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André Boisclair, chef du Parti québécois - L’indépendance Tupperware

21 novembre 2005

par Guillaume Hébert, étudiant en science politique

C’est fait : André Boisclair a été couronné roi des péquistes et tous les citoyens du Québec doivent en tirer les conclusions. Jamais l’équipe d’un politicien québécois n’avait poussé aussi loin son marketing électoral au point de vider de toute substance le produit, André Boisclair, afin de le vendre à travers les médias.

C’est la consécration de la troisième phase de la démocratie au Québec, une phase qui se distingue de la deuxième en prenant ses distances avec les bases militantes, avec les grosses machines électorales, avec l’idée de partis politiques s’appuyant sur des bases populaires par leur présence physique dans une pluralité de lieux et d’institutions au sein de la société, et qui s’en remet exclusivement à l’image d’un chef.

On qualifiait le comédien Ronald Reagan de président-téflon tellement toutes les accusations qu’on lui portait, même véridiques, ne pouvaient coller à son image parfaite. Difficile de ne pas faire le lien entre ce Reagan, issu d’un État aujourd’hui gouverné par Arnold Schwarzenegger, et André Boisclair, pour lequel on entend des appuis tels que « malgré tout ce qu’on dit sur lui, il me semble que c’est une bonne personne ».

Pas surprenant que des oppositions se soient manifestées contre ce candidat-téflon même au-dehors du Parti québécois chez des citoyens soucieux du degré de profondeur que connaîtra la politique québécoise au cours des prochaines années. Dans un scrutin téléphonique où la course à la chefferie du PQ se confond avec la méthode de vote retenue à Star Académie, on ne peut que s’étonner du fait que la direction du parti n’ait pas décidé de procéder chaque semaine à l’élimination d’un candidat après le débat du mercredi soir.

L’engouement que suscite Boisclair est de même nature que celui dont avait un moment bénéficié Mario Dumont, chef de l’« ADQ-Équipe Mario Dumont ». La recette est simple : l’image impeccable d’un chef qui incarne la jeunesse, la beauté, l’honnêteté (que cela soit vrai ou faux) et l’absence de positions claires.

Ainsi, Dumont avait eu l’idée géniale de ne plus prendre position sur la question nationale. Cela lui avait valu une popularité subite sans précédent qui s’est évaporée tout aussi rapidement lorsqu’il a prêté serment au Canadian Club à Toronto. Son erreur n’était pas un prétendu choix fédéraliste mais le simple fait de s’être remis à faire de la politique au lieu de soigner son image sans faire de vagues. Les conseillers de Boisclair, eux, n’ont pas commis cette erreur.

Une scène politique clarifiée

Les progressistes doivent quitter le Parti québécois, car ce ne sont pas les histoires de cocaïne de l’ancien ministre qui font craindre pour l’avenir de notre société mais bien ce que démontre l’élection à la chefferie d’un personnage pragmatique tel André Boisclair : un échiquier politique constamment plus à droite. Cela n’aura pas échappé aux membres du club politique SPQ Libre à l’intérieur du PQ. Ceux-ci ont tenté une manoeuvre désespérée en s’alliant à une Pauline Marois qui, à défaut d’être progressiste, recherchait tout aussi désespérément des appuis dans une course à la chefferie où elle tirait de l’arrière.

Mais l’élection de Boisclair aura au moins eu un effet bénéfique pour tous les citoyens : celui de clarifier la scène politique québécoise. En effet, le PQ est un parti de droite et la gauche n’a plus de prise sur lui. Récemment encore chef et ministre de ce parti, Lucien Bouchard et Joseph Facal ont eux aussi contribué à cet éclaircissement en signant un manifeste néolibéral.

Les progressistes ne doivent plus céder au vieux chantage péquiste qui est parvenu à kidnapper le projet d’indépendance du Québec et qui, au fil des ans, en aura fait une marque de commerce, une fin plutôt qu’un moyen, un projet vide. Le PQ propose un État mais pas de pays. [...] Il propose une indépendance bidon, fabriquée à coups de slogans réducteurs et de relations publiques, un projet élitiste et essentiellement publicitaire indigne des Québécois : une indépendance-Tupperware.

Avant le PQ

La volonté indépendantiste n’est pas née avec le PQ. Avant lui, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) avait largement disséminé cette idée dans la population du Québec. Or ce petit parti politique, qui, par son interférence, avait fait perdre les élections de 1966 au Parti libéral du Québec, était né à Morin-Heights d’une fusion entre le Mouvement socialiste (où on trouvait de nombreuses personnalités regroupées autour de la revue de gauche Parti pris) et l’Alliance laurentienne (héritière d’un vieux nationalisme fondé sur la langue et la foi).

Plus tard, ce parti s’était sabordé et avait enjoint à ses membres de rejoindre le jeune et dynamique Parti québécois, qui proposait à cette époque un projet de société auquel la gauche québécoise apportait un élément indispensable. C’est donc en se liant à un idéal de gauche que le PQ a pris son essor. Trente ans plus tard, il y a longtemps que les mouvements sociaux ont quitté ce parti et que l’aile gauche, déprimée, n’y exerce plus qu’une influence négligeable.

En 2006, les progressistes québécois rejoindront le nouveau parti politique qui naîtra en janvier de la fusion de l’Union des forces progressistes et d’Option citoyenne (UFP-OC). Cette nouvelle formation connaît actuellement une grande effervescence en vertu de sa capacité à intégrer des idées nouvelles. [...] Le nouveau parti UFP-OC risque fort bien de recevoir très tôt l’appui de divers mouvements sociaux, de syndicats, de l’aile de gauche marginalisée du PQ (rappelons que le SPQ Libre a déjà tenu des conférences conjointes avec l’UFP-OC) et, pourquoi pas, de certains libéraux honnêtes citoyens bien conscients des incohérences du PQ et brusqués par les politiques rétrogrades du gouvernement Charest.

L’indépendance que défendra le nouveau parti de gauche sera tributaire d’une assemblée constituante sensible aux possibilités qu’offre la démocratie participative et non pas d’une stratégie électoraliste élaborée par quelques individus au sein d’un parti. En outre, l’indépendance deviendra un outil dans la réalisation d’une société plus juste et qui saura s’inspirer des avancées actuelles au niveau mondial plutôt que de sombrer dans l’à-plat-ventrisme que suggèrent les secteurs de droite, hypnotisés par un modèle anglo-saxon qui requiert la destruction du modèle de société original construit par les Québécois depuis la Révolution tranquille.

Si le Québec choisissait la voie que proposent actuellement Lucien Bouchard et André Boisclair (qui, somme doute, ressemble fort à celle de Jean Charest et Paul Martin), le projet indépendantiste perdrait toute sa substance et, par ce fait même, sa raison d’être.

Reproduit du journal Le Devoir (17 novembre 2005) avec l’autorisation de l’auteur.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 novembre 2005.

Guillaume Hébert, étudiant en science politique


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