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La marchandisation des enfants et le port du G-string

23 août 2005

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence

Réponse à des articles et lettres de lecteurs et lectrices concernant le port du string.



En juillet dernier, lors de leur congrès, les jeunes membres du Parti libéral du Québec constatent que les enfants et ados ont adopté le port du string à l’école. Pour enrayer cette mode qu’ils jugent inappropriée, ils adoptent une recommandation invitant l’Assemblée nationale du Québec à interdire le port de ce « vêtement » dans les écoles québécoises. Dans plusieurs écoles, on interdit bien le port de la casquette. Pourquoi ne pas interdire le port du string ? De là à recourir à une législation nationale, il y a un saut que les jeunes libéraux franchissent allègrement. Pourquoi l’Assemblée nationale ne pourrait-elle pas obliger les écoles à adopter un code vestimentaire uniforme en cette matière ? L’Assemblée nationale française n’a-t-elle pas interdit le port du voile ? Le lendemain du congrès des jeunes libéraux, les médias font les gorges chaudes devant la résolution naïve de ces politiciens en herbe. On ne sait toujours pas si le traitement médiatique porte sur la préoccupation légitime de ces jeunes ou sur le ridicule de la solution législative qu’ils recommandent. Mais les critiques trouvent les jeunes libéraux risibles.

Plusieurs personnes ont étés choquées autant par la solution farfelue des jeunes libéraux que par la couverture médiatique qui l’a accompagnée. La question centrale à poser est simple. Y a-t-il un problème à laisser porter le string aux enfants et aux adolescentes ? La dérive vestimentaire est le symptôme d’une certaine manipulation des enfants. On se questionne sur l’éthique sociale des adultes qui ne voient rien d’anormal dans cette liberté de choix. Certains font porter tout le blâme aux parents qui ont acheté ou permis à leur fille de porter le « vêtement » en question. On les accuse d’inconscience, de tolérance irresponsable, on déplore l’absence d’encadrement, l’évaporation de l’autorité, la déparentalisation.

Mais le reproche doit-il se limiter aux seuls parents. Où les petites filles ont-elles puisé ces modèles vestimentaires ? Où ont-elles vu des vedettes riches et adulées porter ces « vêtements » ? Comment leur a-t-on inculqué cette recherche du bonheur fondée sur l’apparence ? Entre l’être, le faire, le posséder et le paraître, les nouveaux enfants accordent de plus en plus d’importance et de soin à leur look. Le désir de plaire, d’être convoitée, en obsède plus d’une.

Cette conception du bonheur fondée sur l’apparence a requis beaucoup d’efforts de la part des agences de marketing. L’omniprésence de la télé, du cinéma, des vidéoclips présente la vie comme un spectacle. Inévitablement, un nombre croissant de petites filles veulent être vues et désirées. C’est en utilisant les médias, surtout la télévision, que la manipulation de plusieurs petites filles a été rendue possible. Pendant que les émissions de télé pour enfants proposaient aux petits garçons des héros qui solutionnent les différends et expriment leur frustration par la violence, elles proposaient aux petites filles de recourir à la séduction. Le string fait partie des outils de séduction mignons offerts aux petites filles avant même la puberté. La proximité des sensations que procure cette séduction avec l’impression de pouvoir des jeunes filles qui expérimentent la prostitution juvénile (au début du moins) n’est pas anodine. On peut bien tourner en dérision les jeunes libéraux qui ont soulevé la question du string à l’école, mais leur préoccupation, formulée maladroitement, n’est pas illégitime.
La solution qu’ils proposent est futile pour trois raisons : elle veut faire disparaître le symptôme du problème plutôt que de cibler la source ; elle recommande de régler le tout par décret, comme par magie ; et elle impose à l’école le soin de régler un phénomène de société à la place de la société.

Toute la société, tous les parents, devraient pourtant s’inquiéter du pouvoir exercé par la télé sur les valeurs et les comportements langagiers, vestimentaires ou sexuels transmis aux jeunes par les médias. Pourquoi la société se soucierait-elle de protéger les citoyens les plus vulnérables, les jeunes, contre la manipulation, et tolérerait-elle que les industries de l’apparence, du divertissement et de la publicité abusent de leur inexpérience ?

Osons voir la réalité en face : les garçons qui se présentent à l’école armés, prêts au combat, comme les jeunes filles qui le font en exhibant leur string, révèlent leur soumission à des modèles dictés par des industries puissantes qui se fichent éperdument du bonheur des enfants. L’influence de la consommation de télévision est pourtant connue, mesurée et abondamment documentée. La corrélation entre l’exposition à la téléviolence et l’agressivité des jeunes est comparable à celle constatée entre le tabagisme et le cancer du poumon. Le même diagnostic peut être posé pour la promotion des tenues vestimentaires des filles et la perception de leur image corporelle. L’incidence existe, quoi qu’en disent les industries du tabac, du divertissement et de la publicité.

Le string n’a pas sa place à l’école. Les jeunes libéraux ont raison de sonner l’alarme. Un jour prochain, souhaitons-le, le personnel enseignant disposera de moyens pédagogiques efficaces pour aider les enfants et les ados à se protéger contre le pouvoir manipulateur des médias. Tous les partis politiques devraient faire front commun derrière cet impératif. L’éducation aux médias permettra à un plus grand nombre d’élèves de décoder les techniques publicitaires télévisuelles utilisées pour les manipuler. Accompagné de cette formation, le recours à la réglementation de la tenue vestimentaire apparaîtra alors moins ostracisant, plus légitime. C’est la soumission aux modèles hollywoodiens qui deviendra ridicule.

L’érotisation précoce des petites filles est nocive à leur croissance et à leur santé mentale. Ce que tous les jeunes, libéraux ou non, gagnent en éducation, les médias (comme tous les pouvoirs économiques et politiques) le perdent en puissance. Le plus urgent, c’est que les enfants et les ados comprennent que les relations superficielles entre garçons et filles proposées (devrait-on dire imposées tant elles sont répétitives) par Musique Plus, la succursale de Much Music, sont aux antipodes du respect, de l’estime de soi, de la responsabilité, de l’égalité et, disons le mot, du bonheur.

Faire porter tout le blâme aux parents est injuste ; le faire porter exclusivement aux commerçants et aux médias ne serait pas pertinent. C’est une responsabilité partagée à laquelle l’école et toute la société doivent collaborer.

Jacques Brodeur est consultant en prévention de la violence, en éducation aux médias et en éducation à la Paix. On peut le joindre à cette adresse et consulter son site EDUPAX.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 août 2005.

Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence

P.S.

P.S.

Suggestion de Sisyphe

Pierrette Bouchard, chercheuse réputée et titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes (Université Laval, Québec) publiera à la mi-septembre, avec deux de ses collaboratrices, un livre intitulé La sexualisation précoce des filles, aux éditions Sisyphe. Pour plus de détails voir ces pages :
 http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1885
 http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1883




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