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Le harcèlement sexuel à l’adolescence, élément d’une culture sexiste
15 septembre 2007
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Le harcèlement sexuel, qui prend les femmes et les filles pour cibles principales, commence tôt. Il est même bien intégré au processus de socialisation des préadolescent-es et des adolescent-es. Voici un extrait d’une recherche intitulée Consentantes ? Hypersexualisation et violences sexuelles, réalisée et rédigée par la chercheuse Pierrette Bouchard pour le CALACS de Rimouski, qui l’a publiée en mai 2007. Le CALACS a tenu au printemps un colloque sur l’hypersexualisation qui a attiré plus de 200 participant-es de divers milieux. On peut se procurer le document de recherche pour 25$, frais d’expédition inclus, en s’adressant au CALACS de Rimouski (Courriel ou téléphone : 418-725-4220).
On doit citer ce document ainsi : Bouchard, Pierrette (2007). Consentantes ? Hypersexualisation et violences sexuelles. Rimouski : CALACS de Rimouski. 108 p. Le titre de l’extrait publié ci-dessous est de Sisyphe. Sur des sujets apparentés, Pierrette Bouchard a écrit, entre autres : La sexualisation précoce des filles (avec Natasha Bouchard et Isabelle Boily, aux éditions Sisyphe, 2005. Voir la page des livres de Sisyphe ; Bouchard, Pierrette et Isabelle Boily avec la collaboration de Annie Nobert, Nathalie Dubuc et Micheline Beauregard (2005b), Sexualisation des préadolescentes, stéréotypes et consommation. Répertoire d’outils de sensibilisation. Québec, Université Laval : Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. 145 p. Bouchard, Pierrette et Natasha Bouchard (2003). « Miroir, miroir... ». La précocité provoquée de l’adolescence et ses effets sur la vulnérabilité des filles, Cahiers de recherche du GREMF no 87. Québec : Université Laval. 75p.
Wright (2001 : 44-45) montre dans son livre The Sexualization of America’s Kids And How to Stop It, comment se développe, au cœur de la socialisation différenciée et inégalitaire, les attitudes et les comportements qui mènent au harcèlement sexiste et sexuel.
Le modèle culturel de base qui conduit au harcèlement sexuel se repère assez tôt dans l’éducation des garçons. Les parents, sans réaliser les conséquences éventuelles, leur accordent le droit de passer en premier, les incitent à n’accomplir que les activités qui demandent de la force ou encore les encouragent en riant de leurs comportements insouciants ou débridés. Cette attitude se développe aussi, quand par exemple, les parents n’interviennent pas immédiatement lorsque leur fils pousse ou frappe sa sœur. Ce modèle se poursuit pendant la période scolaire quand les parents accordent plus de temps et d’importance aux activités et aux sports de leurs fils qu’à ceux de leurs filles. Ces attitudes de différenciation entre les deux sexes créent des effets profonds et durables qui vont influencer la représentation qu’ils auront des places attribuées à chacun des deux sexes. Au secondaire, ces différenciations sont renforcées quand, par exemple, les garçons se font dire de prendre soin de leurs mères quand le père est parti en voyage, ou encore quand ils accordent plus d’importance à l’opinion de leurs fils qu’à celle de leur fille. Ces différenciations sont très visibles quand les parents accordent plus de liberté (heures de rentrée plus tardives) à leurs fils qu’à leurs filles, ou encore quand ils veulent à tout prix connaître le copain de leurs filles mais pas nécessairement ceux que fréquente leur fils. Même si, prises séparément ces différenciations ne produisent pas nécessairement d’effets significatifs, cumulées elles créent un pattern de différenciations sexuelles néfastes.
La plupart des garçons n’ont pas des comportements inappropriés ou irrespectueux envers les filles, dit l’auteur, mais certains affichent volontairement des conduites sexuelles contrôlantes. Ces attitudes et comportements commencent habituellement à la fin du primaire. Il nous décrit un cas typique, inspiré de sa pratique de thérapeute auprès des enfants, des adolescents et des adolescentes. Un garçon se fâche contre une fille qui ne l’aime plus. Il camoufle sa peine et son embarras. Pour les masquer, il inverse la situation et commence à la taquiner. Ses amis se joignent à lui, parce que certains ont aussi vécu cette situation. Un momentum se construit quand ils sont tous ensemble ; les taquineries tournent à une confrontation contre la fille. Chaque garçon essaie d’être plus drôle et plus provocant que le précédent avec ses remarques. Elles deviennent de plus en plus blessantes et dégradantes. Un garçon lui dira qu’elle est grosse, l’autre lui dira qu’elle est grosse parce qu’elle est enceinte. Et le prochain renchérira en ajoutant que si elle est enceinte c’est qu’elle l’a « fait » avec des tas de gars.
À ce stade, la fille est blessée. Elle cherche à les ignorer, mais les garçons rient encore plus fort et ils sont de plus en plus déchaînés. Dans certains cas, des garçons vont jusqu’à la bousculer et d’autres lui pincer ou lui taper les fesses. Même si, déjà, ils ont dépassé les limites verbalement, ces touchers vont se révéler extrêmement dévastateurs pour la fille.
La réaction habituelle des filles est de se replier sur elles-mêmes et de les ignorer pour que ça finisse au plus vite (1). Les garçons s’éloignent, sachant pertinemment qu’ils n’ont pas bien agi, mais sachant aussi que personne ne fera rien, de toute façon. Les sentiments de peine et d’embarras à l’origine de cet incident seront dorénavant bien enfouis et ils le seront aussi longtemps qu’ils continueront de harceler et d’objectiver les filles (2).
Le thérapeute donne ensuite quelques exemples pour illustrer le harcèlement sexiste et sexuel à l’adolescence (p. 24-25). Voici l’histoire de Frank, un jeune de 15 ans.
Ce dernier a rencontré le thérapeute, à la demande de sa mère et de son beau-père, parce qu’il tient des propos grossiers sur la sexualité et qu’il est de plus en plus violent et irrespectueux avec les filles. Franck explique à Wright que tous ses copains s’expriment comme lui. Il admet, qu’à l’occasion, il tient des propos blessants et triviaux et qu’il lui arrive de passer des commentaires sexuels. Il se tourne vers son beau-père pour lui dire : « Je suis sûr que tu fais ça toi aussi quand tu es avec tes amis ; de plus, mon père le fait lui aussi quand il est juste avec moi et mon frère. Les gars font tous ça et il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire ». Dans le cas de Frank, ses pratiques à l’encontre des filles sont étroitement imbriquées avec sa perception de la masculinité. Dans cette vision du monde, les hommes ont un espace social bien à eux, dans lequel ils peuvent objectiver sexuellement les filles et les femmes, sans qu’il n’y ait de conséquences negatives. Au contraire, ces comportements et la connivence des hommes adultes qui l’entourent lui servent à construire son appartenance au monde masculin.
Le lien entre harcèlement sexuel et agressions sexuelles
Feuereisen (2005 : 4-5) pointe également un certain nombre de mythes persistants qui freinent l’éducation et la prévention contre le harcèlement et les agressions sexuelles. Une démission certaine se cache derrière des lieux communs, tel celui qui affirme que « les garçons resteront toujours les garçons (boys will be boys) » :
« La culture continue de perpétuer la croyance sexiste que les jeunes filles sont prêtes à s’engager dans une sexualité active quand leur corps commence à se développer. Cette culture insinue que les jeunes filles ‘veulent vraiment’ des hommes plus âgés [...]. Cette culture continue à mettre en doute le rôle joué par la victime lors d’une agression sexuelle, que ce soit une jeune fille violée par son oncle (‘Flirtait-elle ?’) ou un gars qui viole la fille avec qui il a un rendez-vous (‘L’a t-elle provoqué ? Que portait-elle ?’). [...] Bref, nous vivons dans une culture où la sexualité, surtout celle des femmes, est un bien de consommation, quelque chose qui est utilisé pour vendre des produits ou satisfaire les désirs des hommes. Dans les vidéoclips, les femmes, surtout les femmes de couleur, ne sont pas tellement mieux représentées que des prostituées. Dans cette culture, les hommes agressent les filles à une cadence stupéfiante ».
Wright prend l’exemple d’un cas de harcèlement sexuel, un frère à l’égard de sa soeur âgée de 14 ans (2001 : 37-38). Après une gradation, le jeune homme en est rendu à lui pincer les seins et les fesses. La mère est autant bouleversée par le comportement de son fils que par celui de sa fille qui ne s’est pas plainte jusque-là. Cette dernière explique que la plupart des garçons traitent ainsi les filles. Elle ne s’attendait pas à ce que son frère agisse de la sorte avec elle, mais lorsque les autres garçons ont de tels comportements à l’école, personne ne s’en offusque.
Le jeune homme explique lui aussi que tous les garçons se comportent ainsi. Ses amis font constamment des remarques sexuelles sur les filles et leur donnent des tapes sur les fesses ou les pincent à l’occasion. Quand sa sœur a poussé un cri, il pensait que c’était seulement pour rire. Il justifie son geste de la façon suivante. À l’école, toutes les filles sont uniquement préoccupées par leur apparence et elles exhibent leur corps. Il considère que sa sœur fait exactement la même chose. Il admet peut-être être allé un peu trop loin mais à ses yeux, c’était juste un compliment.
Après plusieurs rencontres avec Wright, le garçon a commencé à voir sa sœur comme une personne plutôt que comme un objet sexuel. Comme bien d’autres garçons et jeunes hommes, constate le psychothérapeute, il a intériorisé une représentation négative des filles pour se donner cet apparence cool promue par les médias.
La concordance des points de vue de ces deux psychothérapeutes de l’enfance et de l’adolescence renforce la nécessité d’une intervention familiale, scolaire et sociale contre les stéréotypes sexistes et sexuels et contre les rapports inégalitaires entre garçons et filles.
Meunier (2005) rapporte que « trois élèves sur quatre se font harceler sexuellement par leurs pairs au cours de leur passage au secondaire [...]. Ces résultats inquiétants ont été obtenus auprès de 3000 élèves de huit écoles de Montréal, Kingston et Toronto, qui ont été suivis par des psychologues des universités York et Queen’s, en Ontario. Le harcèlement se présente sous forme de remarques sexuelles désobligeantes, de blagues sexuelles sur le physique d’un élève ou par la propagation de rumeurs sur Internet. Chez les gars, les railleries à saveur homophobe dominent »._
Whealin (2002) a aussi mené une enquête sur le harcèlement sexuel en milieu universitaire. Les résultats montrent que 98.7% des filles ont été la cible d’une attention sexuelle non désirée avant 18 ans, par exemple des gestes, des regards ou des commentaires sur leur sexualité ou sur leur apparence physique.
Wright (2001 : 31) donne encore l’exemple d’un jeune homme de 15 ans rencontré en thérapie pour attouchements sexuels sur une jeune fille de 12 ans. Invité par un copain, plus avancé que lui sur le plan sexuel, à rencontrer cette fille, et ne sachant pas trop comment se comporter, il commence à l’embrasser puis, voyant son copain le faire avec sa compagne, il l’emmène dans une chambre à coucher. Les baisers se transforment en caresses et les caresses en attouchements sexuels non désirés. Il cesse. Si la jeune fille donne son accord pour les baisers, il se rend vite compte qu’elle ne l’a pas fait pour le reste. Les deux retournent au salon écouter la télévision, très embarrassés, jusqu’à ce que le copain sorte de sa chambre avec sa compagne. La jeune fille a confié l’incident à une amie, qui à son tour l’a confié au psychologue scolaire. Le jeune homme explique à Wright qu’il ne se sentait pas bien avec ça, mais qu’il ne savait pas quoi faire d’autre. Wright conclut que le comportement de ce jeune homme était non seulement influencé par celui de son copain, mais par la culture cool transmise par les médias. « Être cool en apparence, faire ce que font les autres pour le fun et tout est correct ». Dans ce cas, l’immaturité sexuelle du garçon conjuguée aux effets de la culture des médias, excitante mais aliénante, les ont poussés, lui et sa victime, dans une situation intenable. Ce monde cool n’est pas la réalité. Il est non seulement artificiel, mais potentiellement dangereux dans le monde réel. » (...)
Notes
1. Pour une étude approfondie des effets sur les filles, lire : Owens et al.(2000). « ‘It hurts a hell of a lot...’ : the effects of indirect aggression on teenage girls ».
2. Voir aussi Quinn (2002). « Sexual harassment and masculinity : the power and meaning of ‘girl watching’ ».
Bibliographie
* Feuereisen, Patti avec la collaboration de Caroline Pincus (2005). Invisible Girls. A Book for Teen Girls, Young Women, and Everyone who Cares About Them. Emeryville, Ca : Seal Press. 233 p.
* Lagueux, Fabienne et Marc Tourigny (1999). État des connaissances au sujet des adolescents agresseurs sexuels. Québec : Ministère de la Santé et des Services sociaux. 86 p.
• Meunier, Hugo (2005). « Trois élèves sur quatre seraient l’objet de harcèlement sexuel ». La Presse. 1er octobre.
• Owens, Laurence, Slee, Phillip et Rosalyn Shute (2000). « ‘It Hurts a Hell of a Lot...’ : The Effects of Indirect Aggression on Teenage Girls ». School Psychology International. 21 (2). pp. 257-274.
• * Quinn, Beth A. (2002). « Sexual Harassment and Masculinity : The Power and Meaning of ‘Girl Watching’ ». Gender & Society. 16 (3). pp. 386-402.
* Whealin, Julia (2002). « Women’s Report of Unwanted Sexual Attention during Childhood ». Journal of Child Sexual Abuse. 11 (1). pp. 75-94.
* Wright, James E. (2001). The Sexualization of America’s Kids And How to Stop It. New York, Lincoln, Shanghai : Writers Club Press. 177 p.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 septembre 2007
P.S. Lire : La sexualisation précoce des filles, par Pierrette Bouchard, Natasha Bouchard et Isabelle Boily, Éditions Sisyphe, 2e éditions, 2006.
Source -
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2736
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