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Haïti : Intimidation inacceptable d’une victime de viol

2 avril 2006

par Olga Benoît et Yolette A. Jeanty

Port-au-Prince, 13 mars 2006

Lettre ouverte au Bâtonnier de l’Ordre des Avocat-e-s de Port-au-Prince

Me Gervais Charles

Monsieur Le Bâtonnier,

La Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP) en appui à l’appel de la SOFA* voudrait attirer votre attention sur certains écarts constatés dans le déroulement du procès en Assises Criminelles sans assistance de Jury, de Éliphète Beljean et de Mackenson Pierre, deux (2) des cinq (5) accusés du viol de l’adolescente de 16 ans, Yveline Adrasse, et de sa mère, Marie Carmelle Jules.

Un interrogatoire brutal

Au moment d’interroger la mère d’Yveline plaignante et victime, intervenant à la barre le jeudi 9 mars dernier pour témoigner des faits suivant la demande du juge, les avocat-es du Conseil de la Défense se sont montré-es offensant-es et sans compassion en exigeant de la victime d’expliquer les circonstances du viol et de décrire dans le menu détail et avec précision le déroulement du viol collectif et répété, y compris la posture physique qu’elle avait au moment de l’agression. Ceci, sans faire état à d’autres étapes de l’interrogatoire où ces avocats acculaient la plaignante-victime, en la forçant à reprendre la scène du viol de sa fille, sans considération envers sa souffrance profonde et l’assassinat tragique et odieux de celle-ci qui s’en est suivi, quatre (4) mois après le crime de ce double viol collectif.

Cette situation, M. Le Bâtonnier, a dénoté clairement un manque d’éthique du Conseil de la Défense, méprisant toute la déontologie judiciaire, en particulier dans ce cas précis d’un Tribunal siégeant sur un cas de viol. D’où nos vives préoccupations qui nous portent à formuler les interrogations suivantes.

Questions sur l’éthique du tribunal

A-t-on le droit, au nom de la loi, d’humilier une personne et de s’attaquer sans réserve à sa dignité ? Peut-on sommer une femme, violée et sodomisée successivement par quatre (4) hommes dans une période de moins de trois heures, à revivre l’agression subie ? Peut-on sans ambages se moquer d’une mère qui, tout en endurant l’agression et les menaces de cinq (5) hommes, de surcroît devait assister, impuissante, au viol répété de sa fille de 16 ans par quatre (4) individus ? Est-ce qu’il est permis, au nom de la loi et de la justice d’agir sans considération des droits de la personne ? L’application de la loi est-elle sous-tendue par la déshumanisation ? Un jugement équitable ne suppose-t-il pas le respect des principes relatifs aux droits de la personne à tous les niveaux ?

La façon dont les questions ont été formulées et présentées à cette femme, doublement victime, nous porte à douter du sens de professionnalisme des avocat-es du conseil de la défense. S’agissait-il de sa mise en accusation ? Cherchaient-ils/elles à prouver l’innocence de leurs clients ou à torturer la plaignante ? De telles pratiques sont contraires aux prescriptions de la Constitution haïtienne qui contient, dans ses articles 17-18, des dispositions relatives à la jouissance des droits civils et politiques de tous les citoyens/citoyennes haïtiens/haïtiennes sans distinction de sexe, et également de la Convention Belem do Para, ratifiée par Haïti, et qui, en ce sens, « ... fait partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires » - (art. 276.2). Dans cet ordre d’idée, nous tenons à citer particulièrement :
 l’Article 3 de cette dite convention : « Toute femme a droit à une vie libre de violence, autant dans le domaine public que privé » et ;
 l’Article 4 b) « Le droit à ce que soit respecté son intégrité physique, psychique et morale ».

Manœuvres abusives des avocats de la défense

M. Le Bâtonnier, nous sommes préoccupées de la manière dont la défense s’active à s’enliser dans une démarche dilatoire démesurée depuis le début du procès, le 8 mars 2006. La défense a affiché une volonté manifeste de retarder les débats devant conduire au verdict du juge. Un procès en assises criminelles sans assistance de jury, qui aurait pu durer deux (2) heures, va en être à son troisième jour, alors que le débat n’est pas encore entamé. Quel est le vrai motif de cette longue et outrancière procédure ? Cette manoeuvre viserait-elle à épuiser la plaignante, et à s’attaquer à sa dignité en la contraignant à revivre, durant plusieurs jours des humiliations déjà vécues, de la part de ses agresseurs ? » (Tel qu’elle l’a reconnu devant la Cour.)

Sachant ce qu’est la souffrance d’une femme violée et les douleurs que peut éprouver une mère après la perte de son enfant, la CONAP, d’accord avec la SOFA, estime que les avocat-es de la défense devaient faire montre de plus d’éthique et de célérité pour que ce procès ait lieu dans le respect des droits des deux (2) victimes, suivant les prescriptions de l’article 4-g de la Convention Belem do Para qui dit ceci : « Le droit à un recours simple et rapide devant les tribunaux compétents, qui la protègent contre les actes qui violent ses droits ».

Nous vous demandons, M. Le Bâtonnier, d’agir pour faire prévaloir la déontologie du Droit pour que ce procès ait lieu dans le respect des droits de la personne. Et également, pour qu’enfin les débats puissent se dérouler suivant les normes de professionnalisme - que l’éthique soit recommandée à l’égard de la dignité de la femme victime-plaignante et de sa fille.

Certaines que vous adhérez aux principes évoqués dans la présente lettre ouverte, nous vous demandons instamment de prendre les dispositions qui s’imposent afin de préserver la réputation et la noblesse de la profession et de déléguer un observateur de l’Ordre aux dites assises, et ce sera justice.

Patriotiquement,

Pour la CONAP : Olga Benoît et Yolette A. Jeanty

* En créole : Solidarite Fanm dAyiti

C.C. Presse nationale et internationale parlée et écrite ; Cabinet Laurent ; RNDDH ; Organisation nationales et internationales de Défense des droits des femmes ; Organismes nationaux et internationaux de Droits Humains ; Archives.

Source : Lody Auguste.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 mars 2006.

Olga Benoît et Yolette A. Jeanty


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