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Que fait-on pour les femmes qui veulent sortir de l’industrie du sexe ?

18 janvier 2007

par Jennifer Allen

Témoignage de Jennifer Allen devant le Sous-comité pour l’examen des lois sur le racolage, le 30 mars 2005.



J’ai beaucoup entendu parler de femmes qui veulent continuer à travailler dans l’industrie du sexe, mais la question que je me pose, c’est : "Que se passe-t-il dans le cas des femmes qui veulent en sortir ?"

J’ai été une "travailleuse du sexe" pendant huit ans et demi, et Vancouver n’est que l’une des villes dans lesquelles j’ai travaillé au Canada. Dans le secteur est du centre-ville, les conditions que j’ai connues étaient semblables à celles qui existaient dans les maisons de passe qui, de toute évidence, n’étaient pas légalisées. J’ai vécu dans des centres d’hébergement. J’ai vécu dans des hôtels vraiment délabrés qui n’étaient absolument pas salubres ni sécuritaires. Je faisais le trottoir et je me faisais ramasser par des types que je ramenais à mon hôtel. Ils signaient le registre, puis ils devaient payer la personne à la réception pour pouvoir monter avec moi à ma chambre. Après, nous redescendions, il partait, j’avais l’argent et c’était terminé. Lorsque c’était terminé, je me sentais vraiment mal, vraiment écorchée. J’allais dans la salle de bains et je serrais mes bras autour de moi parce que j’avais l’impression d’avoir vendu mon âme pour la médiocre somme de 75 $, ou tout autre montant que me payaient ces types.

Après avoir passé huit ans et demi dans l’industrie du sexe, j’ai développé le syndrome de stress post-traumatique. C’est une maladie courante chez les "travailleurs et les travailleuses du sexe", pour laquelle je suis toujours en consultation. Mais surtout, aussi à cause de ce genre de travail, j’ai commencé à boire et à consommer des stupéfiants. Ce qui m’a incitée à changer, c’est que j’ai vu toutes mes copines disparaître et se faire assassiner. Je me suis rendu compte que j’allais être la prochaine. Je serais bientôt la prochaine victime. Donc, j’ai décidé de changer de vie en participant à différents programmes, certains m’ont aidée et d’autres pas.

Ce que j’ai constaté, c’est que de nombreux programmes partent du principe que vous faites partie de l’industrie du sexe et que l’on va simplement vous inculquer certaines notions de vie pratiques, puis vous enseigner les rudiments d’un métier, après quoi vous pouvez vous trouver un véritable emploi. Mais que fait-on pour soulager les souffrances émotionnelles et mentales que l’on a subies ? Comme on l’a dit, il s’agit d’une question complexe. Il faudrait établir des programmes qui permettent à un "travailleur ou une travailleuse du sexe", qui veut sortir de cette industrie à trois heures ou à cinq heures du matin, de trouver un endroit où elle peut se réfugier. Elle ne devrait pas avoir à attendre jusqu’à 9 heures - c’est-à-dire les heures normales de bureau - pour que ces organisations ouvrent leurs portes afin qu’elle puisse venir y chercher de l’aide. Elle devrait pouvoir dire "j’ai besoin d’aide tout de suite. Et cette aide est disponible immédiatement".

Pour ce qui est de légaliser la prostitution, j’ai aussi entendu beaucoup de femmes dire qu’elles veulent disposer librement de leur corps. Ce que je me demande, c’est si le prédateur avec qui vous entrez en contact est du même avis ? Ce que je vous demande essentiellement, c’est, oui, vous pouvez légaliser la prostitution pour les femmes qui veulent que cette industrie soit légalisée, mais que fait-on pour les femmes qui veulent sortir de l’industrie du sexe ? Assurez-vous qu’il existe des programmes qui peuvent aussi les aider, parce que j’ai eu énormément de difficulté à sortir de l’industrie du sexe, et certaines femmes n’y arrivent pas parce qu’elles sont ravagées par l’alcool ou la drogue.

C’est tout ce que j’avais à dire. Je vous remercie de m’avoir écoutée.

* Témoignage de Jennifer Allen devant le Sous-comité pour l’examen des lois sur le racolage, le 30 mars 2005.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 janvier 2007.

Jennifer Allen


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