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Le "Bye Bye RBO"
Un goût de lendemain de veille

5 janvier 2007

par Michèle Bourgon

Le "Bye Bye RBO"* a été à l’image de la nouvelle tendance de la télévision d’État : le nivellement par le bas. Pourquoi Radio-Canada accepte-t-elle cette triste situation ? Parce qu’elle n’a plus le choix. Elle et plusieurs autres stations ont enfanté un monstre qu’elles ne peuvent plus contrôler. On peut dire que les efforts pour moderniser la programmation ont été intenses ces deux dernières années. Sont-ils allés dans la bonne direction ? J’en doute, mais ça plaît, les cotes d’écoute sont très élevées et on ne pousse pas plus loin l’analyse. On n’est pas payés pour ça. Quel est l’impact profond de ce « relâchement » télévisuel sur la société ?

Les émissions de télé-réalité ont totalement changé la donne. Maintenant, le public veut de la spontanéité ou des allures de spontanéité, peu importe ce qui naîtra de ce vortex : vulgarité, langue française galvaudée, insultes, provocation. Tout est bon. Le public n’est-il pas roi ? C’est lui qui produit les cotes d’écoute si précieuses à la facturation publicitaire. Le spectateur attend le soir pour VIVRE. Il se sustente au scandale. Il a hâte, il en bave, il espère qu’il va se passer quelque chose de marginal. Il veut être surpris, réveillé. Bien sûr, il aime l’humour, mais il aime aussi la méchanceté brute. Du pain et des jeux, hurle-t-il. Et plus on sacre (y’a rien là) plus on provoque, plus on blesse, plus on tue, plus il aime ça. Le spectateur est devenu violent. Il exige du sang, du sexe, de la merde. C’est avec ça qu’il sent le mieux les pulsations de son coeur. Il est vivant et d’autres que lui souffrent. Yeah ! Sinon comment comprendre qu’on apprécie autant ce type d’émissions ?

Le dernier "Bye Bye" en est un exemple fort éloquent. On a ri à s’en tordre les boyaux des homosexuels aux Outgames : un homosexuel est étendu sur la piste et, les fesses à l’air, semble attendre avec une expectative jouissive l’intromission de la perche dans son rectum. Pourtant, dans les semaines qui vont suivre, toute la société approuvera hypocritement toutes les démarches qui permettront aux jeunes gais et lesbiennes d’accepter leur orientation sexuelle... On a ridiculisé l’armée canadienne (body bags, urne funéraire et paparmanes) pourtant plusieurs soldats vont donner leur vie (je le souligne), leur vie, à une cause qu’ils croient juste. On a ri des problèmes de langue de Jacques Demers (n’a-t-il pas été une source de motivation pour plusieurs analphabètes ?) Guy A Lepage est-il bien placé pour rire du vocabulaire des autres ??? On a ri du général Dallaire (pourtant, cet homme tente de réveiller le monde à la triste situation du Darfour). On a ri du petit Jérémy (un enfant malade... qui a réalisé un rêve). Sommes-nous devenus méchants à ce point ? Et a-t-on besoin que des hommes montrent leurs fesses en gros plan pour s’éclater de rire ? L’année prochaine, devront-ils se déshabiller encore plus pour nous tirer une risette ? En est-on rendus là ?Hélas, j’en ai peur. Ça laisse un goût de lendemain de veille.

Oui, il me semble qu’on peut caricaturer certaines situations, certaines décisions, certaines politiques, mais les attaques vicieuses et gratuites font-elles partie de ce qui est maintenant généralement admis ? Est-ce vraiment drôle ?

Autre phénomène étrange : il y a une guerre ouverte entre ceux et celles qui ont aimé et ceux et celles qui n’ont pas apprécié ce "Bye Bye 2006". On n’a qu’à lire les blogues pour s’en convaincre : il existe deux clans. Et les remarques sur ces blogues sont d’une telle violence que c’en est inquiétant. Une nouvelle tendance se confirme. On exècre les personnes qui ont passé la cinquantaine... Et si on n’a pas aimé RBO, c’est qu’on est idiot et vieux parce que c’était génial. On critiquera ensuite l’intégrisme.

Navrant, inquiétant puisque la télévision, les blogues sur Internet et Youtube sont le nouvel opium du peuple. Est-il encore possible de renverser la tendance ? J’en doute.

* Émission qui termine l’année à la télévision de Radio-Canada.

Ce texte a été également publié dans Cyberpresse, le 5 janvier 2007.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 janvier 2007

Michèle Bourgon


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