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« Nous sommes Charlie »
17 janvier 2015
par
Les récents attentats terroristes à la rédaction du journal Charlie Hebdo et dans un Hyper Cascher ont suscité, après un temps de sidération, un fort élan de solidarité national et international. L’équipe de rédaction du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » se sent profondément touchée et concernée par cette insoutenable atteinte à la liberté d’expression, pilier essentiel de la démocratie.
En janvier 2006, à l’époque de l’affaire des caricatures de Mahomet, nous avions publié un communiqué de presse (paru dans le bulletin de février 2006) que nous avions adressé, en soutien, à Charlie Hebdo. C’est ce texte que vous trouverez ci-dessous. En effet, il nous semble que les problèmes qui y sont soulevés restent en grande partie d’actualité. Il est donc temps d’affronter une situation qui s’est complexifiée depuis, pour y apporter des solutions.
*** À propos des caricatures sur Mahomet parues dans la presse, février 2006
Les caricatures de Mahomet ont provoqué des réactions massives allant parfois jusqu’aux délires les plus outranciers. On a pu observer surtout de beaux exercices de récupérations et de manipulations dans la mesure où l’identité des populations concernées a été accaparée par des acteurs politico-religieux qui prétendaient en être les seuls représentants. Cette lame de fond a pu surprendre. Pourtant, elle devient plus compréhensible si on la replace dans les bouleversements qui ont affecté les pays musulmans dans les vingt dernières années.
Les difficultés économiques et sociales ont largement contribué au développement des mouvements islamistes « qui voient dans l’Islam une idéologie politique qui considère que l’islamisation de la société passe par l’instauration d’un état islamique, et pas seulement par la mise en œuvre de la charia ». (Olivier Roy) Alors que, dans les années soixante-dix, ces mouvements se montraient à la fois conservateurs en politique intérieure et nationalistes, à partir de 1980 se produit une réislamisation des pays musulmans dans tous les domaines ; pour lutter contre les courants radicaux, certains États cherchent à instituer un « islam officiel » en s’appuyant sur des religieux très conservateurs.
C’est dans ce contexte que, au Bangladesh, l’écrivaine Taslima Nasreen, condamnée à mort pour blasphème, a dû s’exiler. Elle avait osé dénoncer le patriarcat religieux pour réclamer la laïcité de la loi et la libération des femmes. À partir des années 90, se créent des mouvements qui donnent la priorité à une lecture littérale du Coran et qui s’adressent à l’ensemble de la communauté religieuse, ainsi qu’aux émigrés. C’est à cette époque que dans de petites mosquées, en Europe, des imams incitent des jeunes filles à se voiler. Enfin, apparaît une nouvelle génération, cosmopolite, qui passe au terrorisme.
Lorsqu’une société est en mutation, en crise, ou se juge attaquée, on charge les femmes d’incarner la stabilité, l’identité et ses symboles. C’est pourquoi les féministes ont été très attentives à ces changements, d’autant plus que les femmes sont les premières victimes des intégrismes religieux. Ainsi, la conférence de l’O.N.U. sur la Population, au Caire, en 1993, a suscité de terribles campagnes : le simple fait d’évoquer les questions démographiques était blasphématoire.
Lors de la Conférence mondiale sur les femmes, à Pékin en 1995, l’union sacrée de l’intégrisme catholique et musulman s’est violemment opposée aux droits des femmes liés à la sexualité et à la reproduction. Comment ignorer les luttes des femmes iraniennes contre le port du tchador, les résistances des femmes algériennes au diktat des intégristes ! Le dynamitage des bouddhas géants en Afghanistan a aussitôt provoqué un tollé de la presse et des institutions internationales, alors que la situation des femmes afghanes, privées de leurs droits fondamentaux, les avait laissées de marbre.
Les États occidentaux ont aussi une grande part de responsabilité puisqu’ils soutiennent des régimes dictatoriaux, corrompus, avant de se retourner contre eux, en fonction de leurs intérêts. En politique intérieure, des élus français ont préféré acheter la paix sociale en livrant des cités aux imams. La mixité des lieux publics a été contestée, voire attaquée, et ils ont laissé faire.
En Norvège, on a toléré que des jeunes filles, issues de l’immigration, soient arrachées à l’école et mariées de force. Les appels au secours de celles-ci auprès des services de la protection de l’enfance sont restés vains. Seuls des cas particulièrement tragiques ont provoqué un changement d’attitude chez les dévots du relativisme culturel.
Récemment, dans l’État de l’Ontario (Canada), il a fallu une mobilisation nationale des femmes canadiennes de culture ou de confession musulmane, relayée par une vaste campagne internationale, pour que le gouvernement daigne abandonner son projet de tribunaux islamiques concernant le droit familial. Ces démissions des pouvoirs publics sont intolérables.
Enfin, il est temps de briser la représentation d’un « monde musulman » comme une entité monolithique. Rappelons qu’au cours du 20ème siècle, des féministes, des courants politiques, des juristes ont proposé des mesures visant à démocratiser leur pays et à émanciper les femmes. De nos jours, des démocrates, des associations de femmes, des journalistes et bien d’autres luttent pour soulever la chape de plomb. Faisons-les connaître, soutenons-les, donnons-leur la parole, invitons-les aux Forums Sociaux mondiaux.
« Il n’existe pas quelque chose comme le choc des civilisations, ainsi que les Bush et Ben Laden voudraient nous le faire croire.
Le choc dans le monde d’aujourd’hui est entre fascistes et anti-fascistes. » (Réseau international Femmes Sous Lois Musulmanes, 26/01/2005).
Cette approche ouvre une autre perspective qui traverse les frontières nationales, ethniques et religieuses.
Février 2006
Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 mars 2006 et mis à jour le 17 janvier 2015