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Commentaire sur l’intervention de Lisette Lapointe
Le Parti québécois a-t-il besoin d’une fausse victime à sa tête ?

7 novembre 2005

par Micheline Carrier

Dans une lettre au journal Le Devoir* empreinte de lyrisme et de démagogie, l’épouse de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau, Mme Lisette Lapointe, pense venir au secours du candidat André Boisclair auquel quatre autres candidats ont demandé récemment d’être plus transparent, soulignant le risque que son élection à la tête du Parti québécois ferait courir non seulement au parti, mais aussi à la cause indépendantiste. Les propos de Mme Lapointe, qu’elle affirme exprimer en "son seul nom", renforcent la position de victime qu’a adoptée André Boisclair depuis le début de la campagne au leadership.

« J’avais jusqu’à maintenant gardé le silence sur ma préférence, mon choix dans cette course, écrit Mme Lapointe. Mais aujourd’hui, avec cette levée de boucliers et cette campagne de dénigrement qui fait rage à ton endroit, je tiens à te manifester ouvertement et publiquement mon appui, ma solidarité, ma confiance. Je le fais à titre personnel et en mon seul nom »*. À quand une intervention de Mesdames Chantal et Audrey, en "leur seul nom", bien sûr ?

Parler de "campagne de dénigrement" quand d’autres posent des questions essentielles est de la pure démagogie. Il y aurait dénigrement si les faits rattachés au passé de ministre de M. Boisclair étaient sans fondement et sans importance pour qui que ce soit. Or, M. Boisclair les a lui-même reconnus. Plusieurs indépendantistes, dont les convictions ne peuvent être mises en doute (Andrée Ferretti, Pierre Vadeboncoeur, André Payette, Victor Lévy Beaulieu, Lise Payette, Pierre Dubuc, Pauline Marois, Jean Ouimet, Gilbert Paquette, et bien d’autres), ainsi que des éditorialistes modérés s’inquiètent des conséquences de ce passé pour l’avenir du Parti québécois et du Québec, advenant que M. Boisclair dirige un jour un gouvernement. Beaucoup d’autres s’interrogent - où est le crime ? - sur la capacité de jugement du candidat André Boisclair et sur sa résistance au stress dans l’exercice du pouvoir. Leur vision dépasse l’immédiat engouement pour un homme auquel on confierait une mission qui pourrait devenir trop lourde pour ses capacités.

Si Mme Lisette Lapointe a tant à coeur l’intérêt du PQ et l’avenir du Québec, elle devrait elle aussi s’en inquiéter. Au lieu de cela, elle essaie d’occulter la gravité de la situation en la ramenant à une affaire de "bien-pensants" fielleux. C’est un procédé démagogique facile qui servira peut-être, dans l’immédiat, la cause personnelle du candidat André Boisclair, mais peut-être pas celle de son parti ni celle du Québec, à long terme.

« Ce n’est pas vrai, écrit Mme Lapointe dans Le Devoir*, qu’on va laisser certains "bien-pensants", qu’ils soient adversaires ou pas, de droite ou de gauche, du bas ou du haut pays, t’asperger de leur fiel parce que ça fait bien, ou parce que ça fait « hot » de s’en prendre à toi. Que celui qui est sans péché... » Les allusions aux propos de la gouverneure générale sont peut-être réjouissantes à lire... quant à l’analyse politique, la lettre de Mme Lapointe en est dépourvue.

Faudrait-il ne parler de rien qui puisse nuire au candidat Boisclair afin de ne pas faire du "dénigrement" ? Dans son clan, c’est ce qu’on semble croire. Certains députés feraient bien de prendre leur retraite, en dépit de leur jeune âge, car on voit mal comment leur absence de discernement et leurs écarts de langage peuvent servir les intérêts de la population - et n’est-ce pas la fonction des élu-es de servir les intérêts de la population, bien que ces temps-ci on ait l’impression qu’il s’agisse plutôt de servir des fins personnelles. Parmi ceux-là, Sylvain Simard, qui a traité d’"enculé de première" le candidat Jean Ouimet, et quelques jeunes députés dont la fragilité de l’épiderme n’annonce rien de bon pour les futures luttes politiques qui pourraient être autrement plus féroces que celles que l’on connaît dans la campagne à la direction du Parti québécois.

Mme Lapointe conclut sa lettre à M. Boisclair : « Merci, André, de ta ténacité. C’est dans l’adversité qu’on reconnaît la force de caractère. Et n’est-ce pas la qualité première qu’on attend d’un chef, d’un leader, d’un premier ministre, avoir du caractère ? »

Il me semble que la "force de caractère" s’accommode mal de la fausse position de victime dans laquelle se campe le candidat André Boisclair depuis le début de sa campagne. Tout ce qui lui arrive de contrariant serait la faute des médias ou des autres candidats à la direction du Parti québécois. Cela n’annonce pas une bien grande aptitude à assumer des responsabilités personnelles et collectives.

Imaginons André Boisclair au pouvoir. L’opposition ou des journalistes lui posent des questions difficiles sur ses choix politiques, par exemple dans le domaine social et, ne jugeant pas ses réponses satisfaisantes, ils insistent. M. Boisclair et ses partisan-es dénonceront-ils la campagne de "dénigrement" ou le "harcèlement" dont le chef serait à leurs yeux victime ? Traiteront-ils de "bien-pensants" tous ceux qui ne partagent pas les vues de leur "héros" ? La moindre opposition entre le Québec dirigé par M. Boisclair et le gouvernement fédéral sera-t-elle vue comme une attaque injustifiée contre le pauvre-petit-gars-du-Québec-attaqué-par-les-gros-méchants-fédéralistes ?

Tout ça n’est pas sérieux ! Si André Boisclair a une telle force de caractère, qu’il le démontre, non pas en s’enfermant dans le silence et en s’accrochant à son bouclier de fausse victime, qui lui attire de la compassion, mais en agissant de manière à placer l’intérêt de son parti et du Québec au-dessus de tout intérêt personnel. C’est là que réside la vraie force de caractère, le vrai leadership et les vrais engagements.

On en a marre d’entendre et de lire, en lieu et place d’analyses politiques, des discours pseudo-judéo-chrétiens sur "la nécessité du pardon", "personne n’est sans péché", "le droit au péché". On croirait entendre des prêcheur-es. On détourne ainsi le propos des vrais intérêts en cause, qui ne sont pas l’ego et la carrière politique de M. Boisclair. Il s’agit de politique et de l’avenir d’un parti, pas de l’ego blessé d’une personne ou de son statut de fausse victime. Il s’en remettra de tout ça, mais le parti et la cause qu’il défend s’en remettront-ils aussi bien ?

Qui a dit qu’on ne fait pas de la politique avec des prières ?

Ne nous reste-t-il qu’à chanter en chœur « Le voici l’agneau si doux », pour affirmer notre vraie allégeance québécoise ?

*Le Devoir, 5 et 6 novembre 2005.

 Lire également : Le Parti québécois élira-t-il son fossoyeur le 15 novembre ?

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 novembre 2005.

Micheline Carrier


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