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Féminisme et littérature, un dossier de "Québec français"

2 juillet 2005

En ce nouveau millénaire, beaucoup de jeunes femmes hésitent à se dire féministes, croyant le mot et son concept dépassés, alors que, comme le rappelle Lise Gauvin dans Lettres d’une autre (citée par Chantal Théry), « ceux qui disent que les femmes n’ont pas besoin du féminisme oublient généralement que c’est à cause du féminisme que les femmes peuvent se passer... du féminisme ». Le dossier littéraire que nous vous proposons pour la saison printanière pose la question du regard que l’on peut porter aujourd’hui sur la littérature écrite par des femmes, parfois d’un point de vue féministe,
d’autres fois d’un point de vue féminin, l’un ne se faisant évidemment pas à l’exclusion de l’autre.

Dans un premier article, Chantal Théry fait le point sur la diversité des approches en études féministes, en particulier celles qui s’intéressent à la littérature ou à la culture. Elle affirme que le discours féministe sera
nécessaire aussi longtemps qu’existeront le sexisme et la domination masculine et patriarcale ; que faire connaître les écrivaines demeure une obligation morale dans une perspective de rééquilibre ; mais aussi, elle plaide pour un réel dialogue entre les sexes, sachant que pour que la littérature joue son
rôle « essentiel dans nos sociétés […], deux sexes ne sont pas de trop pour accomplir la tâche, relever le défi ».

Si les écrits des femmes sont marqués par un discours et des valeurs associés au féminin, il en va de même des textes des hommes qui sont tout autant porteurs d’un regard masculin sur le monde. C’est ainsi qu’Isabelle Boisclair est amenée à conclure que les oeuvres, puisqu’elles sont écrites par des hommes ou des femmes, ont forcément un sexe ou un genre. Elle s’interroge alors sur la valorisation et la distribution de ces valeurs selon le sexe
des personnages. C’est ensuite au tour de Julie Roy et Chantal Savoie de poser les premiers jalons d’une histoire littéraire des femmes au Québec, en montrant le parcours littéraire des Québécoises depuis leur confinement à la
sphère privée (par le journal intime et la correspondance) jusqu’à leurs premières incursions dans le domaine public (journaux et théâtre) au début du XXe siècle. Lucie Robert complète le portrait par une histoire du théâtre au féminin, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Elle sait faire ressortir aussi bien l’évolution du rapport entretenu par les femmes avec le théâtre au Québec que l’apport original de ces voix féminines, en particulier par les expériences collectives menées par les auteures et les actrices depuis les années 1970.

Dans un autre article, Isabelle Fournier s’intéresse à la représentation de la mère dans les romans de la première moitié du XXe siècle. Du personnage de Maria Chapdelaine à celui d’Angélina (Le Survenant), elle nous fait voir de quelle façon la sexualité féminine commence à prendre corps dans les romans québécois.

Enfin, Denise Oprea et Christiane Lahaie présentent les univers respectifs de Lise Tremblay et de Patricia Rozema, une romancière et une cinéaste contemporaines, chacune incarnant un aspect particulier de la création au féminin telle qu’elle se pratique actuellement. Lahaie se pose la question, en explorant les films de la canadienne Rozema, de la difficulté de contourner
les pièges qui guettent le cinéma féministe, lequel risquerait de mettre en place de nouveaux « stéréotypes tout aussi réducteurs que ceux qu’il cherche à débusquer ». Quant à Oprea, son approche des romans de Lise Tremblay rejoint les préoccupations féministes sans en privilégier l’approche théorique : elle
fait voir que les personnages féminins de Tremblay sont aux prises avec des problèmes d’images et qu’ils se retrouvent confrontés à la marginalité et à l’exclusion.

Si certains pouvaient se demander si la lecture féministe des oeuvres a encore sa place aujourd’hui, il est plus que probable que les auteures des articles présentés dans ce dossier sauront les convaincre de la pertinence et de
l’actualité du féminisme en littérature.

Gilles Perron

Québec français, no 137 (printemps 2005).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 juillet 2005




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