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Tout le monde en parle, de la peste raciste

7 octobre 2005

par Ginette Pelland, professeure et écrivaine

Nombre d’auditeurs de l’émission Tout le monde en parle diffusée le dimanche 26 septembre dernier ont éprouvé un profond malaise à entendre le doc Mailloux évoquer abstraitement et vaguement des "études" américaines qui ont abouti au constat suivant : les Noirs américains dont les ancêtres étaient des esclaves auraient un quotient intellectuel inférieur en raison d’un processus dit artificiel de sélection.

Cette sélection aurait fait en sorte que, parmi leurs ancêtres désignés pour l’esclavage aux Etats-Unis, les plus intelligents seraient morts d’avoir protesté et résisté à cette atteinte à la dignité de leur personne, ce qui expliquerait que les Noirs restants éventuellement utilisés comme esclaves constituaient supposément un contingent d’individus moins intelligents parmi ceux de leur race. Comme ces esclaves sont les ancêtres des Noirs américains actuels, c’est de cette façon que l’on explique leur présumée faible intelligence.

Le seul fait de répéter en ondes une semblable fabulation raciste dénote le manque extrême de jugement du doc Mailloux, d’autant plus quand on sait que les Noirs figurent parmi les deux catégories de personnes les plus socialement discriminées, l’autre groupe étant constitué par les Juifs.

S’il est le moindrement nécessaire de montrer la faiblesse de l’argumentation frauduleuse qui précède, on peut donner l’exemple de Galilée, physicien-astronome du 17e siècle : lorsque l’Eglise catholique l’a traduit devant le tribunal de l’Inquisition parce qu’il émettait des théories contraires à ce que l’Eglise prescrivait aux gens de croire, Galilée a préféré abjurer ses convictions plutôt que de brûler sur le bûcher. Il a donc choisi de vivre, cela même si la police religieuse l’a gardé à vue jusqu’à la fin de ses jours. Dira-t-on que Galilée était stupide parce qu’il a fait le choix de vivre dans des conditions de liberté très limitées ? Bien sûr que non. Eh bien, il en va de même pour les esclaves noirs américains. Ces derniers étaient-ils moins intelligents parce qu’ils ont enduré leur condition d’esclaves plutôt que de mourir ?

Beaucoup d’études dites scientifiques ont déjà été réalisées aux Etats-Unis pour alimenter le racisme de la population blanche face aux Noirs. J’en donnerai l’exemple suivant, également issu des fabulations racistes d’un psychiatre. Il s’agit de Benjamin Rush, considéré comme le père de la psychiatrie américaine. Son portrait orne même le sceau officiel de l’Association Psychiatrique Américaine. Et pourtant, le 14 juillet 1797, Rush lut une communication à la Société Philosophique Américaine dont le titre était :"Observations à l’appui d’une supposition que la couleur noire des Nègres est un dérivé de la lèpre". Cette communication allait dans le sens d’étayer l’idée que les personnes de race noire souffraient en réalité d’une lèpre congénitale dont le symptôme était un excès de pigmentation. Cela seul suffisait à mettre en garde les Blancs contre le danger de frayer avec les Noirs et servait donc la ségrégation raciale aux Etats-Unis.

Dans un chapitre de son livre intitulé Fabriquer la Folie (Payot, Paris, 1976), qu’il consacre au personnage de Rush, Thomas Szasz, lui-même psychiatre de formation mais doté d’une intelligence critique remarquable qu’il applique aussi à son propre champ d’intervention psychiatrique, explique les raisons qui ont incité Rush à considérer la négritude comme une maladie : "Vers 1792, des taches blanches apparurent sur le corps d’un esclave noir, nommé Henry Moss. En l’espace de trois ans, il était devenu pratiquement tout blanc. Moss avait les symptômes d’une maladie héréditaire que nous connaissons désormais, le vitiligo. Cet état se caractérise par une dépigmentation progressive de la peau et affecte aussi bien les blancs que les gens de couleur." (Szasz, op.cit., p.172). L’artiste bien connu Michael Jackson souffre incidemment de cette maladie.

Une fois devenu complètement blanc, l’esclave Moss n’avait plus aucune raison d’être esclave en raison de la couleur de sa peau et il racheta sa liberté. C’est peu de temps après que Rush formula son hypothèse gratuite sur le lien entre la négritude et la peste. Il fallait sans doute, en toute bienveillance, resserrer l’étau de la ségrégation raciale, cela d’autant plus que certains Noirs arrivaient à blanchir.

La fabulation raciste de Rush a pu être transformée en hypothèse scientifique de par l’autorité et le prestige dont il jouissait aux Etats-Unis. C’est ainsi que des études peuvent se parer des oripeaux de la science pour véhiculer des préjugés racistes et conditionner idéologiquement les masses. Il faut s’en méfier et obligatoirement les dénoncer.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 septembre 2005.

Ginette Pelland, professeure et écrivaine


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