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Humour, sexisme et partisanerie

26 septembre 2005

par Micheline Carrier

Imaginez un instant que la communauté gaie, à l’occasion d’un spectacle bénéfice, entende deux humoristes déclarer ce qui suit : « Le futur gouvernement du Parti québécois s’est engagé à payer tous les frais de la tenue des jeux olympiques gais à Montréal, en plus de promettre à la communauté gaie des millions d’aide financière. Le PDG de l’organisation de ces jeux, Monsieur Untel, a fait une ultime demande : que la prochaine ministre des Finances, Mme Unetelle, cire ses souliers, pendant que l’aspirant-chef-du PQ-en-avance-dans-les-sondages et, par richochet, aspirant-premier-ministre-du-Québec, Monsieur Untel, lui fait une délicieuse fellation. Ou l’inverse. »

En lisant ce paragraphe, plusieurs penseront peut-être que je suis tombée sur la tête ou que j’ai fini par me laisser imprégner de la culture prostitutionnelle ambiante dont je faisais la critique, il y a quelque temps, sur Sisyphe. (1) Eh bien, sachez que je n’ai fait que changer le contexte, les acteurs et les partis d’un scénario proposé par des individus bien réels. Deux "humoristes", François Patenaude et Christian Vanasse, ont lu ce qui suit lors d’une assemblée syndicale qu’ils étaient invités à animer :

« Le gouvernement du Québec s’est engagé à construire à ses frais la nouvelle usine d’assemblage de Bombardier, en plus de lui consentir encore une fois des centaines de millions d’aide financière. Le PDG de Bombardier, Laurent Beaudoin, a fait une ultime demande : que le ministre des Finances, Michel Audet, cire ses souliers, pendant que Monique Jérôme-Forget lui fait une délicieuse fellation. Ou l’inverse. »(2)

Cette intervention a fait beaucoup rire dans un milieu qui exige qu’on le respecte, qui compte de nombreuses militantes féministes et qui combat supposément le sexisme... Selon la journaliste Louise Leduc, de La Presse, les deux "humoristes" ont été applaudis "à tout rompre" et les chefs syndicaux présents, Claudette Carbonneau, de la CSN, et Henri Massé, de la FFQ, « ne se sont pas dissociés de ces propos ».

Il ne serait probablement pas venu à l’esprit des deux "humoristes" de tenir de tels propos au sujet d’un homme qui aurait occupé le poste de la ministre Jérôme-Forget à titre de président du Conseil du trésor. Si c’était le cas, la bêtise n’aurait pas été plus drôle. Elle relève du genre de propos qu’on tient quand l’esprit est défaillant. Il semble que l’inconscient de certains hommes, de gauche en l’occurrence (à ne pas confondre avec hommes progressistes ou évolués), résiste à considérer que la place d’une femme soit ailleurs qu’au niveau où semble se situer le cerveau de ces messieurs, c’est-à-dire de leur entrejambe. Ces hommes, jeunes et présumément du meilleur cru, ont du mal à concevoir ou à accepter une femme dans un poste politique supérieur (à plus forte raison leurs semblables ont-ils du mal à accepter une femme cheffe de parti...), en particulier si cette femme possède de l’assurance et du leadership. Ils sentent le besoin de la réduire mentalement à ce qu’ils voient d’abord en elle : une servante sexuelle.

L’aut’journal a publié le même genre d’humour concernant la même ministre, il y a un an et demi.(3) Il s’agissait alors d’une caricature de la ministre en bikini, qu’on avait, par malheur, créé pour illustrer mon article sur la pétition présentée à l’Assemblée nationale pour le maintien du Conseil du statut de la femme. Cette caricature m’avait mise en furie. L’aut’journal avait ignoré la lettre de protestation que je lui avais demandé de publier ainsi que la lettre de démission d’Élaine Audet, qui protestait elle aussi contre cette attitude sexiste de L’aut’journal auquel elle a collaboré pendant près de 14 ans.

Il est désolant que la partisanerie l’emporte souvent sur la dénonciation du sexisme le plus bête et le plus avilissant, notamment le sexisme à caractère sexuel, qui reprend du service dans une conjoncture antiféministe. Un regroupement d’adéquistes ou de libéraux aurait traité de la sorte une femme péquiste en position de pouvoir et il aurait suscité à juste titre un tollé général, peut-être même une plainte officielle à quelque instance. Mais il semble, pour certain-es syndiqué-es, que tout soit permis contre un gouvernement qu’ils/elles perçoivent comme "l’ennemi". À tout le moins, leurs chefs pourraient-ils/elles donner l’exemple en dénonçant ce genre de propos et en présentant des excuses à qui de droit. On a beau ne pas aimer des ministres ni leur gouvernement, il y a des limites à ne pas franchir dans une société civilisée qui se veut égalitaire.

Peu de réactions féministes à cet "humour" de bas étage qui ravale une femme politique au rang d’une dispensatrice de fellations, fantasme prostitutionnel dominant oblige. Il y a quelques années, le mouvement féministe canadien avait refusé de dénoncer officiellement l’individu qui avait menacé de viol, sur les ondes d’une station de radio, la fille du premier ministre Brian Mulroney. Le prétexte invoqué : on craignait que le Parti conservateur "récupère" la dénonciation à ses propres fins...

L’humour n’excuse pas tout. Quand on est à court d’idées au point d’être incapable de s’élever plus haut que la ceinture, il est peut-être temps de prendre un congé sabbatique. Ou sa retraite.

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En milieu universitaire

Le sexisme à caractère sexuel se porte bien également en milieu universitaire, comme le dénoncent des étudiantes de l’UQAM et de l’Université Laval. Lire Sexisme et mépris - Boycottons American Apparel et plainte auprès de l’Impact Campus ! par Sandrine Ricci, Laurence Fortin-Pellerin et autres.

Notes

1. « Sexe, argent et intégrisme postmoderne »
2. Louise Leduc, « Des Zapartistes accusés de grossièreté », La Presse, le 24 septembre 2005.
3. « Le sexisme très ordinaire de la gauche médiatique », en ligne le 16 mars 2004.

Micheline Carrier


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