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Injustice pour une femme violée

4 décembre 2006

par Lucie Poirier

En août 2006, au Québec (Canada), une jeune femme de 21 ans, après avoir absorbé de la drogue, a été mordue au sein, pénétrée avec une arme, violée pendant deux jours par 13 jeunes hommes. Lorsqu’elle a voulu porter plainte, encore sous l’effet de la drogue, les policiers ont refusé de la croire. De plus, ils lui ont dit d’aller se doucher pour reprendre ses esprits ; ils venaient ainsi de ruiner toute possibilité de prélèvements et d’examen médical immédiat. Plus tard, elle a tout de même porté plainte.

Aussitôt, une vindicte générale, accentuée par la Ligue des Noirs - la victime est Blanche et les violeurs sont Noirs - s’est acharnée à la discréditer. Après la défection du système policier, le système judiciaire l’a laissée tomber : dès l’accusation les violeurs ont été remis en liberté. Aujourd’hui, aucune accusation n’est retenue contre eux. Non seulement, y a t-il absence de justice mais il y a exagération d’injustice : l’avocat de la défense veut faire condamner la victime à payer ses violeurs.

Depuis quelques années afin de minimiser la gravité d’un viol, on utilise des mots atténuants tels qu’agresseurs, séquestration, agressions à caractère sexuel...

Ce n’est pas parce que notre système judiciaire a échoué à les reconnaître coupables que je dois faillir autant et ne pas les désigner par le mot violeurs. Dans cet article, j’assume ce vocabulaire et je dégage le site Sisyphe de toutes responsabilités relatives à ma sélection lexicale. Je préfère m’accorder avec le réel qu’avec les errances d’un système judiciaire méprisant les femmes et particulièrement les femmes victimes de viol et/ou d’inceste.

D’autre part, autrefois, le système judiciaire américain déclarait légale l’exécution d’un Noir qui avait appris à lire. Ce n’est pas parce qu’une hargne a force de loi qu’elle est juste. Ce n’est pas parce que notre ministère de la Justice cautionne qu’une victime de viol soit maltraitée par le système que c’est juste.

La cruauté et la misogynie du système judiciaire découragent les femmes violées de porter plainte. Plus de la moitié des victimes ne portent pas plainte car elles savent, et elles viennent d’en avoir la preuve encore une fois, que le système judiciaire impose aux femmes violées un processus pénible, destructeur et vain.

Une femme violée, qui porte plainte et se rend au procès, se sent violée à nouveau. Après l’ignominie d’un viol, une femme qui décide de porter plainte, se place en situation répétée de déni. Pour s’infliger le supplice insistant et infériorisant du processus judiciaire, la souffrance d’une femme violée doit être authentique et infinie. La victime doit croire avec conviction que le système judiciaire lui apportera réparation et justice. La vérité, la confiance, l’attente, le besoin de guérison sont des composantes absolues mais bafouées.

Une femme n’a jamais intérêt à prétendre avoir été violée quand ce n’est pas le cas, car il n’y a jamais de gain à subir l’humiliation et l’adversité qu’une telle accusation entraîne pour la victime. C’est toujours le procès et la condamnation de la femme violée qui sont faits. De tels aboutissements s’accordent avec la misogynie et le patriarcat des systèmes politique, économique et social ; la femme n’y est jamais acceptée, n’y fait jamais sa place, n’y introduit jamais son influence.

Les exceptions sont si rares qu’elles ne font pas le poids, les faits le prouvent aujourd’hui.

Le Québec n’est pas moins barbare que les pays où les femmes violées sont tuées. Nous sommes une société où la femme violée est condamnée par l’ostracisme, le discrédit, l’isolement, l’absence de soins, de recours, de support. Après la perte de reconnaissance et de dignité, on la dépouille aussi de son argent. Les ravages psychologiques et financiers sont tels que parfois la femme elle-même achève son massacre en se suicidant. Il n’est pas facile d’être seule contre tous. (Cf : Lucie Poirier, « Pourquoi tous contre une ? »)

Chaque femme violée l’est au nom de toutes les autres. C’est LA FEMME qu’un homme viole quand il attaque une victime. L’homme veut punir la femme d’être une femme, il veut la terroriser, la dominer, la soumettre ; il veut lui en faire baver, la casser, lui prouver que c’est lui qui contrôle. Et c’est efficace.

L’homme insuffle la peur à la femme. En protégeant, en favorisant, en valorisant les violeurs, les divers systèmes lancent le message aux autres femmes qu’elles risquent d’endurer un sort semblable et qu’elles n’ont pas intérêt à répliquer, à protester. C’est pour mieux rendre constante la menace du viol et effectives les représailles à l’égard des femmes violées qui réclament justice que les divers systèmes se liguent, se rallient à la mentalité misogyne et discriminatoire.

Aux Etats-Unis, un homme Noir qui a tué sa femme Blanche a prouvé qu’il n’y a pas de conséquences défavorables pour celui qui agit ainsi. Il vient de publier un livre où il se vante de son succès et en donne le mode d’emploi.

Au Québec, treize hommes Noirs viennent de s’en tirer à très bon compte et leurs profits ne cesseront de s’accroître.

On pourrait croire que c’est la victoire de l’homme Noir qui se venge sur la femme Blanche. La femme, quelle que soit sa race, n’a jamais de pouvoir ; elle n’a donc pas eu celui d’instaurer le pouvoir raciste. Au contraire, beaucoup de femmes, dont plusieurs du mouvement féministe naissant, ont revendiqué l’abolition de l’esclavage des Noirs au péril de leur vie.

Pour les violeurs Noirs, il est beaucoup plus facile de s’attaquer à un démuni, dénigré, exclu et finalement aussi opprimé qu’eux, donc une femme, que d’essayer de conscientiser un homme puissant qui abuse de ses prérogatives.

Si le tueur et les violeurs Noirs sont aussi supportés par les systèmes policier et judiciaire, ce n’est pas vraiment parce qu’ils montrent le triomphe du Noir sur la Blanche ; en fait, cela n’a rien à voir avec la couleur de la peau. C’est parce qu’ils envoient ce message qu’une majorité souhaite proclamer : le triomphe de l’homme sur la femme.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 décembre 2006

Lucie Poirier


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