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"Terre promise", un film d’Amos Gitaï sur la traite des femmes

5 mai 2006

Le 10 mai 2005, le Mouvement du Nid et Amnesty International ont organisé une avant-première du film "PROMISED LAND" d’Amos Gitaï, au cinéma Arenberg à Bruxelles. Ce film (France/Israël) parle de la traite des femmes d’Europe de l’Est utilisées à des fins sexuelles par des réseaux criminels au Moyen-Orient, notamment en Israël. Il faisait partie de la sélection officielle du Festival de Venise 2004. Il est distribué par Cinéart.

À l’occasion de la sortie de Free Zone au Québec et au Canada, voici une entrevue avec le réalisateur donnée à l’occasion du lancement de Terre promise. (Mai 2006)

Synopsis

Une nuit dans le désert du Sinaï, au clair de lune, un groupe d’hommes et de femmes se réchauffe autour d’un feu de camp. Les femmes sont d’Europe de l’Est, les hommes sont des bédouins. Demain, ils passeront la frontière en secret et les femmes seront vendues aux enchères. Elles passeront de main en main, victimes d’un réseau international de traite des blanches.

Une nuit, dans un club, Diana rencontre Rose. Elle la supplie de l’aider. Leur rencontre est un signe d’espoir dans la descente aux enfers de ces femmes.

Amos Gitaï - Interview

Voici une entrevue avec le réalisateur de Terre promise reproduite du Cinéart site de Cinéart qu’on voudra bien consulter pour plus de détails.

De simples marchandises

Quand j’ai commencé à m’intéresser aux réseaux du crime qui traversent les frontières du Moyen-Orient, je me suis aperçu que le trafic de femmes, cette nouvelle forme d’esclavage, était en plein essor. Pour ces réseaux internationaux qui font de la traite des blanches, comme on dit, les femmes sont de simples marchandises. Elles sont transportées depuis leur pays d’origine, la plupart du temps l’Europe de l’Est, via le Sinaï en Egypte. Elles passent très facilement la frontière israélienne et sont ensuite réparties dans différentes villes israéliennes ou dans les territoires. Au milieu de tout ce bombardement médiatique auquel est soumis le Moyen Orient, j’avais envie d’adopter un point de vue personnel sur cette question, d’opposer à cet aspect exotique une vision iconoclaste de la TERRE PROMISE.

Des centaines de pages de témoignages

Avant le tournage de TERRE PROMISE, j’ai passé beaucoup de temps à me documenter grâce aux rapports émanant d’ONG qui s’occupent en Israël et ailleurs de défense des droits de l’homme. Des centaines de pages de témoignages de victimes de la traite des blanches qui montrent dans le détail comment ces réseaux internationaux opèrent. Je m’en suis servi pour déterminer la zone de réalité que je voulais traiter sous forme de fiction.

Faire sentir l’inhumanité

Mon problème, dans TERRE PROMISE, c’était la question de la nudité, du sexe, de la violence. Comment les montrer, comment les utiliser, comment les limiter au strict nécessaire, aux moments où c’est vraiment indispensable pour que le public sente l’inhumanité de ce que ces femmes subissent. Il fallait absolument éviter que ce soit " gratuit ". Et en même temps, les témoignages et les rapports vont bien au-delà de ce qui est à l’écran. J’en ai discuté avec toute l’équipe. Comment allons-nous montrer cette descente aux enfers ? Comment pouvons-nous l’exprimer en termes de cinéma ?

Sans inhibitions

Certaines femmes croient qu’elles vont pouvoir échapper à la misère grâce à ce genre d’arrangements. Elles essaient de se persuader que c’est seulement pour un moment et qu’ensuite, elles auront un peu d’argent. Elles sont abusées à tous les niveaux, sur le plan physique, sur le plan émotionnel, à un point inimaginable. Mais la plupart du temps, elles se font dépouiller et se retrouvent quasiment sans rien. C’est à fendre le cœur. Pour le montrer, j’avais besoin de la coopération totale des actrices. Il fallait qu’elles acceptent pleinement le projet. Qu’elles acceptent de vivre certaines situations difficiles pour être plus proches de ce que vivent ces femmes, en particulier cette errance, ces déplacements permanents, cette perte progressive de contrôle de son propre destin. Les actrices ont complètement intériorisé la profonde souffrance de ces femmes. Leur façon de jouer franche, directe, en est le reflet. Ce qu’elles voulaient, c’était montrer le destin de ces femmes. Sans inhibitions.

La vente aux enchères

On sait que les ventes aux enchères de femmes ont lieu dans toutes sortes d’endroits. J’ai choisi de filmer la vente aux enchères de nuit, dans le désert. Les femmes sont encerclées par un groupe de voitures, comme dans une arène, pour créer une sensation de claustrophobie. Il est évident que l’intimidation et l’humiliation sont utilisées sciemment par les systèmes qui font du trafic. Ce sont des méthodes pour faire des femmes des marchandises qui seront vendues, abusées et violées.

Exotisme et prostitution

Le cinéma a contribué à créer une sorte d’exotisme de la prostitution. Beaucoup de films proposent une vision très XIXe siècle des bordels et des call girls. Mais la vérité, c’est que les techniques de vente de la prostitution sont devenues aujourd’hui des mécanismes extrêmement brutaux de commerce d’esclaves. Il n’y a rien de romantique dans ce que vivent ces femmes. Dans TERRE PROMISE, je voulais montrer de façon concrète, réaliste, en quoi consistent réellement le trafic de femmes et la prostitution.

Rose

D’une certaine façon, Rose nous représente, nous, la société. Au début, elle est présente à la vente aux enchères, elle observe, elle est intéressée presque comme une voyeuse. Ce qu’elle voit lors de la vente aux enchères la fascine et elle essaie d’aller au club d’Eilat où les filles sont mises sur le marché. Lorsque Diana, l’une des filles, essaie de l’approcher et lui demande de l’aider, Rose n’est pas encore prête à s’engager. Elle essaie même d’éviter Diana. Et quand elle se retrouve dans le même camion que les filles, elle décide de se joindre à elles, de les suivre de plus près. Finalement, il se crée une sorte d’affinité, de solidarité, d’amitié entre elle et Diana. Chacune peut enfin raconter son histoire à l’autre. Le personnage de Rose évolue. Elle finit par accepter de s’engager et de se lier d’amitié avec Diana.

Une sorte d’apocalypse

La fin du film est une sorte d’apocalypse, de chaos total. Mais c’est de ce chaos que naît la liberté pour Diana. Dans un sens, le chaos de certaines situations permet d’ouvrir une brèche dans la nature répressive de certaines formes de pouvoir. Comme une façon de proposer un autre chemin et peut-être même la liberté.

Eclairages simples et directs

À l’origine, on avait décidé de construire des tours pour éclairer les décors, il avait même été question d’un gros ballon qui diffuserait de la lumière pour faire le clair de lune, mais j’avais une préférence pour des systèmes d’éclairage plus simples et plus directs. Pourquoi ne pas utiliser simplement des torches pour éclairer les visages, pour leur donner un aspect un peu dramatique, comme des masques vénitiens ? Pourquoi ne pas utiliser les phares des voitures pour donner cette ambiance un peu mystérieuse et une sensation de claustrophobie ?

Trouver la cohérence au sein du chaos

Ce qui m’intéresse en tant que cinéaste, c’est de me fixer à chaque fois de nouvelles limites. J’essaie de trouver la cohérence au sein de situations chaotiques ou imprévisibles. Mais bien sûr, quand on fait un film, c’est très difficile de créer un niveau précis de chaos. J’ai envie de construire quelque chose, mais je ne veux pas que ça devienne trop structuré, ce qui est l’une des caractéristiques de la mise en scène. La question, c’est de savoir comment mettre en scène tout en gardant un côté brut, exposé, et sans tomber dans un autre type de cinéma qui proposerait des images plus léchées, plus formelles. Cette liberté de travail me fascine, mais c’est également épuisant et exigeant. Ce qui prend aussi beaucoup de temps, c’est de construire une bonne équipe, dont le travail consiste à construire un ordre, et de leur demander de collaborer à un voyage complètement imprévisible et par moments bordélique.

L’expérience du déplacement

Le fil directeur de TERRE PROMISE, c’est le destin de ces femmes. Nous les suivons tout au long de cette route où elles sont transportées d’un endroit à l’autre. On change constamment de lieu dans TERRE PROMISE. De Tallinn à Haïfa, du Caire à Ramallah en passant par Eilat, les femmes passent de main en main, du désert aux parkings, de l’immense aquarium construit sous l’eau dans la mer Rouge aux différents véhicules, aux camions, aux autoroutes etc. J’ai tourné TERRE PROMISE en fonction de la continuité géographique, du désert à Eilat et de Eilat vers le Nord. Pour toutes les scènes tournées au Moyen Orient, on a utilisé seulement des voitures, on n’a pas pris l’avion. Je voulais faire l’expérience de ces déplacements pour pouvoir les mettre en scène et composer le film au fur et à mesure.

Capter un nerf à vif

J’ai eu besoin de deux caméras qui décrivent simultanément la même action, pour ensuite, au montage, passer d’un point de vue à un autre. Je voulais que le passage d’un lieu à l’autre soit très fluide. Je voulais aussi capter les nuances des relations entre les personnages. Il fallait donc élaborer une stratégie de filmage proche du direct. Grâce à ces petites caméras digitales, on a pu s’approcher très près et donner au film cette sensation de proximité. C’est ce côté brut qui permet de créer une sensation d’urgence. La caméra était toujours prête à capter une sorte de nerf à vif, ça m’a fasciné. C’est comme si la caméra elle-même avait décidé de contribuer à révéler cette histoire. Cette façon de travail est intéressante, mais elle oblige à redéfinir et réarticuler sans cesse tous les paramètres chaque jour, et parfois même à chaque instant.

Amos Gitaï - Biographie

Amos Gitaï était étudiant en architecture, suivant les traces de son père, quand la guerre de Kippour a interrompu ses études. Il s’était mis à utiliser une petite camera Super 8 au cours de ses missions en hélicoptère. Il est ensuite devenu un cinéaste.
En près de 40 films, documentaires et fictions, Amos Gitaï a produit une oeuvre extraordinairement variée où il explore l’histoire du Moyen Orient et sa propre biographie à travers les thèmes récurrents de l’exil et de l’utopie.

À la fin des années 70 et au début des années 80, Amos Gitaï livre plusieurs documentaires, parmi lesquels LA MAISON et JOURNAL DE CAMPAGNE. C’est au cours de cette période qu’il soutient un doctorat en architecture à l’université de Berkeley, en Californie.

Après la controverse née de la diffusion de JOURNAL DE CAMPAGNE, Gitaï s’installe à Paris en 1983, où il travaille pendant dix ans à des documentaires comme ANANAS - une vision sarcastique de la culture et de la commercialisation des ananas par les multinationales - ou BRAND NEW DAY, un film qui suit la tournée d’Annie Lennox et du groupe Eurythmics au Japon.

C’est également au cours de cette période qu’il commence à mettre en scène des fictions sur le thème de l’exil comme ESTHER, BERLIN JERUSALEM (Prix de la Critique à la Mostra de Venise) et la trilogie du GOLEM.

Au cours des années 90, à la suite de l’élection de Yitzhak Rabin comme Premier ministre, Gitaï retourne s’installer à Haïfa. C’est le début de la période la plus fertile de sa carrière.

En dix ans, il réalise près de quinze films, fictions et documentaires. DEVARIM (1995) marque son retour dans son pays et ses retrouvailles avec la lumière et la géographie d’une ville (Tel Aviv). C’est le premier volet d’une trilogie des villes qui se poursuit avec YOM YOM (Haifa) et KADOSH (sur Mea Shearim, le quartier des religieux orthodoxes de Jérusalem).

Ce retour au pays est aussi un retour vers sa propre histoire : Gitaï tourne KiPPOUR, SOUVENIRS DE GUERRE, un documentaire sur l’expérience traumatisante de la guerre de Kippour qu’il partage avec ses camarades, avant de tourner KIPPOUR (2000), un long-métrage de fiction.

Suivront EDEN, l’année suivante, d’après un roman d’Arthur Miller, puis KEDMA (2002) et ALILA (2003).

Les films d’Amos Gitaï sont régulièrement sélectionnés en compétition dans des festivals comme Cannes, Toronto et Venise. Son œuvre a fait l’objet de plusieurs rétrospectives et le Centre Pompidou lui a consacré une rétrospective intégrale en 2003.

Pour consulter la filmographie d’Amos Gitaï et de courtes biographies des comédiennes et comédiens qui jouent dans TERRE PROMISE, visitez le site de Cinéart. Courriel.

Mis ne ligne sur Sisyphe, mai 2005.

P.S.

Du même réalisateur

« Free Zone », présenté en compétition à Cannes (2005). Les femmes y tiennent encore une rôle central comme agentes de changement.




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