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Marchandisation et déshumanisation : l’exemple de la prostitution

8 novembre 2006

par Sabine Crenier, militante féministe et écologiste

La forme la plus abjecte d’abus est la prostitution. Elle prolifère sur fond de corruption et de dénigrement de l’être humain. Le dénigrement de l’être humain a toujours conduit aux reculs de l’humanité, aux abjections les plus terribles.

Les camps de concentration et d’extermination des juifs à la déportation et l’esclavage des Noirs.

Aujourd’hui, ce sont les meurtres innombrables de femmes et d’enfants victimes de la prostitution.

Du point de vue démographique, il manque à l’appel des millions de femmes victimes de gynécides, d’infanticides, de "fœticides" et d’avortements sélectifs. Tout simplement parce qu’elles sont des femmes, des petites filles ou de futures petites filles.

La prostitution, la mise sur le marché du corps des femmes, et les trafics qui en découlent, se traduisent aussi en millions de mortes.

Tous ces meurtres, toutes ces exécutions se font dans la plus grande indifférence, au nom des traditions, au nom du pouvoir des hommes d’user et d’abuser des femmes. Soi-disant "traditions" qui veulent encore, dans nos sociétés, qu’une femme ne vaille pas un homme.

Tout comme un juif ne valait pas un catholique, tout comme un Noir ne valait pas un Blanc.

L’essor de la prostitution des femmes et des enfants puise ses racines aux tréfonds de l’imaginaire, marqué par un esprit colonial encore omniprésent, mêlé à un esprit cupide, à une domination d’un sexe sur l’autre.

Nos jeunes garçons abordent la vie sexuelle en étant "formatés" à aimer le sexe prédateur, via la pornographie, les clips sexistes, la publicité, la télévision, le cinéma. L’image qu’ils ont des femmes est dégradée et déplorable. Les femmes ne sont plus belles ou sexy. Mais bonnes, mettables, baisables, sautables, pétasses ou salopes, bref, jetables après usage. Les relations filles-garçons ne cessent de se détériorer.

Tout s’achète et tout se vend.

Depuis quelque temps, certain-es de nos bien-pensant-es s’indignent de cette mondialisation où plus rien n’est "gratuit", où sans argent vous n’allez nulle part. Tout ? Non. Sauf le sexe, pensent-ils. Erreur messieurs ! Le sexe n’est plus gratuit. Loin de là.

Le sexe s’achète comme n’importe quel autre produit et vous le payez cher. Que se soit par "texto" où vos fantasmes vous coûtent 1,75 euro la minute. Par "internet" où cela vous coûtera environ 15 euros la demi-heure. Par téléphone érotique, 1,50 euro la minute.

Dans la prostitution, quel qu’en soit le type, le sexe est réglementé et soigneusement tarifié. Que ce soit dans un bordel de luxe comme en Allemagne ou au Pays-Bas, un bouge, ou "simplement" dans la rue.

Dans la pornographie, que ce soit en visionnant des chaînes payantes ou en achetant des cassettes.

Par catalogue, pour une certaine somme d’argent, vous avez le "droit" d’acheter une épouse qui cherche à fuir la misère de son pays. Épouse taillable et corvéable à merci.

Aussi dans les voyages touristiques à but sexuel.

Le sexe est de moins en moins gratuit et de plus en plus payant. Les femmes en font principalement les frais par la "location" de leur corps. Les hommes doivent sortir espèces sonnantes et trébuchantes.

Qu’on n’apporte pas l’argument que les femmes ont le choix de se prostituer "librement". Il ne s’agit que d’une proportion infime de femmes prostituées. En général, poussées par la pauvreté, les autres - plus de 90% - tombent entre les mains des mafias et des proxénètes.

A quand le livre noir de l’exploitation sexuelle ?

La libération sexuelle est venue après un long passé douloureux, les religions ayant pesé de tout leur poids sur les corps. Personne n’en est nostalgique. Mais la liberté sexuelle est derrière nous. La liberté de ses désirs est désormais payante. Aux mains de marchands. C’est encore de l’ordre moral. La sexualité appartient à l’individu qui paye pour une prestation sexuelle, que les autres aillent se faire "voir" ailleurs.

Affirmer sa domination est désormais une question d’argent.

À ceux qui déplorent "la fin du mâle", qui se déresponsabilisent à bon compte, répond la cannibalisation des femmes. Les inégalités sont toujours omniprésentes. La société est toujours patriarcale, donc autoritaire. Elle spolie les femmes, les enfants et les jeunes de leur liberté sexuelle. En transformant la sexualité en marchandise. En mettant les intérêts sexuels au service de l’asservissement économique.

La dérive est propice à des ravages, économiques, sociaux et politiques.

Hannah Arendt a démontré les mécanismes qui conduisent les êtres humains à se transformer en machines froides et monstrueuses. Ce mécanisme de l’horreur est à l’oeuvre dans la prostitution, dans la marchandisation des corps de femmes et d’enfants. (Dans une moindre mesure de corps d’hommes). Le respect de l’autre est à réinventer de toute urgence.

Pour ce faire, il faut passer inévitablement par le questionnement de soi. L’insupportable est ici l’abus et le mépris de l’autre, sa soumission absolue, sa totale domination, son infériorisation, sa déshumanisation. Les dommages sont déjà terribles.

Il s’agit dans tous les cas de perversion sociale. Nos sociétés foisonnent de fantasmes les plus divers qui se concrétisent, on n’est pas loin du fétichisme. L’humanité a toujours cherché des ouvertures sur l’hallucinatoire. On fait des fixations sur soi-même, en faisant sauter les liens collectifs convenus. Nous vivons une fausse liberté.

La prostitution s’organise en factice/fétiche. A force de vouloir la légaliser, de la rendre transparente, où tout est vu. L’idée de ce qu’il y à voir est dérobée comme dans la pornographie. C’est une pratique bien adaptée à la société qui la sécrète.

Le sexe devient le degré zéro du sens et l’argent confirme le lien pervers. L’argent est le dieu de nos sociétés très croyantes. Prostitution devient institution.

Aujourd’hui, mondialisation, OMC, PIB faisant loi, la diversification oblige. Marchés, débouchés, créneaux. Les femmes, elles, s’achètent et se consomment en corps réels. Aujourd’hui, c’est le "passage à l’acte de consommer" "l’autre" (les femmes et les enfants), cet autre n’étant pas vu comme vraiment humain. On n’a plus besoin de ce qui fait lien.

Aujourd’hui, les femmes sont les nouveaux boucs émissaires désignés à la vindicte. Les femmes du monde entier n’ont pas de "patrie", pas de territoire "à elles" où, en tant que femmes, elles seraient à l’abri des exactions qui les menacent. La destruction des femmes, parce que femmes, a déjà commencé. Voulez-vous d’un monde sans femmes, sans filles ?

Hommes et femmes, terriens, terriennes, nous n’avons pas d’autre endroit que la terre ! Il est temps pour la mobilisation générale.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 novembre 2006

Sabine Crenier, militante féministe et écologiste


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