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Elle fera quoi, Ségolène, pour des gens comme moi ?

13 février 2007

par Maria Khourma

Vous avez demandé des opinions sur les présidentielles en France, en particulier sur la candidate Ségolène Royal.

Je ne pense malheureusement pas que les responsables de l’association féministe dont je suis membre aient le temps d’écrire un article sur ce sujet. En effet, elles sont toutes en train de se battre contre leur propre précarité, tout en militant.

Mais je peux vous donner mon point de vue personnel et mon opinion en tant que salariée (précaire) de cette association.

La situation des femmes en France est de plus en plus dramatique et se dégrade de jour en jour. C’est simple : avant 2004-2005, les femmes qui venaient à notre groupe de recherche d’emploi étaient aux ASSEDIC (1). Cette année, elles sont toutes au RMI (2). Elles doivent vivre avec 400 Euros par mois. Beaucoup cesseront de payer leur loyer et seront expulsées de leur logement. Elles viendront grossir ces "bidonvilles de France", tentes sous les ponts, cabanes et abris de fortune... ou les centres d’hébergement d’urgence surpeuplés. Elles auront tout perdu : dignité, sens de la vie, espoir...

Tous les jours, des assistantes sociales angoissées nous appellent pour nous demander des...logements ! Et nous, on leur répond : mais c’est vous qui deviez vous en occuper ! Nous ne sommes qu’une petite association qui touche quelques Euros de la Mairie de Paris pour permettre aux femmes de trouver refuge précaire dans la journée à l’abri de la violence de la rue, une douche et une machine à laver !

On n’a pas de logements !!!!

Alors, les femmes se mettent avec des hommes. Comme avant, comme avant le féminisme. Il faut un homme pour survivre. Lequel ne survit presque pas, mais c’est l’illusion d’être "comme tout le monde", une famille, un
"ménage" qui permet de se faire illusion sur sa situation. Je ne suis pas encore finie puisque j’ai un mari et que c’est le sens de ma vie.

Ce n’est pas une caricature. Une de mes amies, artiste et militante contre la pub sexiste, a une relation avec un homme plus âgé qui la méprise. Elle nous dit, une fois, pourquoi est-ce si dur de le quitter : "Et je vais donc retourner à mon RMI sans rien ?"

Et les femmes sans papiers ? Celles qui viennent à la permanence du RAFJFIRE (3), qui travaillent au noir, au jour le jour, qui font 3 heures de transport pour travailler 1h. Qui ne sont rien, qui sont invisibles, qui doivent se cacher, qui ne savent pas ce que sera demain. Même un animal, le moindre animal, a une place, un habitat, un nid. La faculté de lutter pour survivre.
Les sans-papiers n’ont même pas cela. Ils sont des objets encombrants.

Nous sommes invisibles.

Invisibles, c’est qu’on ne compte pas. Personne ne parle de nous, on nous écoute à peine. C’est pas qu’on ne sait pas qu’on existe, même s’il existe quelques bonnes âmes pour s’étonner de ma situation sociale (Comment ? Tu entames ta cinquième année de chômage ? Mais comment se fait-il que tu n’aies rien trouvé ?), les bonnes âmes s’accommodent. C’est la vie, c’est comme ça. Il faut sauver la planète, alors tu comprends...

Moi, j’entame ma cinquième année de chômage. Parce que même quand je travaille je suis au chômage. Contrat de deux mois, puis mi-temps pendant 1 mois. Puis rien, puis boulot de merde juste pour "nourrir des ASSEDIC" (on ne travaille plus pour soi, mais pour les ASSEDIC) ; puis des vacations, contrats d’une journée tous les deux ou trois mois (Mais il faut vous investir dans votre mission, Monika, hein ?), contrat aidé (4) à l’association.

6 mois, oui. Ouf, 6 mois. Mais mi-temps. Et puis, tu comprends, tu gagnes plus que le SMIC (5), donc tu coûtes cher à l’association. Et puis, ce n’est "qu’un contrat" aidé. Donc pas un vrai contrat. Mais un double travail. Mi-temps imposé. Mon salaire n’est même pas inclus dans les dossiers de subventions !

Bah, ils (les financeurs) risquent de refuser le dossier si on demande de l’argent pour un emploi. On va donc prendre un contrat aidé (ou stagiaire, ou "bénévoles associatif). 800 000 personnes travaillent chaque année GRATUITEMENT en France (stage) ; 11 000 000 de personnes sont "bénévoles" dont la moitié voudrait bien être payée. 7 000 000 vivent avec moins de 750 Euros par mois, avec des loyers mensuels allant de 300 à 600 Euros...

Moi, j’ai un diplôme supérieur, 10 ans d’expérience professionnelle, je parle cinq langues dont trois couramment. Mes langues n’ont d’ailleurs jamais intéressé personne en France.

Je travaille depuis 14 mois, mais à la fin de mon contrat, je n’aurai que 4 mois et demi d’ASSEDIC. Parce que, par la violence des nouvelles lois Sarko-Borloo, travaillant à mi-temps, on me considère comme consommant mon crédit d’allocations alors que je ne les touche pas !

Tout ce que je cotise ne s’additionne pas aux allocations existantes. Cela passe à la trappe. Et à la fin des 4 mois ? Rien. Aucun revenu. Le néant, le RIEN.

Après ? Si je ne paye pas le loyer de 450 Euros, début de la procédure d’expulsion du logement. Puis, 3 mois plus tard, droit de demander le RMI de 400 Euros...inférieur au loyer !!!

L’angoisse du lendemain, cela fait 15 ans que je la vis. Et je n’ai que 35 ans. Et je n’ai aucun espoir.

Au fait, elle a dit quoi Ségolène Royal au sujet de gens comme moi ?

RIEN.

Elle va abroger les lois Sarko, la chasse aux sans-papiers, aux enfants, aux chômeurs ?

Elle n’a même pas PROMIS d’abroger UNE SEULE des lois Sarkozy.

Cette femme ne va rien changer à ma situation ni à celle de mes semblables.

J’ai milité dans les collectifs anti-libéraux. J’ai été effarée par les prises de bec entre Marie George Buffet et les autres (Debons, Salesse, Autain). Et quand j’ai vu des personnalités importantes se rallier au communautariste anti-laïque Bové, j’ai perdu tout espoir !

Je crois que je vais boycotter les élections. On nous prend vraiment trop pour des imbéciles. Cette élection est une mascarade.

Notes

1. Nom de l’organisme qui verse l’allocation chômage aux chômeurs/chômeuses et les contrôle avec l’ANPE (Agence Nationale pour l’Emploi, organisme d’Etat chargé auparavant de reclasser les chômeurs, aujourd’hui voué surtout à leur contrôle).
2. RMI : Revenu Minimum d’Insertion
3. RAJFIRE : Réseau pour l’Autonomie des Femmes Réfugiées et Immigrées qui existe depuis presque 10 ans, est composé uniquement de militantes féministes et se bat aux côtés des femmes sans papiers.
4. Un contrat aidé est un contrat, soi-disant fait pour aider les chômeurs de longue durée, dans lequel l’Etat paye une bonne partie des cotisations sociales et parfois une partie du salaire sur la base du SMIC. Véritable "trappe à chômage", il encourage les entreprises à sous-payer les employé-es en tirant tous les salaires vers le SMIC, puisqu’au-delà du SMIC, il n’y a plus d’exonérations et d’aide d’Etat. En France, ces contrats sont souvent à mi-temps imposé, ils ne permettent pas de vivre. De plus, ils dévalorisent le travail puisque le travailleurs et travailleuses s’entendent souvent dire qu’ils ou ne sont "qu’en contrat aidé" donc pas de vrais travailleurs. Le monde associatif, étranglé financièrement par le libéralisme, use et abuse de ce type de contrat. Le pire, c’est quand des entreprises florissantes chassent les primes aux chômeurs et leur font des contrats aidés pour empocher l’argent du contribuable.
5. Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti. le salaire le plus bas autorisé en France, 7,50 Euros de l’heure. On ne peut même plus manger à ce tarif-là sauf dans la cantine chinoise la plus délabrée.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 février 2007

Maria Khourma

P.S.

 100 femmes jugent Ségolène, Le Nouvel Observateur, semaine du jeudi 8 février 2007.
 Les neuf chapitres du programme décryptés, par L’Humanité, le 13 février 2007.




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