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Coupe du monde de football
Campagne contre la traite des blanches de l’Europe de l’Est

29 juillet 2006

par Manola Romalo, journaliste

Traduit du roumain par l’auteure.



« Stoppez la prostitution forcée » a été le mot d’ordre de la plus importante campagne de l’histoire de l’Allemagne. D’après certains experts, à l’occasion de la coupe mondiale de football, autour de 30 000 femmes arrivées en Allemagne pour « services sexuels » sont originaires d’Europe de l’Est. Des spécialistes allemands nous ont décrit les cas de trafic de femmes venues de Roumanie.

« Nelly (nom fictif, n.a.) a eu de la chance : elle n`est restée que six semaines aux mains des proxénètes. Elle a réussi à s’enfuir avec l’aide de voisins. Ils l’ont emmenée dans un centre d’aide aux victimes. Mais pas beaucoup de personnes prennent un risque dans telles situations... », relate Ingrid Bell, réalisatrice de films documentaires à la télévision allemande. La journaliste de Munich (née en 1967) s’est spécialisée dans les investigations sur le trafic des femmes de Roumanie et de Bulgarie. Ce reportage où elle décrit le cas de Nelly a été diffusé mercredi, le 21 juin 2006. (SWR, 22.30 heure de Roumanie.)

Leurrée, elle a dû se prostituer en Allemagne

En mai 2005, une voisine propose à cette collégienne de 15 ans un « bon job » comme femme de chambre, pour deux mois en Allemagne. Arrivée en Bavière, la « trafiquante » enferme Nelly dans un appartement où défilent proxénètes et clients. Nelly est battue, violée, on lui confisque son passeport et son portable. (...) Aujourd’hui, la jeune fille a trouvé refuge dans un foyer pour victimes de Bucarest. À la suite de violences sexuelles, elle a eu un enfant... « Nelly ne peut retourner chez ses parents (aux alentours de Bucarest, n.a.), puisque le gang mafieux se trouve encore sur les lieux. L’ex-voisine a disparu. Mais s’il n’y a pas d’accusée, le procès ne peut commencer en Allemagne. Voilà pourquoi Nelly n’a pu rester ici en tant que témoin », dit Inge Bell. Selon les informations transmises à la journaliste par un commissaire de Bucarest, les trafiquants de personnes ont réussi à s’en sortir dans plusieurs cas similaires.

Dans un rapport de 2004, la Police Fédérale Allemande de Lutte contre la Criminalité (Bundeskriminalpolizei, BKA) écrit : « En Allemagne, 972 femmes originaires d’Europe de l’Est, victimes de prostitution forcée, ont été arrêtées. » Les organisations pour la protection des femmes affirment que ces chiffres ne représentent aucunement l’envergure du phénomène. En Allemagne, il y a environ 400 000 femmes prostituées, dont la moitié est d’origine étrangère. Depuis l’effondrement des systèmes communistes, la plupart des victimes proviennent des pays d’Europe de l’Est. Après l’amendement de la Loi 181, en février 2005, (§§ 232), « le trafic de femmes ayant comme but l’exploitation sexuelle est un crime ». L’Organisation Internationale du Travail (ILO) définit la traite des blanches comme une forme de criminalité organisée, se caractérisant par « l’entremise et la vente de personnes se trouvant dans une situation d’esclavage. » (ILO, Rapport 2003.)

Les victimes ne doivent plus êtres traitées comme des criminelles

Il existe des cas où la future victime, avant d’émigrer, a été « informée » qu’elle devrait offrir « des services sexuels » dans des bars, clubs, discothèques ou bien dans des hôtels. « Les jeunes filles ne savaient pas dans quelles conditions réelles elles seraient obligées de travailler. Une fois en Allemagne, les victimes du trafic illégal, pour la plupart très jeunes et naïves, sont victimes de chantage. Les proxénètes leur disent qu’ils ont dépensé des milliers d’euros pour leur voyage et leur entretien. Ces jeunes filles sont contraintes à rembourser des dettes fictives, au montant exagéré », nous dit la sociologue Juliane von Krause (Munich), membre de la Direction de l’organisation « Terre des Femmes » (TDF). Créée en 1981 en Suisse, TDF est très active sur le plan politique. « Nous demandons que les victimes reçoivent le droit de résidence pour une durée d’au moins trois mois, ainsi qu’une aide spécialisée suite aux traumatismes qu’elles ont subis. » Selon les statistiques, 50% des victimes de la prostitution illégale expulsées dans leurs pays d’origine tombent de nouveau aux mains des proxénètes.

La justice allemande et la police manquent de moyens financiers

Le commissaire Peter Breitner, chef du Département K 13, « Criminalité Organisée », à la Police de Munich s’est rendu en mai à Bucarest. Il a tenté de mettre en place une plus étroite collaboration avec les collègues roumains. Le 18 mai, la police munichoise a « arrêté deux proxénètes roumains de grand calibre », originaires de Sibiu et de Timisoara (villes situées au centre et au nord-ouest du pays, n.a.). Le troisième proxénète arrêté est un citoyen allemand. « Dans les cas de traite des blanches de Roumanie, nous avons à faire à une prostitution de type ethnique. Les proxénètes roumains choisissent de préférence les locaux fréquentés par des clients en majorité turcs », déclare le procureur général Manfred Kastlmeier, chef du Département « Criminalité Organisée » au Parquet Général de Munich, le plus important après Berlin et Hambourg.

Problèmes concrets ? Il est difficile d’infiltrer les réseaux mafieux étrangers, principalement à cause du manque de personnel et de moyens financiers. « Pour une enquête de grande envergure, il faut surveiller au moins dix lignes téléphoniques. Toutefois, les fonctionnaires de police me disent souvent qu’ils n’en ont mis sur écoute qu’une seule : ils n’ont pas l’argent pour payer des traducteurs... » Problème auquel se trouvent confrontées depuis quelques années la police et la justice dans toutes les Fédérations de Lands.

Trafiquants roumains de femmes arrêtés et condamnés

Ce 1er juin, après neuf mois de détention préventive, trois citoyens roumains ont été condamnés à Munich. Putiu V., de Deva (à 5 ans et 9 mois), Pavel R., de Bocsa (4 ans et 10 mois) et Cristian C. de Timisoara, à un an et 6 mois de prison ferme. « Deux d’entre eux avaient reçu, d’une certaine façon (sic), la citoyenneté allemande. Nous ne savons pas exactement par quelles méthodes ils ont emmené des « touristes » de Roumanie vers l’Allemagne. Ces jeunes filles ont été vendues à un groupe de clients fixes, pour une durée de six mois, à des tarifs pas vraiment exorbitants, 50 euros l’heure. » (Le tarif des prostituées allemandes est au moins du double, n.a.).

Sous la tutelle d’UNICEF Allemagne, la campagne « Stoppez la prostitution forcée », initiée par des organisations de femmes et certains groupes oecuméniques, a eu un support médiatique important. Au niveau local et fédéral, la campagne reçoit des subventions du gouvernement allemand. Les initiateurs et initiatrices désirent sensibiliser l’opinion publique et les clients potentiels au sujet des victimes.

Branche relativement jeune de la criminalité organisée, l’exploitation sexuelle dans les pays de l’UE est très rentable. La mondialisation des réseaux financiers : compte en banque dans des paradis fiscaux, blanchiment d’argent, infrastructures touristiques et communications électroniques, contribue à l’essor de « l’importation » de femmes.

En Allemagne, autour de 35 milliards d’euros par an disparaissent dans des réseaux obscurs.

Traduit par l’auteure.

L’article original, « La Campionatul Mondial de Fotbal - O Campanie impotriva traficului de femei din Europa de Est », est paru le 21 juin 2006, dans le quotidien « Romania Libera » (Bucarest)

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 juillet 2006

Manola Romalo, journaliste


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