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Prostitution : pour un projet de loi abolitionniste

13 septembre 2006

par Élaine Audet

Recommandations

Considérant le caractère inaliénable du corps humain ;

Considérant la prostitution sous toutes ses formes comme une violence envers les femmes, une violation de leurs droits fondamentaux et non "un travail comme un autre" qui pourrait relever du Code du travail ;

Considérant l’égalité entre les hommes et les femmes, reconnues :
 par la Convention pour la répression de la traite des être humains et de l’exploitation de la prostitution des femmes (ONU, 1949) qui considère que "la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine" ;
 par la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), dont l’article 6 stipule que "les États parties doivent prendre toutes les mesures pour supprimer le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution" ;
 par la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (ONU, 1993), qui souligne que "certains groupes de femmes, dont les femmes appartenant à des minorités, les femmes autochtones, les réfugiées, les femmes migrantes, les femmes vivant dans des communautés rurales ou reculées, les femmes sans ressources, les femmes internées, les femmes détenues, les petites filles, les femmes handicapées, les femmes âgées et les femmes dans des zones de conflit armé, sont particulièrement vulnérables face à la violence" ;
 par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et par la clause 28 qui donne préséance aux droits relatifs à l’égalité entre les sexes sur tous les autres droits ;

Considérant la contradiction flagrante pour une société, préconisant l’égalité des sexes et le respect des droits humains, de tolérer que des hommes achètent et prostituent des femmes, des enfants, des travestis, des transsexuels, et de chercher à enrayer la prostitution sans s’attaquer aux clients qui en constituent la raison d’être et l’inépuisable source de profits ;

Considérant la nécessité et la volonté de créer un monde où l’on pourrait vivre sans être prostitué-es ;

Considérant l’urgence de mettre en place des mesures de protection concrètes, avec un financement adéquat, concernant la santé et la sécurité des personnes prostituées, au moment où la preuve est faite, dans des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, que la légalisation, la réglementation ou la décriminalisation totale ont pour effet de faire grimper la prostitution des enfants, des adultes et la traite à des fins de prostitution, et d’augmenter la clandestinité, l’insécurité, la violence et la dégradation physique et psychologique des personnes prostituées, qu’elles le soient dans la rue, les bordels, les éros centers, les maisons de passe, les services d’escorte, les salons de massage, les clubs échangistes, les bars de danseuses nues, etc. À peine quelque 4% d’entre elles sont enregistrées légalement parce que le système prostitutionnel reste lié indissociablement au crime organisé, aux gangs de rues ; aux revendeurs de drogue, aux réseaux locaux et internationaux de traite de femmes et d’enfants en vue de les prostituer ;

Considérant les intérêts conjugués du système patriarcal, fondés sur des rapports sexuels et sociaux de domination, du néolibéralisme, du crime organisé, pour mondialiser le très lucratif marché des femmes, des enfants, des travestis et des transsexuels (92 milliards $ US actuellement), au moyen de la prostitution, de la pornographie, du tourisme sexuel ;

Considérant les conséquences néfastes non seulement pour les victimes de la prostitution et les résident-es des quartiers où elle se déploie, mais pour l’ensemble de la société ;

Considérant la nécessité pour l’État canadien de convier le message clair que vendre et acheter le corps d’un être humain constitue un crime contre l’humanité ;

Nous recommandons de :

1. cesser les poursuites judiciaires contre les personnes prostituées, qui sont les victimes du système prostitutionnel et non des criminelles, détruire leur casier judiciaire, qui perpétue leur stigmatisation sociale, leur enlève tout espoir de réinsertion et s’assurer que les victimes de la traite puissent obtenir le statut de réfugiées ou d’immigrantes si elles le désirent (art. 213).

2. continuer à interdire les bordels ou tout autre local utilisé à des fins de prostitution (art. 210 et 211).

3. requérir des mesures efficaces et plus sévères contre les proxénètes et leurs complices dans les institutions et les médias, c’est-à-dire un nombre minimal d’années obligatoires de prison, et une condamnation proportionnelle à la gravité de l’infraction, sans possibilité de remise de peine (art. 212).

4. pénaliser les clients prostitueurs et remplacer l’actuelle déclaration sommaire de culpabilité par l’infraction mixte* sans possibilité de substituer "l’école des clients" et le paiement d’une amende à l’éventualité d’un casier judiciaire et d’une peine de prison en cas de récidive. (art. 213).

5. mener une campagne transnationale contre le crime organisé et le blanchiment d’argent en provenance de la traite des êtres humains à des fins de prostitution, avec la caution et la complicité des États, rapportant plus de profits que le trafic des armes ou de la drogue !

6. s’attaquer résolument aux causes de la prostitution telles que les stéréotypes sexuels dans la famille, l’école et les médias, la violence sexiste, la pauvreté et toutes les formes de discrimination.

7. cesser de financer les groupes faisant la promotion du "travail du sexe" et d’octroyer des visas aux danseuses "exotiques" afin de répondre aux demandes des proxénètes, propriétaires de bars, et autres groupes mafieux.

8. mettre en place des mesures d’aide aux personnes prostituées notamment des soins de désintoxication, des maisons d’hébergement les mettant à l’abri des prédateurs, une formation scolaire ou professionnelle adaptée à leurs besoins, une allocation de réinsertion sociale (ARS) leur permettant de refaire leur vie sans être dans une situation critique.

9. envisager des politiques de prévention à long terme tels, par exemple, un revenu substantiel de citoyenneté, universel et inconditionnel, ou un Livable income for everyone (LIFE), préconisé par plusieurs groupes de femmes au Canada, afin que personne ne soit obligé d’être prostitué-e pour survivre.

10. créer un comité permanent multidisciplinaire sur la prostitution, qui inclurait les organismes communautaires, les groupes de luttes contre la violence faite aux femmes, les chercheur-es, ainsi que les services médicaux, sociaux, psychologiques, policiers, juridiques.

*Une infraction mixte permet au poursuivant de faire un choix quant au mode de poursuite, c’est-à-dire soit par la voie sommaire de la déclaration de culpabilité (avec la peine maximale habituelle de six mois d’emprisonnement ou d’une amende de 2 000 $) ou par celle de la mise en accusation (la durée de la peine d’emprisonnement est alors indiquée dans la disposition applicable à la peine ; une amende dont le montant maximal n’est pas prévu peut aussi être infligée). Une infraction mixte a l’avantage d’être flexible, en fonction de la gravité de l’infraction en cause.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 août 2006.10

Élaine Audet


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