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Le système de la prostitution : une violence à l’encontre des femmes

8 janvier 2006

par Malka Marcovich, historienne

La Commission nationale contre les violences envers les femmes a été mise en place le 29 janvier 2002 par Nicole Péry, Secrétaire d’État aux Droits des femmes et à la formation professionnelle. À la demande de cette dernière, le premier sujet sur lequel s’est penchée la Commission est celui de la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Sisyphe présente un extrait de l’important rapport de cette Commission présidée par Adeline Hazan, dont Malka Marcovich était rapporteure. Le rapport a été publié le 5 mars 2002. On trouvera à la fin de cet extrait le texte intégral à télécharger en format word.



I. Le système de la prostitution, contexte géopolitique en France

1. Affirmation de la position abolitionniste de la France au niveau international

Lors de la Conférence internationale des Nations Unies sur les Femmes, Beijing + 5, qui s’est tenue en juin 2000 à New York, la Secrétaire d’État aux Droits des femmes, Madame Nicole Péry, a affirmé avec force que la prostitution et la traite aux fins d’exploitation sexuelle constituaient une violence à l’encontre des femmes. Pour la première fois, la France proclamait solennellement ce principe symbolique ; elle a été saluée, à ce titre, par de nombreuses associations de femmes à travers le monde. Cette confirmation de l’attachement de la France aux dispositions de l’article 6 de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes - CEDEF/CEDAW - (1), ainsi qu’à celles de la Convention du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui, n’avait pas été formulée avec une telle vigueur depuis de longues années dans une enceinte internationale.

Quelques semaines auparavant, le 17 mai 2000 précisément, Madame Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la solidarité, soutenait la position abolitionniste de la France à l’Assemblée nationale à l’occasion d’une question au gouvernement. De même, en juin 2000, lors des négociations à Vienne pour la Convention (2) des Nations Unies sur la criminalité transnationale organisée et son protocole sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, la délégation française a adopté une position déterminante afin que les termes retenus, s’agissant de la définition de la traite, ne constituent pas une régression par rapport aux principes universels défendus dans la Convention de 1949, la CEDAW et la Convention relative aux droits de l’enfant.

Depuis plusieurs années, en effet, en raison des divergences fondamentales d’approche entre les pays de l’Union européenne, le mot prostitution est évité et tend même à disparaître des textes pour ne pas risquer de casser un nécessaire consensus. Le sursaut politique de la France, lors des négociations à Vienne, a permis d’insuffler un élan générateur de nouvelles interrogations sur la prostitution et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. Lors de cette négociation ardue, la France a été soutenue dans ses positions par de nombreux pays d’Asie, d’Amérique Latine et d’Afrique. Cent quarante ONG des Droits humains et des Droits des femmes, sous l’égide du Réseau international des droits humains, se sont mobilisées à travers le monde afin d’empêcher que cette nouvelle convention internationale ne soit en contradiction avec les textes universels existants. Durant la session de juin 2000, à la suite des pressions exercées par certains pays ayant des intérêts conséquents dans l’industrie du sexe et alors que la définition de la traite semblait en danger, risquant en cela de signer la mise à mort déguisée de la Convention du 2 décembre 1949 et de l’article 6 de la CEDAW, la France a sans équivoque réaffirmé les principes abolitionnistes. Cette parole sans compromission, émanant d’un pays ayant un poids conséquent dans le système des Nations Unies, a ouvert une voie autorisant à une écrasante majorité de pays, à libérer une parole et, pour la première fois, à « briser un silence » qui régnait depuis de nombreuses années dans les discussions internationales et régionales sur ces sujets (3).

2. Les incohérences de la position française dans son application sur le territoire national, le rapport de la Sénatrice Dinah Derycke

Alors que la France affirmait ces principes sur la scène internationale, il devenait urgent de se pencher plus avant sur les politiques mises en place au niveau national. Ces dernières étaient-elles cohérentes avec la position abolitionniste que la France défendait avec tant d’ardeur sur la scène internationale ? La délégation du Sénat aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sous la présidence de la sénatrice Dinah Derycke - qui suivait de très près les négociations en cours au niveau international - engagea une réflexion sur les politiques publiques de lutte contre le système de la prostitution en France. Il est significatif que le premier rapport d’activité de la délégation, créée en vertu de la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999, ait été consacré plus spécialement à ces questions. Comme le souligne l’introduction de ce rapport, la prostitution est un « problème complexe, voire insoluble, sujet politique peu porteur », elle « est rarement abordée par la classe politique ». « Elle touche directement aux rapports hommes/femmes dans nos sociétés, au problème de l’égalité ou plutôt de l’inégalité des sexes. »

A la suite de ce rapport mettant en lumière certaines incohérences fondamentales dans l’application de la position abolitionniste de la France, le Premier Ministre Lionel Jospin a chargé la Sénatrice Dynah Derycke d’une mission temporaire auprès du ministère de l’Emploi et de la solidarité (4). Frappée par la maladie au printemps 2001, Madame Dinah Derycke n’a pas pu s’acquitter de ce mandat. (5)

3. La traite des personnes dans l’actualité

Après la signature à Palerme de la Convention CTO et du Protocole sur la traite des personnes, et face à l’urgence de la situation en France, plusieurs associations ont accepté de s’unir sur un texte commun rédigé à l’initiative de monsieur Philippe Boudin, ancien Directeur du Comité Contre l’Esclavage Moderne et de madame Claude Boucher, directrice des Amis du Bus des femmes (6).

Aucune association luttant contre les violences à l’encontre des femmes, aucune association féministe travaillant sur la traite et la prostitution depuis de longues années, n’a été sollicitée pour participer aux travaux de cette plate-forme (7). Par ailleurs, dans le texte de la plate-forme, les seules références aux instruments internationaux sont l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et le nouveau protocole des Nations Unies sur la traite des personnes. En revanche, aucune référence à la convention de 1949 ou à l’article 6 de la CEDAW n’y figure.

Le but louable de cette plate-forme était de mobiliser les politiques contre le fléau que constitue la traite des êtres humains et, plus particulièrement, d’attirer leur attention sur le fait que les victimes ne bénéficiaient d’aucune réelle protection sur le territoire français. Les associations soulignaient, alors, que tout ce qui pouvait être entrepris tenait plutôt du « bricolage ».

Afin de permettre à ces associations très différentes - abolitionnistes, santé communautaire ou droits de la personne humaine - de mener ensemble un travail efficace, il fut décidé que seule la problématique de la traite serait analysée en la distinguant de la prostitution pour éviter de susciter un débat contradictoire.

Au lendemain de la victoire à Vienne sur la définition de la traite, des plates-formes de ce type ont été élaborées dans d’autres régions du monde, tentant de réunir des associations pro-prostitution et abolitionnistes. L’argument utilisé est toujours le même : « sur la traite nous sommes tous d’accord, évacuons du débat le sujet de la prostitution » (8).

Interpellée par la plate-forme, madame la députée Christine Lazerges, vice-présidente de l’Assemblée nationale, impulsa en mars 2001 la création d’une Mission d’information commune sur les diverses formes de l’esclavage moderne.

Dans le courant de l’année 2001, d’autres groupes de travail ont également été mis en place, dont celui du Conseil national de l’aide aux victimes (CNAV) rattaché à la chancellerie. Enfin, la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes du Conseil économique et social a rédigé une étude intitulée « L’esclavage moderne en France », finalisée le 12 décembre 2001.

Notes

1. L’article 6 de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes (CEDAW, 1979) précise que les États parties doivent prendre "toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour supprimer sous toutes leurs formes, le trafic de femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes".
2. Voir guide du Nouveau protocole des Nations Unies sur la traite des personnes, par Dre Janice Raymond, publié sous l’égide du Collectif article premier, le Lobby européen des femmes, L’Association des femmes de l’Europe méridionnale, la Coalition contre la traite des femmes et le Mouvement pour l’abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexiste. (publication en espagnol également soutenue par la Direction Générale de la femme du gouvernement de Madrid).
3. Dans le cadre des dispositions de l’article LO 297 du code électoral, publié au JO le 17 février 2001.
4. Dinah Derycke est décédée le 20 janvier 2002. Ses obsèques eurent lieu le 24 janvier 2002, précisément le jour où la nouvelle proposition de loi concernant les différentes formes de lutte contre l’esclavage aujourd’hui était présentée à l’Assemblée nationale en première lecture.
5. A son origine, la plate-forme comptait l’Amicale du Nid, l’ALC Nice, Autres regards, Antigone, les Amis du Bus des femmes, la Ligue des droits de l’Homme, la CIMADE et Philippe Boudin à titre personnel. A ce jour, la CIMADE et La Ligue des droits de l’Homme ont quitté la plate forme.
6. Comme la Coordination française pour le Lobby européen des femmes, le Collectif droit des femmes, la Marche mondiale France, Le Collectif féministe contre le viol, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, l’Association des femmes de l’Europe méridionale, le Mouvement pour l’abolition de la prostitution et de la pornographie et toutes formes de violences sexuelles et sexistes qui représente la Coalition contre la traite des femmes Europe.
7. Dans le même sens, on retrouve ce nouveau type d’approche lors de l’audition publique du 27 novembre 2001 organisée par la députée européenne Martine Roure : « nous ne traitons pas du sujet de la prostitution, mais de la traite des êtres humains et la traite des femmes en particulier. Nous ne mélangerons pas les deux sujets ainsi nous éviterons d’aborder des sujets qui ouvriraient d’autres portes et qui nous permettraient de discuter pendant des heures. »
De même, Monsieur Serge Delheure, directeur de la DDASS des Bouches du Rhône ouvrait la conférence « prostitution : singulier…plurielle » organisée par l’association Autres regards par ces mots : « je n’ouvrirai pas ici le débat abolitionnisme/réglementation, parce que nous n’avons pas à partir sur des dogmes. »
8. Le rapport final a été enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2001.

 Téléchargez le document intégral en cliquant sur l’icône ci-dessous.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 janvier 2006.

Malka Marcovich, historienne

P.S.

Voir également Guide de la Convention de 1949, sur le site de la CATW.




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