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Les féministes silencieuses ?
Quand Mafalda démasque les « supers héros » !
Lettre sur l’antiféminisme

9 octobre 2005

par Michèle Asselin, Suzanne Biron, Lyne Boissinot et Sylvie Lévesque

Dernièrement, la lettre de Madame Navarro dans Le Devoir interpellait les féministes à répondre aux multiples attaques venant des antiféministes. Son hypothèse que nous préférons ne pas jeter de « l’huile sur le feu » est en partie exacte. Mais à cela s’ajoutent d’autres raisons, dont la principale, qui est de consacrer l’ensemble de nos énergies et de nos ressources au travail que nous effectuons avec et pour les femmes. Quoi qu’en disent ces « messieurs » sur les pseudos faramineux budgets de fonctionnement de nos organisations, la réalité c’est qu’ils ne nous permettent pas de dégager des travailleuses à temps plein pour répondre à chaque provocation. Nous sommes forcées de faire des choix et de prioriser nos actions.

Par ailleurs, nous ne sommes pas les seules actrices sociales à être interpellées ! Dans ce vaste soi-disant complot contre les hommes, les représentantEs du système judiciaire et juridique (policierEs, avocatEs, juges) ainsi que les politiciens et politiciennes sont aussi « mis au banc des accusés » et subissent les attaques virulentes de certains masculinistes sans que leur réponse, si réponse il y a, ne fasse l’objet d’une couverture médiatique.

Comme Madame Navarro, nous entendons ce discours depuis plusieurs années et nous y avons répondu plus d’une fois. Toutefois, ces réponses ont-elles un impact réel lorsqu’elles sont faites au cas par cas et sans grand battage médiatique ?

Une stratégie pour discréditer

Tous les efforts faits au cours des dernières décennies pour lutter contre la discrimination systémique vécue par les femmes depuis la nuit des temps, tous les gains et les avancées obtenus par ces luttes sont présentement mis en péril. Ce danger provient des contrecoups du ressac organisé par des groupes d’hommes extrémistes appuyés par des activistes de tout acabit.

Ce travail de sape vise à discréditer le travail des féministes qui interviennent globalement sur l’ensemble des aspects de la vie des femmes (travail, violence sous toutes ses formes, santé, pauvreté, etc.), et fragilise les acquis obtenus suite à de nombreuses luttes. De plus, nous trouvons vicieux l’impact que pourrait avoir ce travail de sape dans la population en général, tant chez les hommes que chez les femmes. À travers le discours antiféministe, on assène des demi-vérités ou des faussetés comme s’il s’agissait de faits, on attribue aux féministes des propos invérifiables, on évite de mettre en contexte des données statistiques, etc. Comment alors, sans être bien informé, peut-on avoir un regard critique sur ce qui est amené et véhiculé par ce discours ? Comment saisir les conséquences de cette désinformation sur la vie des femmes et sur la perception qu’elles ont d’elles-mêmes ?

Suite à des interventions médiatiques ou à des apparitions publiques de certains masculinistes, des manifestations de hargne, sinon de haine à l’égard des féministes, se produisent. Des universitaires féministes, la présidente de la Fédération des femmes du Québec, des représentantes de regroupements ou de groupes de femmes sont souvent prises à partie et cela, sans parler des femmes qui travaillent sur le terrain. Celles-ci sont souvent la cible d’attaques personnelles (lettres de menaces, insultes, diffamations et atteintes à l’intégrité, à la vie privée et à la réputation). Ces attaques se vivent autant dans les communautés d’appartenance que sur les sites webs antiféministes qui se propagent tels des virus, informatiques ou non.

Malheureusement, peu de gens s’indignent de cet état de fait. On laisse faire. N’est-il pas toujours réconfortant d’avoir un bouc ou une « biche » émissaire à se mettre sous la dent ? Que cet émissaire soit, femme, noire, autochtone ou homosexuelle.

Le traitement médiatique

La population a eu droit, depuis le printemps dernier, à une surenchère d’événements antiféministes qui ont occupé l’espace public : un colloque « hoministe », des escalades de croix ou de ponts, des émissions « d’affaires publiques » à grande côte d’écoute, des reportages plus sérieux, des bulletins de nouvelles et des articles de journaux souvent à la recherche de sensationnalisme. Robin, Spider man et leurs amis tirent à bout portant et on leur offre la tribune pour afficher une souffrance réelle malheureusement travestie en mascarade machiste. Sans mettre en doute cette souffrance et l’aide qu’elle nécessite, nous croyons que certains masculinistes manipulent l’opinion publique et interprètent les notions de discrimination systémique, d’équité, de justice et d’égalité entre les femmes et les hommes selon une analyse peu crédible.

Rima Elkouri, dans La Presse du 27 septembre dernier, suite au passage d’un militant-activiste-masculiniste à une émission populaire, posait la question : « Y-a-t-il un journaliste dans la salle ? » Madame Elkouri faisait remarquer que personne sur le plateau de l’émission n’était « capable de poser de vraies questions au militant, d’exiger qu’il accompagne ses accusations de preuves et qu’il remette ses statistiques en contexte au lieu de véhiculer des mythes ». Le « malaise » partagé par la majorité des invitéEs à l’émission était palpable, malaise du genre on est pas nécessairement pour mais on ne peut pas être contre, on n’est pas équipé pour remettre en question, alors vaut mieux se taire.

C’est pourquoi, le rôle critique des journalistes devient si important afin d’éviter des dérapages, tant dans la nouvelle que dans son traitement. Les préjugés et les stéréotypes sexistes sont encore très présents dans notre société. Pensons aux « mémorables » propos du Juge Bienvenue « Quand les femmes s’abaissent, elles le font à un niveau de bassesse que l’homme le plus vil ne saurait atteindre » ou encore à ceux d’un Jeff Fillion ou d’un Gilles Proulx. Comme d’autres acteurs sociaux, les journalistes ont un rôle à jouer dans la recherche d’une information plus rigoureuse qui contribuera à rétablir les faits en évitant d’alimenter les préjugés et les stéréotypes sexistes.

Un appel à tous et à toutes

En terminant, nous lançons un appel à la vigilance de tous et de toutes. Que ce soit dans nos maisons, dans nos lieux de travail, sur la scène publique, nous invitons les gens à remettre en question ces discours qui mettent en péril l’équilibre social et soulève une réaction de mépris et de haine. Nous croyons que les divergences d’opinions ou de visions ne doivent pas mener à ce genre de guerre stérile qui est loin de favoriser la construction d’un monde meilleur, plus juste et égalitaire !

Michèle Asselin, présidente, Fédération des femmes du Québec (159 membres associatives et 700 membres individuelles)
Suzanne Biron, agente de développement, Regroupement provincial des maisons d’hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale (48 maisons)
Lyne Boissinot, présidente, L’R des centres de femmes du Québec (98 Centres de femmes)
Sylvie Lévesque, coordonnatrice, Fédération des Associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (60 Associations)

Transmis par Odile Boisclair, L’R des centres de femmes du Québec

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 octobre 2005.

Michèle Asselin, Suzanne Biron, Lyne Boissinot et Sylvie Lévesque

P.S.

« Le silence féministe », par Pascale Navarro, Le Devoir, 3 octobre 2005.




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