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Interruption volontaire de grossesse : un regard écoféministe

30 novembre 2006

par Patrice Perreault

Dans le débat concernant l’IVG et qui semble refaire surface au Canada, une certaine dichotomie quant aux positions confine les groupes et les personnes aux stéréotypes sexistes véhiculés dans notre société. Par exemple, n’associons-nous pas les femmes vivant un IVG à des « meurtrières » alors qu’en même temps la civilisation occidentale glorifie l’usage « viril » de la guerre suscitant de véritables hécatombes ? Par cette correspondance entre meurtre et IVG, ne risquons-nous pas alors de créer une culpabilisation excessive des femmes ? Ne pérennisons-nous pas alors un modèle patriarcal de sexualité qui fait des femmes les seules responsables des grossesses et des enfants ? Finalement en polarisant la question entre la vie de l’embryon ou celle de la mère, ne négligeons-nous pas certaines problématiques réelles ?

En effet, il s’agit de l’interpellation faite à notre société d’accueillir la vie dans son ensemble. Cela ne doit-il pas se faire dans une perspective où il importe de développer le soutien par des politiques familiales adéquates et un appui fiscal assurant un revenu qui évite l’appauvrissement que vivent bien des femmes lorsqu’elles deviennent des mères ? Dans cette perspective, ne conviendrait-il pas d’élargir la question en reconnaissant le droit que chaque enfant né soit désiré et ait accès aux biens fondamentaux garantissant une vie décente ? Du même souffle, n’importerait-il pas de reconnaître réellement les femmes comme des sujets libres effectuant des choix ?

Nous passons ainsi de l’enfant désiré à la vie désirée si malmenée dans notre société où trop d’enfants, ainsi que leur mère, n’ont pas accès aux conditions minimales pour s’assurer une vie décente. Cette situation découle de la dynamique néolibérale de notre monde où la vie elle-même est réduite au simple rang de « ressources », de « marchandises » et de « capital ». Par conséquent, le droit à la vie s’évalue en fonction de l’utilité, de la performance et de la rentabilité. Pourquoi alors condamner des femmes qui, faute de moyens ou de conditions propices, personnellement, socialement et économiquement, choisissent d’interrompre leur grossesse ?

D’ailleurs, la grossesse et l’accouchement ne représentent pas la fin de la « mise au monde ». Ils en constituent le début car le processus conduisant à l’individuation se construit peu à peu dans la relation aux autres. C’est par cette interrelation que la personne humaine élabore son identité, ses valeurs et son devenir. Cette notion d’interdépendance se situe au cœur d’un nouveau modèle de théologie écoféministe.

Cette approche permet de poser la problématique de l’interruption volontaire de grossesse autrement :

    "La présente lutte pour le droit à l’avortement aux États-Unis, [cela peut s’appliquer au Canada et au Québec] quand elle est considérée à la lumière de notre nouveau paradigme, transforme la question. Elle ne devient plus celle du caractère sacré de tout embryon humain, comme c’est le cas dans un point de vue individualiste et anthropocentrique, mais elle touche deux enjeux plus larges et plus fondamentaux : le droit que chaque enfant né soit désiré et puisse avoir accès aux biens essentiels garantissant une vie en santé et décente tout comme il importe de reconnaître le droit des femmes à assurer un contrôle sur leur propre corps. Le nouveau paradigme élargit l’optique sur l’avortement, passant d’une perspective étroite et absolutiste concernant les droits embryons humains à celle du bien-être des enfants nés. Il prend également en compte le bien-être des personnes qui sont appelées à s’occuper de ces enfants." (1)

La question de l’interruption de grossesse demeure un sujet délicat où bien des aspects semblent antagonistes. Pour dépasser le lieu commun que, entre le droit des embryons et celui des femmes, il convient d’élargir la perspective en associant étroitement la dimension personnelle, sociale, économique et écologique afin que notre société puisse s’ouvrir pleinement à toutes les formes de fécondités, présentement subordonnées aux règles néolibérales. Une telle orientation favorisera l’édification d’un monde fondé sur la justice, l’interdépendance écologique, la dignité, l’égalité, l’amour et la tendresse où chacune et chacun pourront jouir d’une vie véritablement humaine et contribueront au devenir commun.

Note

1. Sallie McFague, The Body of God. An Ecological Theology, Minneapolis, Fortress Press, 1993, p. 204. La traduction est la nôtre.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 novembre 2006

Patrice Perreault


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