source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2507 -



Discours de la députée Maria Mourani, lors d’une motion sur la traite des femmes et des enfants
« La grande question qui sous-tend la traite, c’est la prostitution. »

11 décembre 2006

par Maria Mourani, sociologue, criminologue et députée

Vendredi le 8 décembre 2006, une motion sur la traite des êtres humains a été déposée à la Chambre des Communes du Canada. Madame Maria Mourani, députée de la circonscription d’Ahuntsic, a fait ce discours sur les liens entre la prostitution et la traite.



Débats de la Chambre des communes
39e LÉGISLATURE, 1re SESSION,
Vendredi, le 8 décembre 2006.

Mme Maria Mourani (Ahuntsic, BQ) :

Monsieur le Président, c’est une grande joie pour moi de faire un discours aujourd’hui pour appuyer la motion de ma collègue de Kildonan-St. Paul. Je tiens d’ailleurs à la remercier d’avoir accepté que je cosigne cette motion avec elle. À mon avis, lorsqu’il est question de traite de personnes, il n’y a plus de partis politiques qui tiennent. Il n’y a que l’unité qui compte afin de régler ce problème.

La motion de la députée demande que le Canada condamne la traite des femmes et des enfants entre pays aux fins de leur exploitation sexuelle et demande également une stratégie globale de lutte, ce qui est fondamental. En cette ère de mondialisation et bien sûr de libéralisation économique, la traite est devenue un commerce lucratif pour les trafiquants, les proxénètes, mais aussi les États. Il faut avoir le courage de le dire.

Selon l’UNODC, 92 p. 100 des personnes victimes de la traite mondiale le sont à des fins de prostitution et 48 p. 100 d’entre elles sont des enfants. La Commission des droits de la femme et de l’égalité des chances de l’Union européenne rapporte un chiffre de 90 p. 100 des personnes traitées à des fins de prostitution.

Selon l’UNICEF, chaque année, 1,2 million d’enfants sont victimes de la traite dans le monde.

Selon le rapport de 2005 du Département d’État américain sur la traite des êtres humains, 600 000 à 800 000 personnes font l’objet de traite chaque année dans le monde. Une proportion de 80 p. 100 sont des femmes et des jeunes filles et 50 p. 100 sont des mineures.

Selon le rapport de 2005 de l’Organisation mondiale du travail, 98 p. 100 des personnes victimes d’exploitation sexuelle sont des femmes et des fillettes.

Finalement, le Fonds des Nations Unies pour la population estimait en 2006 qu’environ 50 p. 100 des personnes victimes de la traite en vue d’exploitation sexuelle sont des mineures.

Pouvons-nous alors dire que cela n’arrive qu’aux autres et que cela ne se produit pas au Canada ? Je vous dirai que non.

Lien entre la traite et la prostitution

Il est clair qu’on ne peut pas parler de traite internationale sans parler de traite à l’intérieur du Canada. De ce fait, depuis septembre, le Comité permanent de la condition féminine s’est penché sur la question de la traite des personnes en vue de l’exploitation sexuelle au Canada. Nous déposerons notre rapport sous peu. D’ailleurs, au nom du Bloc québécois, j’ai personnellement présenté au comité une motion, qui a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité, qui reconnaît le problème de la traite des personnes en vue de l’exploitation sexuelle à l’intérieur du Canada.

On sait que le Canada est un pays source et un pays de transit vers d’autres pays, comme les États-Unis, mais c’est également un pays consommateur. D’ailleurs, certains témoins de notre comité ont soutenu que les Canadiens et les Étatsuniens étaient de gros consommateurs de tourisme sexuel. Malheureusement, on a beaucoup de travail à faire pour protéger les femmes et les enfants.

De plus, il faut faire bien attention de faire la distinction entre traite en vue d’exploitation sexuelle et traite en vue de travail forcé ou d’enlèvement d’organes. On ne peut donc pas parler de cette forme de traite dont on parle actuellement sans parler de prostitution. Il existe un lien très clair entre prostitution et traite de la personne en vue d’exploitation sexuelle. Selon différentes données, 90 à 92 p. 100 des victimes de la traite le sont à des fins de prostitution.

Légalisation de la prostitution et augmentation de la traite et de la prostitution des femmes et des enfants

D’ailleurs, la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen, dans son avis du 18 septembre 2006 - ce qui est très récent -, reprend à son compte le rapport élaboré en 2004 par la London Metropolitan University sur la prostitution. Ce rapport a démontré que la légalisation de la prostitution entraîne des abus sexuels d’enfants, de la violence contre les femmes ainsi qu’une hausse considérable de la traite dans le monde et bien sûr dans le pays qui accepte allègrement ce genre de « travail » entre guillemets. On constate également une hausse considérable du nombre de femmes et de filles étrangères - donc qui viennent d’ailleurs - dans le pays où la légalisation est monnaie courante.

Cette commission conclut aussi que la légalisation de la prostitution facilite la demande et l’achat du sexe, y compris de victimes de traite, et recommande que les États doivent reconnaître que la réduction de la demande de la traite revêt une importance vitale.

Je crois que la grande question, en fait, qui sous-tend la traite, c’est la prostitution. C’est la base de tout. La question qu’on doit alors se poser est la suivante : la prostitution est-elle un travail ou une exploitation ?

Quant à moi, il n’existe pas de prostitution volontaire par opposition à une prostitution forcée, puisque de toute manière, la prostitution est une forme de violence en elle-même, une violence directe et systémique mise en place par des exploiteurs. D’ailleurs, la minorité des femmes qui disent arrondir leurs fins de mois et qui n’ont pas de proxénètes, ne souhaitent qu’une chose : s’en sortir et faire autre chose dans la vie.

La banalisation de la prostitution est une atteinte fondamentale aux droits humains. Cette banalisation est le lot de la société. Nous sommes en train de banaliser la prostitution. J’entends dire que c’est le plus vieux métier du monde. Non, ce n’est pas le plus vieux métier du monde. C’est la plus vieille forme d’exploitation du monde. C’est cela la prostitution.

Le rapport de 2001 du Service canadien de renseignements criminels a établi que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution au Canada était de 14 ans. Choisit-on à 14 ans, à 12 ans ou à 8 ans de se prostituer ? J’en doute.

C’est tout simplement un lavage de cerveau qu’on fait à des enfants qu’on dresse pour devenir des prostitué-es, pour alimenter ce marché de la viande humaine. On brise leur humanité pour qu’ils se considèrent comme des riens. On les brise pour qu’ils deviennent des esclaves sexuels et ce, même à l’âge adulte. Ils n’ont jamais rien connu dans leur vie que le fait de se faire exploiter, et d’être un objet et une marchandise. Alors, à quoi nous attendons-nous d’eux ? Que croyons-nous qu’ils feront à 18 ans ou à 19 ans, qu’ils se trouveront un travail ? Nous en reparlerons.

On ne choisit pas de devenir une personne prostituée quand on est toxicomane, qu’on subit la violence familiale, l’inceste, la violence psychologique, quand on n’a pas d’estime de soi parce qu’on s’est fait battre toute sa vie. On ne choisit pas d’être un objet sexuel. On ne choisit pas de se faire traiter de toutes sortes de noms. En effet, on le sait bien, on ne dit pas « personne prostituée », on dit plusieurs noms que je ne prononcerai pas en cette Chambre afin de respecter le décorum. On ne choisit pas d’être obligé de passer plusieurs clients - certains parlent de 10, 20 ou 30 clients - dans une même journée. Cela m’étonnerait.

Parfois, on entend dire qu’elles aiment cela, que c’est un travail et que c’est très payant. Qu’on arrête la banalisation de cette violence faite aux êtres humains. La majorité de ces personnes sont des femmes. Posons-nous des questions.

Non à la légalisation des proxénètes, des bordels et à l’achat de "services sexuels"

Le système de la prostitution ne favorise que des rapports d’inégalité entre les personnes. Je crois qu’il est fondamental que le Canada n’emprunte jamais la voie de la légalisation des proxénètes et des bordels. Je crois également que nous avons un très bel exemple d’échec aux Pays-Bas.

Compte tenu du temps qui m’est alloué, je suggère à mes collègues de faire des recherches sur ce sujet. Ils verront, par exemple, qu’en 1981, aux Pays-Bas, il y avait 2 500 personnes prostituées. En 2004, il y en avait 30 000. Quatre-vingts pour cent de ces personnes sont d’origine étrangères, et 70 p. 100 d’entre elles n’ont même pas de papiers d’identité.

En ce qui concerne les mineurs, en 1996, il y avait 4 000 mineurs prostitués aux Pays-Bas. En 2001, il y en avait 15 000, dont 5 000 étaient d’origine étrangère.

Nous devons nous questionner non seulement sur cette légalité mais nous devons nous poser une grande question. Au Canada, nous devons commencer à suivre le chemin emprunté par la Suède et penser à mettre en place un système qui pénalise l’achat de services sexuels, parce que cela fait partie de l’offre et de la demande. Plus il y a d’offre, plus il y a de demande, et plus il y a de demande, plus il y a d’offre. Plus il y a des femmes sur le marché, plus on a le goût d’y voir des enfants.

Il est plus que temps, en tant que société, en tant qu’État, que nous ayons un débat fondamental sur l’achat de services sexuels, ici, au Canada. Sommes-nous d’accord pour pénaliser des prostitués ? Non, il faut les aider, leur donner des centres de refuge, leur apporter du soutien psychologique, les aider sur le plan de la santé et ainsi de suite, mais cela suffit de pénaliser les femmes.

Commençons à regarder le vrai problème : l’achat de services sexuels.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 décembre 2006.

Maria Mourani, sociologue, criminologue et députée


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2507 -