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Soeur-épouse : la polygamie

29 septembre 2006

par Michèle Bourgon

J’ai récemment visionné à Télé-Québec un documentaire de Hadar Kleinman et de Tina Goldstein tourné en l’an 2000, intitulé Sœur épouse. Une histoire vraie fort intéressante, mais aussi fort dérangeante.

Une femme africaine, mariée depuis 21 ans et qui a eu neuf enfants avec son mari doit accepter que celui-ci épouse une deuxième femme beaucoup plus jeune : Érella. Atur, le mari, fait partie d’une communauté religieuse (« The African Hebrew Israelite Community ») qui permet ce genre d’arrangement matrimonial. Les femmes africaines de cette communauté doivent être soumises à leurs maîtres : les hommes. Ces hommes peuvent avoir jusqu’à neuf épouses. Évidemment, ces épouses ne vivent pas toutes en bonne entente, on peut s’en douter...

La plus vieille, subissant les pressions de sa communauté, se fait une raison et se dit qu’au moins son mari ne ramènera pas le sida à la maison. Il est aussi le père de ses neuf enfants...

La plus jeune, Érella, se dit : « Au moins, j’aurai un mari, il semble tellement m’aimer. » La lune de miel dure jusqu’à ce qu’Érella, la deuxième épouse, soit enceinte. Sa grossesse à terme, le mari partira donner une conférence à Paris sans attendre la délivrance de la jeune femme. C’est la première épouse qui prendra soin de la deuxième et de son enfant.

Atur mentionne qu’il mène une vie de roi et il tarde à ajouter (on peut comprendre) que ses femmes vivent des vies de reines...mais il le fait. On comprend l’hésitation. Érella se rend vite compte de sa situation. On sent sa déception, mais ayant perdu sa mère (la mère ayant fait partie d’un groupe de quatre épouses), elle se sent seule, abandonnée. Elle dit : « J’ai toujours pris soin des enfants des autres, maintenant quelqu’un m’appellera maman. » Le soir où Atur revient de Paris, sa première épouse va le chercher à l’aéroport et le ramène à la maison où avant de faire la connaissance de son dixième enfant, une petite fille, il salue tous ses autres enfants. Ensuite, il s’en va dans une chambre, avec autorité, il appelle Érella qui le rejoint sans joie (du moins, m’a-t-il semblé), et il ferme la lumière.

La fin du film ? Atur mentionne que son expérience avec Érella lui a fait prendre conscience qu’il lui manque encore une touche féminine. Il se prépare donc à prendre une autre épouse pour compléter (???) le tableau.

S’ensuit une discussion entre Chouchou et moi. Il dit que dans un groupe laïque, cela ne serait pas possible. La Religion martelle la supériorité du mâle et place la femme dans un double rôle de pourvoyeuse sexuelle et de mère. Elle permet la propagation des gènes. Certaines personnes pourront dire que je n’ai pas tout saisi du film et qu’il y a des avantages extraordinaires à faire partie d’un harem. Peut-être. Mais je vois difficilement, pour ces femmes, des avantages à cet état d’infériorisation. Autre chose : je ne connais pas l’Afrique, mais cela ne se passe pas en Afrique, mais en Israël. Je ne connais pas non plus les us et coutumes israélites. Reste que ça donne à réfléchir.

Ce film m’amène à réfléchir sur ce même sujet dans l’actualité au Canada : les mariages polygames.

Devrait-on accepter ce type d’arrangements alors que ces unions sont cautionnées par la religion ? La réponse n’est pas simple. Elle est même très complexe.

Alors que les groupes échangistes sont acceptés par la Cour suprême, peut-on prétendre restreindre des unions organisées ?

Vous direz que ce n’est pas la même chose. Hum...c’est en partie vrai et en partie faux. Là aussi, le problème est complexe et la liberté des femmes à accepter ce genre de situation est tributaire de plusieurs facteurs.

Les échangistes doivent, par définition, être libres d’accepter un autre partenaire dans leurs relations sexuelles. Toutes les femmes le font-elles vraiment librement ? Il est permis d’en douter.

Dans certains pays ou dans certaines communautés religieuses, les femmes n’ont un statut social convenable qu’en étant mariée. Elles « bénéficient » de la « protection » de leur mari. Protection peut-être minimaliste, mais au moins, elles ont un toit, elles peuvent manger, elles sont mieux respectées. Toutes seules, elles sont des proies, des victimes en devenir. Non pas que, déjà là, elles ne soient pas victimes d’une situation où elles sont infériorisées, mais entre deux maux... et entre la vie et la mort... De là à accepter cette situation au Canada et ailleurs, non. Certainement, non. Mais malgré tout, malgré l’interdiction de ces mariages polygames, ils existent. Ailleurs, bien sûr, mais ici aussi, au Québec. Que faire pour protéger les femmes qui veulent s’en sortir. Fermer les yeux ? Faire comme si ça n’existait pas ?

Quels sont les droits des enfants de ces femmes ? Quelles sont les obligations de ces hommes qui vivent en concubinage dans des pays où la loi ne le permet pas ? Entre autre ici au Canada ? Et surtout, comment ces femmes sont-elles juridiquement protégées ? Peuvent-elles quitter ce noyau familial ? Sont-elles en sécurité à l’intérieur de leur couple « multipartenaires » ?

Sont-elles protégées par le code civil québécois ou le common law ? Dans quelle mesure ? Bref, peuvent-elles s’en sortir si elles le désirent ? Jusqu’où notre société est-elle prête aux accomodements ? Comment peut-on aider ces femmes qui, déjà, avant d’arriver ici, vivent un mariage polygame ? Vous pouvez bien vous douter que ce n’est pas la première chose que l’on déclare à l’immigration...

On a beau refuser ce type d’unions ici dans notre pays, les femmes qui y sont soumises, soit par culture, soit par obligation, soit par la force, soit par endoctrinement devraient avoir des recours qui leur permettent de quitter un mariage qui ne leur convient plus, quelle que soit la religion dans laquelle le mariage a été contracté, quel que soit l’endroit où l’union a été juridiquement admise. Il faut protéger ces femmes ; leur donner des droits et ce, même si nous n’approuvons pas la polygamie. Comment faire ?

Non à la polygamie. Oui à l’aide aux femmes qui veulent s’en sortir. Oui à l’éducation des masses. Oui à l’entraide entre femmes et hommes. Il nous faut trouver des solutions.

Vous avez des suggestions ?

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 septembre 2006

Michèle Bourgon

P.S.

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