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Ségolène Royal, une femme de cœur et de pouvoir

1er mars 2007

par Françoise Gange, philosophe et ethno-sociologue

Je ne crois pas me tromper en disant que Ségolène Royal est une femme de coeur bien que femme de pouvoir. Elle est une féministe depuis toujours, très consciente des injustices faites aux femmes, et qui a peut-être le tort d’afficher en toute situation pendant cette campagne un sourire (parfois agaçant) qui ne cadre pas avec son fort tempérament : tempérament ferme et même coléreux lorsqu’elle a l’impression d’être victime d’une injustice ou qu’on lui tire dans les pattes. Il s’agit d’une femme audacieuse, qui a une bonne expérience politique, de la générosité. Elle sait parler avec clarté, patience et répondre aux détracteurs aisément.

Quant à son programme (toujours la même chose, les machos bien français disent qu’elle n’en a pas, mais c’était prévisible, on ne dit ça d’aucun homme !) il se situe clairement à gauche, orienté vers l’entraide sociale, avec une insistance mise sur l’éducation, et des innovations quant au traitement de la jeune (voire très jeune) délinquance, pour laquelle elle prévoit un encadrement fort, "militaire", dit-elle. Il y a un énorme volet de délinquance des mineur-es en France : délinquance grave puisqu’on juge actuellement, par exemple, le meurtre d’un jeune père parti récupérer le vélo de son fils volé par 4 garçons de moins de 18 ans. Ou encore des professeures ou des institutrices se font régulièrement tabasser, parfois très gravement par des frères d’enfants de 8 ou 9 ans pour des questions complètement futiles de petite discipline normale (une jeune institutrice a demandé à un enfant de 9 ans de se ranger avec les autres devant sa classe, quand ses deux frères ont bondi sur elle, la jetant à terre et lui écrasant le visage, la bourrant de coups de pied dans les côtes jusqu’au coma !!)...

C’est évidemment pour Ségolène Royal que je vais voter. Sarkozy est un homme dangereux, qui sait jouer sur la peur des gens et qui voit "la crainte comme un sentiment salutaire", pour lui l’État doit être fort et contraignant ; il pourrait très bien à mon avis plonger la France dans un état de guerre entre les communautés.

Un problème pourtant : la France est dans un état financier catastrophique et les programmes de gauche, celui de Ségolène Royal y compris, ont toujours tendance à considérer l’entreprise, les "patrons", petits ou grands, les travailleurs indépendants, comme des vaches à lait. On ne voit pas comment S. Royal va pouvoir financer l’effort éducatif qu’elle met en avant dans son programme (augmentation des effectifs d’enseignant-es, suivi des élèves défavorisé-es, mixage des élèves handicapé-es dans les classes etc.).

Ségolène Royal amène un air frais en politique et elle a, en tous cas, moins de langue de bois que ses adversaires masculins. Il y aurait, avec elle, beaucoup plus de concertation que si c’est un autre candidat qui est élu. Le drame du jeu politique est ce clivage caduc gauche/droite : il y aurait tant d’idées nouvelles à mettre en place, loin de tout enfermement dans des catégories révolues. Je crois aussi que Ségolène Royal se battra pour plus d’égalité entre hommes et femmes (au travail, pour l’égalité des salaires notamment) dans ce pays encore si macho.

Le dernier passage de Ségolène Royal à la télévision, sur TF1 où elle était invitée à répondre aux questions qui lui étaient posées, (longue émission de près d’une heure et demie) a montré sa force d’élocution, sa capacité à écouter, à réfléchir et à répondre d’une toute autre manière que les "grands mâles politiques" : avec simplicité et profondeur, courage et même générosité. Lorsque l’homme handicapé lui a posé le problème du changement de regard nécessaire sur le handicap et qu’il était au bord des larmes, elle s’est avancé vers lui avec sympathie et un élan du coeur qu’on est bien peu habitué à voir à la télévision dans une émission politique.

Les féministes et la candidate à la présidentielle

Il est intéressant de constater qu’au cours de cette émission, c’est une femme qui lui a posé la sempiternelle question : "Mais vous, une femme, comment allez vous faire seule (sous-entendu avec le problème de la faiblesse féminine), vous devrez bien vous appuyer sur les hommes qui vous entourent car vous manquez d’expérience politique et de programme (sous-entendu toujours : la politique est le fait des hommes, donc si vous gagnez, qui va faire le vrai boulot qui consiste à sortir les idées et à diriger ?)". Exemple typique de réaction de la "femme patriarcale", c’est-à-dire de la femme qui s’est laissée modeler sans réaction dans le moule patriarcal ... d’après lequel le cerveau d’une femme ne pèse pas le même poids de capacité de réflexion, de pouvoir de décision, que celui de l’homme. Ô douleur d’entendre et de voir étaler par un femme ce manque de confiance dans les femmes... qui n’est finalement que manque d’amour de soi.

Ségolène Royal (sans doute attristée et un peu blessée comme nous toutes à chaque fois que nous croisons dans notre vie publique de ces "soeurs traîtresses"), ne s’est pourtant pas démontée et a rappelé tranquillement son déjà long parcours politique, montrant qu’elle ne manquait pas plus d’expérience politique que d’idées quant à une société moins injuste, moins cruelle et plus généreuse.

J’entends certaines féministes, qui se considèrent les seules patentées et ont tendance à voir le féminisme comme leur pré carré, reprocher à Ségolène Royal de "prendre le train du féminisme en marche au point d’en faire son beurre électoral en dénonçant violences et injustices faites aux femmes".

Pour moi, le féminisme ne doit pas être une appellation contrôlée, le seul valable est celui, généreux, qui reconnaît que nous les femmes, surexploitées dans tous les domaines et dans toutes les catégories confondues, niées dans nos identités, exclues de tant de lieux, bâillonnées de mille façons, avons eu à lutter de façons diverses selon nos situations. Je ne reconnais à personne le droit de s’établir en juge de cette lutte, toujours douloureuse, toujours difficile et peut-être mortelle. Ségolène Royal a lutté à sa façon, face à son père autoritaire et castrateur, face à Hollande pour sa reconnaissance propre. Et le fait qu’elle ne perde pas une occasion pour parler de l’exploitation des femmes doit nous réjouir. Pourquoi ne pas nous soutenir lorsque nous avons une occasion de faire entrer une femme (intelligente et généreuse de surcroît) dans le cercle si restreint du pouvoir des hommes ?

Ségolène Royal est nécessairement notre candidate à nous, féministes, qui avons acquis (durement) la pleine confiance dans les femmes, c’est-à-dire en nous-mêmes, en notre capacité de penser et d’agir avec sincérité, avec générosité et pour une société de l’entraide et de la confiance retrouvée. Trop souvent les femmes ont été les pires ennemies des femmes parce qu’elles ne parvenaient pas à trouver confiance en elles-mêmes. Ne nous trompons pas d’ennemi : l’ennemi est celui qui veut répandre la peur en même temps que la haine de l’autre, maintenir l’égoïsme et le chacun pour soi.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 février 2007.

Françoise Gange, philosophe et ethno-sociologue

P.S.

À lire :
"Avant qu’il ne soit trop tard", appel à voter pour Ségolène Royal signé par 150 intellectuel-les, Paris, Nouvel Observateur, 1er mars 2007.
Philippe Alexandre, Les Eléphants malades de la peste, Paris, Albin Michel, 2006.
Marc Lambron, Mignonne, allons voir..., Paris, Grasset, 2006.




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