut dans les faits les femmes sans-abri, en transition, les femmes qui tentent d’échapper à un partenaire violent et les femmes qui, en raison de leur classe sociale, de la pauvreté et de leur statut de sans-abri, sont plus vulnérables à la violence. En fait, un grand nombre de femmes sans-abri le sont peut-être devenues à la suite de la violence vécue dans leur relation. Les femmes autochtones, qui vivent dans les réserves et dans des maisons sans accès aux téléphones du foyer, en sont exclues. Le téléphone n’est pas le moyen de communication préféré des personnes qui ont des troubles auditifs et d’élocution. Par conséquent, ces répondantes et répondants éventuels sont aussi exclus de l’enquête en dépit des recherches qui démontrent que les femmes handicapées sont plus vulnérables à la violence (Institut Roeher, 1995).

 Lire la suite de cet article sur le site de FREDA.

Yasmin Jiwani
©2000 Août

*Lire les autres sections du dossier :

. Fiche d’information sur l’enquête sociale générale de 1999 sur la violence conjugale.
. L’enquête sociale générale de 1999 sur la violence conjugale : questions et réponses.

 Site du FREDA Centre for Research on Violence against Women and Children, Vancouver Canada.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er avril 2005.

Yasmin Jiwani


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