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Les "différences culturelles" peuvent-elles excuser le sexisme ?

1er octobre 2007

par Janine Booth, l’Alliance for Workers Liberty

Au cours du forum annuel de discussions (« Ideas for Freedom », « Des Idées pour la Liberté ») organisé par l’Alliance for Workers Liberty les 9 et 10 juillet derniers, l’un des débats a porté sur « La gauche* et le relativisme culturel ». Nous présentons ci-dessous un résumé de l’intervention de Janine Booth établi à partir de notes. Malgré le caractère un peu elliptique de ce texte sur certains points, il nous semble important de le faire connaître, étant donné l’essor du multiculturalisme en France, à gauche comme à droite, comme en témoignent notamment le mouvement autour de l’Appel des indigènes de la République ou les propositions de Sarkozy en matière de « discrimination positive ». (Ni patrie ni frontières.)



L’AWL est une organisation socialiste. Nous faisons partie de « la gauche ». Cela signifie que nous soutenons inconditionnellement les droits, les libertés et l’égalité des femmes. De même, nous combattons fermement toute forme de racisme et d’homophobie. Pour nous, ces idées et ces principes de base sont clairs et évidents : pas de socialisme sans libération des êtres humains, pas de libération sans socialisme. Nous combattons l’oppression et le fanatisme religieux d’où qu’ils viennent.

Pour d’autres individus ou groupes de « gauche », les choses ne sont pas aussi simples. En effet, ils usent de faux-fuyants quand l’oppression se manifeste au sein d’« autres cultures ». Je prendrai quelques exemples.

Une femme sikh a récemment écrit une pièce de théâtre (Behzti, Déshonneur) sur la question du viol et de « l’honneur » dans la communauté sikh. Un mouvement de protestation s’est organisé contre cette pièce, exigeant son interdiction pour « blasphème ». Le directeur du théâtre de Birmingham a cédé sous la pression et déprogrammé Behzti.

Un conseiller municipal travailliste local a même condamné cette œuvre parce que, selon lui, elle ne respectait pas les convictions religieuses des sikhs. En 2001, Bob Pitt, un militant qui se prétend socialiste, a condamné dans Weekly Worker, l’hebdomadaire du Parti communiste britannique, la prétendue « arrogance raciste » de ceux qui refusaient de défendre les talibans parce que ce mouvement n’était pas progressiste !

Le même Bob Pitt a créé un site de surveillance de l’islamophobie (Islamophobia Watch). Ce site particulièrement sinistre recense toutes les critiques adressées à l’islam ou aux dirigeants musulmans - y compris celles dénonçant des actes incontestablement sexistes, homophobes ou antisémites. Bob Pitt range pêle-mêle toutes ces critiques sous la rubrique « islamophobie » et ne fait aucun effort pour esquisser la moindre explication. L’Alliance for Workers Liberty et Peter Tatchell (du groupe Outrage !) partagent le grand honneur d’être considérés comme « islamophobes » par ce site web.

Ken Livingstone, maire travailliste de Londres, a invité officiellement Youssouf al- Qaradawi à Londres en juillet 2004. Le même al-Qaradawi soutient la « circoncision féminine », c’est-à-dire l’excision, qui est une mutilation du corps féminin ; il pense que les maris doivent frapper leurs femmes pour les « mettre en garde » contre toute « désobéissance » si d’autres moyens n’ont pas été efficaces ; et il considère que les maris doivent obliger leurs épouses à se voiler. Outrage ! (créé en mai 1970 après l’assassinat d’un acteur homosexuel, ce groupe pratique l’action directe et rassemble des militants homosexuels, lesbiennes et bisexuels) a confectionné tout un dossier notamment sur ce sujet. Ceux qui se sont opposés à l’invitation de Qaradawi par le maire de Londres ont évidemment été dénoncés comme « islamophobes ».

La coalition Respect (créée par le Socialist Workers Party, trotskyste, et d’autres forces comme la MAB, Muslim Association of Britain, proche des Frères musulmans) nous demande de voter pour des candidats hostiles à l’avortement et qui ont des conceptions sexistes du rôle social des femmes.

En même temps - et les deux phénomènes sont liés - le mouvement féministe a pratiquement disparu en Grande-Bretagne. Et pourtant il nous fait cruellement défaut :

* de grandes différences de salaires subsistent entre hommes et femmes
* la division du travail selon les genres continue
* la violence domestique perdure
* le droit à l’avortement est remis en cause
* les tâches ménagères et l’éducation des enfants ne sont pas équitablement réparties entre les parents
* les structures concernant la petite enfance (crèches, etc.) manquent tragiquement de moyens
* les femmes enceintes et les mères sont victimes de discriminations dans le travail
* les femmes sont surexploitées dans les ateliers clandestins
* les femmes souffrent davantage des attaques gouvernementales et patronales contre les droits des travailleurs : bas salaires, licenciements, privatisations ou remises en cause des retraites, etc.

Face à cette situation, la gauche et le mouvement ouvrier devraient en principe tenter de reconstruire un mouvement des femmes - ce qu’ils ne font pas. Par contre, certains groupes de gauche nous ordonnent de nous taire quand nous nous opposons au sexisme pour de « mauvaises raisons ».

Quelle est l’origine de cette attitude ?

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à plus d’une vingtaine d’années en arrière, et souligner la convergence entre plusieurs phénomènes d’origine diverse, dont le rôle du SWP ne constitue que l’un des éléments.

1) Dans les années 70, le mouvement féministe, qui était puissant à l’époque, a politisé beaucoup de femmes et modifié les comportements de beaucoup d’hommes. Ce mouvement s’est divisé entre d’un côté les « féministes socialistes » et de l’autre les « féministes radicales ». Ce sont malheureusement les féministes radicales qui ont gagné ce combat politique et leurs positions sont devenues hégémoniques. A la suite de cela, les travailleuses se sont désintéressées du mouvement féministe et celui-ci s’est effondré. Une nouvelle idéologie politique est apparue, que l’on peut grosso modo résumer ainsi : seuls ceux (ou celles) qui ont directement l’expérience d’une forme particulière d’oppression ont le droit d’exprimer une opinion à ce sujet. Conséquence : il est devenu pratiquement impossible de critiquer les positions politiques de certaines catégories de la population, et de certains peuples.

2) Au début des années 80, des militants travaillistes de gauche élus dans des conseils municipaux se sont trouvés en opposition avec le gouvernement conservateur qui voulait diminuer leurs ressources financières. D’abord ils prétendirent qu’ils allaient défier les conservateurs, puis ils firent marche arrière.

Ils essayèrent de maintenir une image de « gauche » en mettant en avant des revendications concernant l’égalité. Cette démarche aurait pu être positive si elle n’avait pas eu pour objectif de remplacer une politique de classe militante par des revendications plus limitées, et non à lui servir de complément.

Ils mirent en place une bureaucratie, des spécialistes municipaux des questions de l’égalité, experts dont les avis ne pouvaient évidemment pas être remis en cause.
Ils défendirent l’idée d’une « coalition arc-en-ciel », rassemblant séparément des communautés opprimées, plutôt qu’un mouvement ouvrier qui s’opposerait à l’oppression et unirait ceux qui la subissent.

3) Pendant ce temps, dans les milieux intellectuels et universitaires, le postmodernisme prit son essor. Cette idéologie combattait (et combat encore) l’idée qu’il puisse exister des droits ou des concepts universels, et soutenait que, les cultures étant essentiellement différentes, on ne pouvait leur appliquer les mêmes valeurs. Parallèlement, le mouvement du « politiquement correct » dans les universités américaines affirmait que les structures du langage étaient plus importantes que celles de l’oppression. Ce mouvement nia, lui aussi, le droit d’analyser de façon critique les opinions émises par les membres de communautés opprimées.

4) L’essor de la religion. Dans les années 80, l’ère de Reagan et Thatcher, ces deux dirigeants politiques prétendirent agir au nom de Dieu et bénéficièrent de l’appui de la droite chrétienne. Les courants fondamentalistes grandirent dans les différentes religions, souvent dans des parties du monde où les individus se sentaient abandonnés par le capitalisme séculier. Bien sûr, il existe des différences entre les religions, et, au sein de chacune d’elles, on trouve des courants plus libéraux ou conservateurs que d’autres, etc. Mais le fondamentalisme religieux a pris de l’importance, en même temps que des mouvements politiques qui voulaient imposer la religion sur la scène politique et dans les affaires publiques.

 Lire la suite de cet article -> : Les « différences culturelles » peuvent-elles excuser le sexisme ?, sur le site Pro-choix.

(Le 21 septembre 2007. Traduction Ni patrie ni frontière.)

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 septembre 2007.

Janine Booth, l’Alliance for Workers Liberty


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