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Anorexie et boulimie - Parents, aidez votre enfant en détresse

31 mai 2007

par Vittoria Pazalle

    "Celui qui, par quelque alchimie, sait extraire de son coeur, pour les refondre ensemble, compassion, respect, besoin, patience, regret, surprise et pardon crée cet atome qu’on appelle l’amour." Khalil Gibran

Je m’appelle Vittoria et je voudrais adresser un message aux parents de filles et garçons (1) touchés par les TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) et, par extension, en état de détresse/dépression ou dépendance.

Durant mon enfance, j’étais une petite fille sage, studieuse et raisonnable. L’enfant rêvée en somme. Et pourtant ! Au fur et à mesure des années, l’image de la plaisante et lisse Vittoria s’est brisée et je suis tombée dans le cercle vicieux des TCA. J’ai d’abord été touchée par l’anorexie, puis j’ai basculé dans la boulimie.
Et dans les deux cas, je me souviens que je me suis trouvée face à une très grande incompréhension de la part de mon entourage.

La vie d’un-e anorexique

Si je semble forte, c’est parce que je me bats continuellement contre moi-même et n’accepte aucun relâchement. Je veux absolument dompter et dépasser mes besoins. Toutefois, cette force n’est qu’une apparence car au fond de moi je suis envahie par de multiples peurs.

Si je m’écarte des gens, ce n’est pas parce que je me sens supérieure, mais uniquement parce que je crains les rapports humains qui me font trop souffrir. Si l’on me reproche de ne pas sourire ou d’être trop mûre, c’est parce j’ai déjà une vision très grave, voire très sombre de la vie.

Si je parais dure, ce n’est pas parce que je n’ai pas de cœur mais parce je suis complètement prisonnière de mes comportements obsessionnels (sport, régime draconien ...). Je le reconnais, je suis extrêmement orgueilleuse ; ainsi, personne ne sait que je me recroqueville pendant des heures sous ma couette, que je m’enfonce les poings dans la bouche pour ne pas faire de bruit en pleurant ou me balance doucement dans mon lit pour m’imaginer dans un autre monde où je ne souffrirais plus tant je ne trouve ma place nulle part.

Mon corps ayant été très longtemps résistant, je n’ai pas du tout conscience que je porte atteinte à ma santé. J’ai juste le sentiment d’être plus lucide et plus sensée que les autres personnes.

Par ailleurs, combien de fois ai-je entendu :

"Allons ressaisis-toi toi qui étais si raisonnable et si mature avant !" Pourtant c’est drôle, au début, ma grande volonté suscitait l’admiration. En outre, il est sûr que cela me blesse au niveau de mon ego, mais au lieu de me faire changer d’avis, cela me braque encore plus.

"Allez il faut arrêter ce comportement absurde et manger maintenant car nous nous faisons trop de soucis à cause de toi". J’ai alors le sentiment de gêner, voire de déranger par rapport aux autres membres de la famille.

"Mais pourquoi tu nous fais ça, tu n’es qu’une égoïste, est-ce que tu penses à nous au moins ?" Mais enfin vous ne comprenez pas que je ne maîtrise absolument rien. Si je persiste dans ma position, ce n’est pas que je suis contre vous et désire vous narguer, mais c’est parce que je suis entraînée dans la spirale infernale de la maladie et, surtout, de la culpabilité ? Par contre, j’admets que je désire devenir totalement "pure", mais il s’avère que ce contrôle sur mon corps me procure un sentiment d’autosuffisance, de sécurité et surtout l’impression d’être enfin "quelqu’un". Alors, quand on me traite d’égoïste, je suis estomaquée car moi j’ai justement l’impression que personne ne pense vraiment à moi et essaie de se mettre à ma portée.

"Mais tu ne penses qu’à toi, tu ne veux pas guérir de toute façon". Je réponds "oui" pour qu’on me laisse tranquille, mais en fin de compte je ne sais même pas ce que cela veut dire "guérir", étant donné mon état psychique. À l’idée de grossir et de prendre des formes, je panique complètement. Je ne veux pas rentrer dans ce monde d’adultes, mais rester à mon stade asexué. Par ailleurs, sachez qu’une bouchée d’aliments est à mes yeux un intrus qui s’infiltre dans mon corps et m’encrasse, et que chaque calorie est une ennemie pernicieuse qui me souille. Le fait de manger est donc une véritable torture mentale car source d’angoisses indescriptibles.

"Nous en avons assez de ton comportement puéril, à ton âge, on n’a plus de telles lubies !" C’est le comble : je suis perçue comme une personne qui veut attirer l’attention et qui fait un caprice alors que je suis complètement dépassée par ma situation.

"Mais, enfin, je ne te comprends pas, dire que toi tu as la chance d’avoir un toit sur la tête, un travail et que tu sais bien qu’il y a tant de gens qui eux meurent de faim sans le vouloir". Je sais bien tout cela, mais vous n’arrivez qu’à me faire culpabiliser davantage d’être finalement encore en vie !

"Tu sais nous avons eu des remarques des voisins, tu as trop maigri, il faut te ressaisir maintenant". Pourquoi voulez-vous que je guérisse ? Parce que les voisins ont fait une remarque sur votre responsabilité de parents ? Moi, ce que j’aimerais entendre, c’est par exemple "je me fais du souci pour toi", "j’ai mal de te voir décliner ainsi" ou "est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ?"

La vie d’un-e boulimique

Perdue dans le regard des autres, je me montre souriante et serviable, mais c’est en fait pour quémander une validation, un sourire et/ou un compliment qui me sortiraient un peu de ces sentiments envahissants et omniprésents d’être si insignifiante et si nulle.

Combien de fois ai-je entendu :

"Allons enfin arrête tout ça", alors que je suis envahie par un sentiment de vide immense et d’impuissance totale. Mon besoin de manger sans même avoir faim est une pulsion que je vis tel un envoûtement. Moi, l’ancienne ascétique, sèche et flegmatique, je suis devenue une furie. Telle une droguée, j’ai besoin de mes crises avec ma dose de nourritures pour pouvoir me défouler, et surtout ne pas "exploser" tant je vis sous pression dans la journée. De surcroît, je ne peux m’arrêter car j’ai trop longtemps vécu dans le secret, cachant mon mal à tous avec la peur que l’on vienne à le découvrir. J’ai beau limiter les dégâts avec le sport, les laxatifs, le jeûne et les vomissements, je suis écrasée par la culpabilité avec le sentiment de n’être qu’une menteuse et une tricheuse face au monde à force de paraître ce que je ne suis pas.

"Mais il suffit de faire preuve de volonté !" Alors que vous vous n’arrivez même pas à arrêter de fumer ou de boire votre petit verre ! Vous ne comprenez pas que je ne fais pas exprès, seules mes pulsions me gouvernent. A vrai dire, j’ai même l’impression d’être enfin moi-même durant mes crises car à ces moments-là, je ne porte plus le masque de la gentille Vittoria, et je me lâche enfin. J’exprime alors ma rage, ma violence et mes frustrations.

"Et dire que nous avons tant fait pour toi, qu’est-ce qu’il t’arrive". Un enfant n’est-il qu’un éternel redevable envers ses parents sous prétexte qu’ils l’ont mis au monde ?
"Comment peux-tu me faire souffrir ainsi". Et moi si tu savais combien je souffre avec toutes ces idées noires qui me harcèlent au point de vouloir que tout cela cesse tant je ne me supporte pas et suis dégoûtée par mes pulsions et mon corps.
"Tu ne nous aimes pas pour faire cela". Mais pas du tout, c’est MOI que je ne respecte pas et exècre.

"Bon ça suffit maintenant, je perds mon temps avec toi puisque tu ne veux même pas m’écouter ou discuter". T’écouter ou être de nouveau assénée d’ordres, de reproches et critiques négatives ? Discuter ou entendre un monologue ?

"Tu n’es qu’une insolente car tu ne daignes même pas me répondre". Répondre à quoi ? A force d’être d’emblée coupable, je suis incapable de la moindre discussion.

"Je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines ainsi alors qu’on fondait vraiment tant d’espoir sur toi". "Tu sais tu me déçois vraiment, je me suis pas sacrifiée autant pour en arriver là". Ne suis-je donc qu’un projet ou un investissement à tes yeux ?

"Allez fais-moi plaisir, et fais... va...". Je veux bien te faire plaisir car c’est mon désir le plus cher, mais jusqu’à quel point ? A force de vouloir te faire plaisir depuis ma plus tendre enfance, je ne sais même pas qui je suis ? J’ai beau faire mon maximum, j’ai cependant l’impression que je n’arriverai jamais totalement à te faire plaisir et être aimée inconditionnellement et pour ce que je suis.

"Tu ne veux même pas manger avec nous". Ce n’est pas du tout parce que je ne "veux" pas. En fait, je ne "peux" pas manger avec vous car j’ai vraiment peur de ne plus pouvoir me contrôler en public. Par ailleurs, je ne veux pas de commentaires sur tout ce que je mange. Pendant les repas, je ne veux surtout pas entendre parler de mes pires obsessions : la nourriture et mon poids. Je ne veux pas non plus que l’on me force à manger comme un bébé ou une oie. En ayant assez d’être surveillée, scrutée et espionnée durant chaque repas dans une ambiance tendue et stressante, je préfère nettement manger seule pour être sûre d’être tranquille.

"Oh mais tu es invivable !" "Tu n’as pas de cœur !" Si je ne manifeste pas mes émotions, c’est parce que je suis incapable de les gérer. Désirant tout contrôler, je garde tout en moi. Avec le temps, je refoule tant que je suis complètement exsangue terrassée par l’impuissance, la tristesse, la honte et le désespoir, comme au fond d’un trou ne voyant plus la lumière depuis un certain temps.

"Tu ne fais plus rien". "Tu deviens de plus en plus paresseuse". Je ne suis pas paresseuse, je n’ai tout simplement envie de rien. Je suis lasse. Mon chagrin et ma prostration sont devenus mon "hurlement silencieux", seul langage à ma portée. Je me renferme sur moi-même pour me faire une carapace et camoufler mon hypersensibilité maladive et ma vulnérabilité extrême, mais surtout pour tenter de ne plus souffrir.

"Toi qui es si gentille pourquoi tu n’as pas d’ami(e)s". Mais justement, j’en ai assez d’être gentille. Ma gentillesse dissimule mon incapacité viscérale à m’affirmer et notamment dire "non". Ne sachant ni me défendre ni dire ce que je pense, je préfère être seule pour ne plus jamais être dominée et objet de remarques ou moqueries de la part des autres.

Culpabilité et impuissance : comment nous aborder ?

J’ai par conséquent dans ces deux types de troubles le sentiment d’être constamment en faute à force d’entendre des critiques. Non seulement n’ayant ni confiance en moi ni d’estime de moi-même, mais aussi souffrant d’un trouble grave de la perception de l’image de mon corps et ne m’acceptant guère, tous ces jugements m’écorchent vive et m’achèvent. J’ai même fini par me considérer comme une moins que rien et une "ratée".

Or, si une jeune fille se sent impuissante face à ces maux, à force d’entendre que les troubles de comportement alimentaire (TCA) sont des maladies touchant essentiellement les filles, je me demande ce que vivent les garçons concernés alors qu’ils sont censés être forts et aimer la compétition ? Ils doivent encore plus douter d’eux-mêmes, voire de leur virilité, ne plus pouvoir fréquenter les autres jeunes pour éviter toutes allusions et affronts face à leur trop grande vulnérabilité, mais surtout ne pas avoir la force de se faire soigner.

Parents, je veux bien croire que vous vous sentiez impuissants face à notre mal-être, mais surtout ne nous abordez plus de la sorte car cela ne fait qu’empirer notre mal-être et accroître notre détresse.

Sachez aussi que ce qui nous fait encore tenir, c’est vous et quelques souvenirs qui nous renvoient des bribes d’images encore positives de nous-mêmes.

Oui, nous avons incontestablement besoin de vous, mais surtout pas de critiques, jugements, gestes brusques, éclats de voix, cris, menaces ou chantages, car nous-mêmes nous nous autocritiquons déjà en permanence et nous dévaluons à un point tel que nous ne sommes même plus capables de nous regarder en face.

Nous n’avons pas besoin de davantage de culpabilité car celle-ci est déjà notre "compagne" de chaque seconde au point de nous faire sentir d’être coupables d’être de ce monde car si décevants à vos yeux.

Souffrance et solitude

Tantôt paraissant "solides et obstiné(e)s", tantôt "serviables et douces(x)", nos maux reflètent nos troubles psychiques, résultat de profonds et douloureux déchirements intérieurs.

Toute notre souffrance (cocktail explosif composé d’un désir viscéral de perfection et d’obtenir l’approbation de tous, de blocages émotionnels, de peurs multiples dont la violence, les conflits, échouer, être rejetée, abandonnée...) nous éloigne de tout et tous, et nous entraîne dans une solitude implacable qui nous ôte toute envie de continuer.

Moi, j’ai ainsi grandi trop vite avec le sentiment que je serai toujours seule, et pire, que je ne pourrai jamais compter sur quiconque dans la vie.

Ne passez pas à côté de votre enfant

Alors, je vous en supplie, ne restez plus à côté d’elle(lui) tels des juges impitoyables et intransigeants, mais accompagnez-la(le) tel un-e ami-e et un être à part entière avec notamment ses propres envies et besoins.

En effet, même si elle(s’il) ne le dit pas, elle(il) a véritablement besoin de votre temps, de votre patience, de votre écoute, de votre chaleur, de votre tendresse, de votre douceur, de votre contact, de dialoguer, de savoir la vérité sur certains non-dits et d’être traité-e comme un être capable et à part entière.

Je sais bien que vous voulez la plupart du temps le meilleur pour votre enfant, mais si vous vous montrez trop parfaits, trop durs ou peu disponibles, les distances entre vous ne feront qu’augmenter.

Lui laisser sa place d’enfant

Par ailleurs, avez-vous oublié votre enfance ? Alors considérez bien votre petit comme un enfant et non comme un-e adulte miniature ou un prolongement de vous-mêmes.

Et si vous n’avez pas eu une enfance facile - ce qui est souvent le cas -, ne faites pas semblant de croire que cela n’a pas existé en n’en parlant guère, et en pensant que vous finirez par tout oublier. Les émotions négatives (tensions, colères, rancunes, ressentiments, haine, etc.) ne s’oublient pas, et finissent toujours par se manifester d’une façon ou d’une autre si elles ne sont pas gérées. Moi-même, ma mère m’a transmis le message que la féminité était un danger, et un état d’infériorité, de sacrifice et de servitude. C’est ainsi qu’inconsciemment je ne voulais ni être une fille ni une femme. Ou encore, à la mort de mon père, je n’en ai parlé à personne pensant être suffisamment forte pour gérer son absence et mes manques. Mais n’ayant pas pu partager ma peine, avec le temps, je me suis complètement écroulée et ai dû attendre des années pour pouvoir en faire enfin le deuil.

Essayer de communiquer et de lui montrer votre affection

Par conséquent, bien au contraire, si vous avez des nœuds et blocages sur votre passé, ne gardez pas tout sur le coeur, parlez-en et rompez enfin ces tensions et silences si pesants dans tant de familles. Les silences qui se veulent protecteurs se révèlent bien trop souvent tels un venin qui ronge peu à peu les liens, l’amour et la confiance.

Si vous êtes incapables de manifester votre affection, de reconnaître les qualités de votre enfant et de voir la vie avec son aspect positif, sachez que celle(celui)-ci finira par croire qu’elle(il) ne vaut absolument rien, qu’elle(il) ne sera jamais digne de vous, et que finalement la vie ne vaut pas la peine d’être vécue.

Même si vous lui donnez de l’argent et lui offrez de belles choses, cela ne suffit pas. Et si vous n’arrivez pas à vous rapprocher d’elle(de lui) et à lui exprimer votre amour, expliquez-le-lui, et elle(il) saura au moins que vous l’aimez mais que vous êtes juste bloqués. Sinon, votre maladresse et votre pudeur seront mal interprétés et creuseront un fossé grandissant ; votre enfant finissant par croire que vous ne l’aimez pas.

Je vous en supplie, aidez votre enfant. Prenez conscience que vous êtes leurs modèles et leur miroir. Tentez au moins de casser et dépasser les transmissions qui vous font du mal. Ne les jugez plus d’emblée - comme on l’a fait avec vous -, et essayez au moins de vous renseigner pour les comprendre un peu.

Surtout, réagissez avant qu’il ne soit trop tard.

Ainsi, tendez-lui la main pour qu’elle(il) ait l’envie et la force de se relever, de s’ouvrir et de vivre pour rentrer dans le monde des adultes. Effectivement, avec votre soutien, votre écoute, vos encouragements et votre compréhension, le chemin de la guérison est bien entendu bien plus aisé.

Note

1. Un (1) anorexique sur 10 est un garçon ou jeune homme, et trois (3) boulimiques sur 10 sont des garçons ou jeunes hommes.

Livre de l’auteure

Anorexie et Boulimie : Journal Intime d’une reconstruction, Editions Dangles, Paris, 2007, 325 pages ; 15 cm x 21 cm ; ISBN 2703307152. Adresse des Editions Dangles. Réédition et mise à jour en mars 2007.

Pour en savoir plus sur les TCA :

 Troubles du comportement alimentaire et découverte de la féminité, par Vittoria Pazalle
 Anorexie et boulimie : témoignage de Vittoria Pazalle

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 mai 2005.

Vittoria Pazalle


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