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Jeux olympiques 2006 : félicitations, les filles !

7 mars 2006

par Johanne St-Amour

Aux Jeux olympiques d’hiver de Turin, en février 2006, les athlètes féminines canadiennes ont gagné plus de médailles* que les athlètes masculins ? Il n’y a pas lieu de se réjouir ! C’est en partie ce que rapporte Le Soleil** du vendredi 24 février. En fait, dans une mini-enquête, on tente d’expliquer le « phénomène ».

M. Bernard Arcand, anthropologue de l’Université Laval, affirme que le succès des femmes traduit leur fougueuse façon de conduire. Ce Monsieur se serait fait frapper dernièrement par une jeune conductrice, détentrice d’une voiture de couleur rouge (!), cellulaire d’une main, rouge à lèvres de l’autre, souligne-t-il ! Autrement dit, un conseil donc : si vous rencontrez des athlètes auréolées ou en devenir ou de simples jeunes femmes au volant d’une voiture, surtout d’une voiture rouge, tassez-vous, diantre ! Mais quelle généralisation. Ça doit être le choc post-traumatique.

Le même anthropologue dit : « Nos filles sont bonnes en sport parce qu’elles ont le droit de faire du sport. Alors que la jeune algérienne, par exemple, risque pratiquement sa vie si elle ose se montrer en culotte courte ». Chanceuses donc, nos athlètes féminines ? Et pour les gars, c’était naturel ou c’était un droit ? C’est fou ce que ça donne le goût d’étudier en anthropologie à Laval ! Et ce cher professeur continue - tenez-vous bien : « ...le monde leur appartient ... Tandis que nos garçons sont accablés, inquiets et se suicident... L’approche actuelle de la vie n’est pas du tout la même chez les deux sexes ». Autrement dit, une des raisons majeures du succès des filles est l’opportunité - ou la permission - que « certains leur ont offerte » de s’épanouir dans plusieurs activités, pas vraiment à cause de leurs forces, de leurs qualités, de leurs aptitudes ou de leurs talents. Par le fait même, on a « fermé » les opportunités aux gars ! Mais, consolez-vous (les gars ?), ça va changer car « [Q]uand survient un grand danger, nous voyons réapparaître les preux chevaliers. Rappelez-vous la crise du verglas au Québec. Ce sont des hommes que nous avons vus à l’œuvre. Des bûcherons, des monteurs, etc... », de continuer le même interlocuteur. Une tornade avec cela ? Les sourcils m’en défrisent ! Et les infirmières, et les médecins-femmes et les employées - féminines - des villes touchées lors du verglas ??? On assiste ici, encore une fois, à la nostalgie de l’homme Zorro, l’homme-héros.

En passant, on pourrait rappeler à M. Arcand que le suicide est un phénomène de société. Le suicide n’est pas réservé aux hommes, la détresse n’a pas de sexe. Les statistiques démontrent que les moyens drastiques employés par ceux-ci font malheureusement augmenter le taux de suicide accompli, si je puis dire, les tentatives étant par ailleurs comparables chez les femmes et chez les hommes.

M. Jean-Marie de Koninck, mathématicien à la même université, approuve l’éminent anthropologue et ajoute que les gars sont devenus négligents. « Mais en voyant par exemple les filles dominer la médecine, ils vont finir par réagir, c’est clair. » Compris les filles : interdit de dépasser les gars, les gars ne le prendront pas ! Qui a dit que l’égalité entre les femmes et les hommes était acquise ? Pour certains, l’égalité signifie probablement que les femmes doivent demeurer « en nombre égal » aux hommes surtout dans les domaines valorisés. Avant d’être un fait, l’égalité (d’accès) devra d’abord continuer à conquérir les mentalités. Celles-ci sont toujours les plus difficiles à changer.

Plus subtiles sont les explications à caractère physique : « Les filles sont plus grandes et plus fortes qu’avant, plus rapides, elles sautent plus haut. » Yé ! Où sont les statistiques scientifiques là-dessus qui pourraient étayer cette soi-disant vérité, et ces caractéristiques ont-elles vraiment de l’influence ? Si elles sont exactes, ces caractéristiques ne joueraient-elles pas pour toutes les femmes de tous les pays ? Je n’ose pas imaginer la grandeur des compétitrices du début du 20e siècle ! Quels efforts elles ont dû faire ! J’en ai des sueurs froides !

Ou encore, on donne l’explication psychologique : « Le concept d’équipe est plus ‘naturel’ pour les filles » ! Bien sûr, les joueurs de hockey, notre sport national, par exemple, n’ont sûrement pas développé ce petit « plus » (en tous les cas, ils ne l’ont peut-être pas exprimé aux jeux de 2006). Psychologiquement aussi, elles sont plus stratégiques apparemment, et elles se servent de leurs stratégies là où les gars misent sur leurs forces et leur vitesse, continuent les « analystes ». À défaut d’être crédible, ça fait sérieux.

Heureusement, une voix discordante dans ce drôle de concert de préjugés, David Levasseur, entraîneur de basketball au Séminaire Saint-François, balaie toutes ces prétentions : « Des fois, j’ai l’impression que ce sont les entraîneurs qui décident que les filles jouent en équipe et les gars individuellement, et qu’ils les coachent ensuite de cette façon-là. Si on coachait dans un état d’esprit parfaitement neutre, je pense que les résultats seraient sensiblement les mêmes. » Les journalistes ont aussi demandé son avis à une femme, parmi tous ces spécialistes masculins. Dominique Maltais, médaillée des jeux de Turin, souligne le dépassement, le désir de gagner, la volonté de plus en plus de femmes de montrer que des femmes peuvent réussir dans tous les domaines.

Le fait qu’on désire expliquer le succès des filles sous-entend pratiquement qu’il n’est pas « normal », que certaines personnes n’acceptent pas ce phénomène et, qu’en plus, elles le prennent comme un affront. Cela traduit une difficulté d’accepter l’émancipation des femmes. C’est drôle qu’on n’ait jamais senti le besoin d’expliquer le phénomène du succès des gars. C’est vrai que la compétition, ils doivent avoir ça dans le sang !

L’important n’est-il pas qu’un plus grand nombre de femmes - et d’hommes - aient pu participer aux jeux et aient gagné. Pourquoi tout simplement ne pas féliciter très fortement nos athlètes féminines... et masculins, bien sûr !

Notes

*Elles ont gagné en effet 16 des 24 médailles du Canada, qui s’est classé troisième, après les Etats-Unis et l’Allemagne. C’est jusqu’ici la meilleure performance du Canada à des Jeux olympiques.
**Le Soleil du 24 février 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er mars 2006

Johanne St-Amour


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