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Est-ce de l’islamophobie de critiquer l’intégrisme islamiste ?

30 novembre 2007

par Micheline Carrier

Encouragé par une opinion qui soutient que les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis se résument à un « coup monté » visant à susciter l’islamophobie et à justifier l’attaque ultérieure de pays riches en pétrole, l’intégrisme islamique s’affirme de plus en plus ouvertement dans plusieurs pays du monde. Le terrorisme islamique, auquel on peut par ailleurs trouver des explications sans nécessairement le justifier, serait aux yeux de certains une chimère inventée pour « diaboliser » tous les musulmans sans distinction à des fins politico-économiques.

Grâce à la sympathie d’une partie de la gauche intellectuelle qui, elle, a tendance à « diaboliser » les États-Unis, des individus se justifient, prétendument au nom de croyances religieuses, d’imposer leurs volontés aux institutions civiles, et ils manipulent les droits à des fins ségrégationnistes et politiques. Ces manipulateurs se disent victimes de racisme quand leurs comportements et leurs prétentions religieuses sont remis en question. Selon leur habitude, les groupes ou individus de tendance intégriste s’attaquent d’abord aux droits des femmes. Cela ne se voit pas seulement dans des pays totalitaires où la religion sert de programme politique, mais aussi au Canada, aux États-Unis et en France, où l’État est censé être indépendant des pouvoirs religieux.

L’ONU prise d’assaut

Des États intégristes, soutenus par le lobby du Vatican et parfois des porte-parole juifs, ont pris d’assaut les plus hautes institutions civiles internationales. Pendant plusieurs décennies, cette alliance a fait échec à des résolutions favorables au droit à l’avortement, à la contraception, à l’éducation sexuelle, à la santé reproductive en général. Ces alliés de circonstance ont aussi toujours rejeté les personnes homosexuelles, et certains pays vont jusqu’à les emprisonner et à les assassiner au nom de la foi. La religion semble un alibi efficace quand on observe la facilité avec laquelle on s’incline à sa seule évocation. Même la télévision de Radio-Canada a ajouté des capsules d’information sur les religions dans des émissions on ne peut plus profanes. Les actes et attitudes intégristes qui se réclament des religions dénotent une seule et même volonté de contrôler la vie des individus, avant tout celle des femmes. C’est surtout la sexualité qui dérange et qu’on cherche à réprimer.

La même « union sacrée » a sonné la charge à nouveau, en février 2006, persuadant l’ONU d’adopter des résolutions contre la « diffamation » des religions. L’affaire des caricatures de Mahomet, qui avait embrasé l’opinion mondiale, avait préparé le terrain. Ce sont des pays totalitaires qui ont d’abord réclamé que l’ONU condamne la diffamation de l’islam. Ils ont obtenu le soutien du Vatican, influent dans les coulisses de l’ONU, ainsi que celui d’autres représentants religieux intéressés eux aussi à ce qu’on restreigne toute critique des religions. En septembre 2006, dans sa résolution 60/288 sur la stratégie de lutte contre le terrorisme, l’Assemblée générale de l’ONU « recommandait aux États de lutter contre ‘la diffamation des religions’. Sans préciser comment, ni en quoi ce genre d’initiative permettrait de réduire le terrorisme. »(1) Les représentants de pays totalitaires et leurs alliés ont obtenu que l’Assemblée générale et le Conseil des droits humains « incorporent dans leurs résolutions des injonctions pressant les États d’adopter des "mesures énergiques" afin d’"interdire la diffusion d’idées et de documents (...) diffamant les religions". Sera considérée comme diffamation "toute action contre les religions, les prophètes et les croyances". Les États sont appelés à modifier en ce sens "les constitutions, les lois et les systèmes d’éducation"... » (2)

Autrement dit, l’ONU a cautionné la répression de toute critique des religions. On sait que, dans certains pays, la moindre critique des lois est vue comme « une action contre les religions » et passible de sanctions démesurées. Le moindre geste, ailleurs considéré acte civil ou « laïque », par exemple, le fait pour une femme de se montrer seule et à visage découvert en public, devient une insulte digne de l’emprisonnement et du fouet dans des pays où la religion est politique d’état. L’ONU a donc cautionné aussi les atteintes aux droits humains. C’est dire le pouvoir des intégristes !

L’intégrisme religieux au Québec

La montée de l’intégrisme religieux dans le monde n’est pas sans effet sur les sociétés canadienne et québécoise. On a vu, au cours des dernières années, un groupe islamiste tenter d’imposer l’arbitrage religieux dans les lois sur la famille en Ontario. On a vu aussi des institutions civiles répondre complaisamment à des demandes dérogeant au respect des droits, notamment au droit à l’égalité des femmes, en invoquant les croyances personnelles des demandeurs. Même si ces cas ne sont pas légion, dans le contexte national et international que l’on connaît ils ont soulevé de l’inquiétude au sein de la population québécoise qui craint qu’on accommode les droits aux goûts des croyances de tout un chacun. Une inquiétude qu’ont récupérée et alimentée des hommes politiques sans scrupules, mais qu’ils n’ont pas inventée. Les esprits s’échauffant et une campagne électorale s’amorçant, le Premier ministre du Québec, M. Jean Charest, a créé, en mars 2007, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (dite Commission Bouchard-Taylor, des noms de ses présidents) (3). Il y est abondamment question, entre autres, de ces mal nommés et mal aimés « accommodements raisonnables ».(4)

Jusqu’ici, il se dégage des audiences de la Commission et des mémoires qu’elle a reçus une ferme volonté de préserver la primauté de la langue française, la laïcité des institutions et l’égalité hommes-femmes de l’influence des religions. Faut-il s’en étonner quand on sait que l’histoire du Québec a été marquée par une forte emprise des autorités catholiques sur les pouvoirs civils et l’ensemble de la société ? Le principe de l’égalité hommes-femmes fait l’objet des plus fermes interventions. Là encore, rien d’étonnant si on se rappelle que les intégristes religieux s’attaquent en premier lieu à la liberté des femmes. Aucune religion ne reconnaît dans les faits l’égalité hommes-femmes, certaines la combattent activement et persécutent même les femmes qui luttent pour leurs droits.

Devant le sort réservé à des femmes de pays où la religion sert d’alibi à toutes les violations et à toutes les violences (5), la crainte que de pareils intégristes puissent être tolérés au Québec paraît légitime. Faut-il rappeler qu’en dépit des lois québécoises et canadiennes, il existe chez nous des adolescentes forcées à se marier, des filles excisées, des hommes polygames, des femmes incitées à afficher des symboles de soumission, et il y a eu au moins un « crime d’honneur » dans l’Ouest du Canada. La France nous donne aussi l’exemple de meurtres par lapidation et autres crimes commis au nom de l’islam contre des femmes, par des hommes de leur famille ou des amis. (6)

Des gens estiment pourtant que cette inquiétude n’est pas fondée. La défense du principe d’égalité hommes-femmes, qui s’exprime avec une force sans précédent, cacherait selon eux des mobiles peu avouables. On « instrumentaliserait » les droits des femmes - en particulier des femmes musulmanes - à des fins racistes, on attiserait l’islamophobie si l’on fait état des tendances intégristes chez certains musulmans. On a peine à le croire, cette rhétorique s’entend de la bouche de personnes qui luttent depuis des années contre le sexisme et pour l’égalité, et qui dénoncent ouvertement les tendances intégristes du Vatican quand ce dernier lance des déclarations ex-cathedra sur la contraception, l’avortement et les relations sexuelles. La peur d’encourager le racisme fait-elle oublier que le combat contre le sexisme ne saurait se faire au seul bénéfice des Québécoises « de souche » ? Le sexisme est une forme de racisme basé sur le sexe et il traverse tous les groupes ethno-culturels sans exception. Vraisemblablement, l’« instrumentalisation » de la religion et du combat contre le racisme à des fins politiques et misogynes préoccupent moins ces personnes que les droits des intégristes qui se servent de la liberté de religion comme alibi. Ces derniers ont tout lieu de se réjouir qu’on fasse l’impasse sur leur misogynie.

Il en est qui ne voient dans la consultation de la Commission Bouchard-Taylor qu’un moyen de propager des préjugés envers les immigrant-es. Certain-es ont même suggéré d’empêcher les interventions qui pourraient provoquer un sentiment de rejet chez des Québécois-es de diverses origines ethniques. D’autres ont souhaité que ne soient consultés que ceux et celles qui émettent des opinions « convenables » et dans un vocabulaire châtié. Scandale ! Les interventions devant la Commission Bouchard-Taylor ne se font pas toutes dans la pure rhétorique universitaire ni dans le style du réputé quotidien Le Devoir ! On a parfois fait passer des gens des régions pour des arriérés parce qu’ils n’exprimaient pas leurs inquiétudes dans la langue de bois convenue en certains milieux.

Qu’il existe des personnes racistes et xénophobes au Québec et que certaines interventions à la Commission Bouchard-Taylor en soient le reflet, c’est un fait. Mais on ne peut attribuer les préjugés d’un petit nombre à tous les Québécois et Québécoises qui craignent la montée de l’intégrisme. À côté de quelques interventions à caractère xénophobe, plusieurs autres, dont certaines proviennent de Québécois-es immigrant-es, témoignent de la capacité d’accueil du Québec. Mais les montages qu’en font des médias tendent à ne montrer que les ombres au tableau.

La peur de l’obscurantisme

Devant les soupçons et les accusations de racisme qui fusent ici et là, des personnes de bonne foi craignent de s’exprimer. Dans un message adressé sur le site Sisyphe à Yolande Geadah, l’auteure de Accommodements raisonnables, droit à la différence et non différence des droits (7), une femme exprime un sentiment assez répandu, même chez les féministes :

    « J’espère que vous allez soumettre un mémoire devant la Commission Bouchard-Taylor, écrit-elle à Y. Geadah. Étant vous-même immigrante, on accordera davantage de crédibilité à votre témoignage. Les femmes « de souche » qui critiquent le foulard, le niqab, la burka ou la ségrégation des sexes dans les services collectifs sont facilement accusées de xénophobie ou d’avoir peur de la modernité (alors qu’en réalité, c’est plutôt la peur de l’obscurantisme !)... Une journaliste suédoise vient de publier un livre où elle manifeste une grande inquiétude face au phénomène du voile qui se répand partout en Europe. Elle a été accusée de « burkaphobie » ... une sorte de nouveau crime haineux !

    « Récemment, j’étais en ville avec ma fille et nous avons croisé une femme portant un tchador noir (on voyait à peine les yeux). Ma fille s’est mise à crier de peur, comme si on visionnait un film d’horreur.

    « Vous lirez le rapport de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants publié au printemps dernier sous le titre Report on Needs of Muslim Students (en anglais seulement) (8). On y recommande notamment la ségrégation des femmes dans les installations sportives, et des grillages sur les fenêtres durant les heures réservées aux femmes. La Fédération présente ces recommandations comme étant des "accommodements" auxquels les Universités ont l’obligation légale de souscrire. Je suis horrifiée par cette tendance à prôner la "ségrégation" et le sexisme... au nom de la modernité et de l’ouverture aux autres cultures ! En fait, je trouve que c’est du racisme institutionnalisé. » (9)

Comme cette femme l’a compris, c’est la peur de l’obscurantisme, dont des générations de Québécois et de Québécoises ont souffert, et non la peur des musulman-es ou des « autres, que traduisent la majorité des interventions faites à la Commission Bouchard-Taylor et, avant elle, sur les « faux accommodements » consentis sous des prétextes religieux.

On ne se prive pas de critiquer la religion catholique, dont la tutelle a retardé l’émancipation personnelle et collective, civile et juridique des femmes québécoises. On critique aussi les exigences de certains juifs qui iraient à l’encontre du respect des droits, dont celui de l’égalité hommes-femmes. (10) Mais tout ce qui concerne l’islam devrait être exempt de critique parce que des gouvernements exploitent à leurs fins des attentats perpétrés en 2001.

Il faut s’interroger sur la signification des réactions épidermiques de certains intellectuels devant toute critique de l’islam, alors qu’ils semblent aveugles devant l’emploi de la liberté de religion comme alibi pour justifier la violation des droits humains et qu’ils ne disent mot sur la manipulation du Coran à des fins misogynes et politiques. Quel objectif vise-t-on en invoquant à outrance le « post-11 septembre » et en brandissant abusivement la montée de l’islamophobie pour faire taire les personnes qui critiquent les aspects répressifs et nettement discriminatoires de l’islam ? Servent-ils les intérêts de la communauté musulmane qui résiste à ce noyau intégriste ? La première arme des pouvoirs intégristes et totalitaires a toujours été d’imposer le silence aux individus et aux groupes qu’ils veulent dominer. Qu’ils le veuillent ou non, ces intellectuels se font complices des intégristes qui sont à l’œuvre non seulement dans des pays reconnus comme foyers d’intégrisme, mais aussi dans des pays occidentaux où des femmes cherchent à se libérer du joug de cultures et de religions opprimantes.

Et si c’était la naïveté qui était « instrumentalisée » ?

 Prochain article : « Un féminisme gangrené par le relativisme ».

Notes


1. « ONU - Vers un délit de ‘diffamation des religions’ », par Jeanne Favret-Saada
2. « La laïcité est l’affaire des femmes - Appel contre les résolutions de l’ONU sur la ’diffamation des religions’ », par SIAWI
3. Site de la Commission.
4. En effet, cette appellation à caractère juridique réfère à des arrangements particuliers accordés à des individus, généralement pour des motifs de limitations physiques ou mentales qui n’ont rien à voir avec les croyances ou les choix individuels (par exemple, aménagement des lieux pour personnes handicapées, retrait préventif d’un travail pour les femmes enceintes, etc.).
5. « Le gouvernement de l’Iran emprisonne et maltraite des féministes qui dénoncent ses lois misogynes », par Chahla Chafik, et « Iran - Peine de prison et 10 coups de fouet pour une militante après une manifestation, par Maryam Youssefi.
6. « Lapidation de Ghofrane en France », par Élaine Audet
7. « Accommoder ou résister », Louis Cornellier, Le Devoir, 19 et 20 mai 2007.
8. « Report on Needs of Muslim Students » (en anglais seulement).
9. « Le vote à visage découvert », par Yolande Geadah. Voir le commentaire sous cet article.
10. Dans un jugement rendu le 26 octobre 2007, la Commission des droits de la personne du Québec a blâmé l’Hôpital juif de Montréal pour discrimination à l’endroit de deux employées. Le Devoir, édition du mardi 06 novembre 2007. On peut télécharger le jugement du tribunal sur le site de la Commission

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 novembre 2007

Micheline Carrier

P.S.

Lire aussi : Féminisme et Vatican : l’inconciliable, par Micheline Carrier




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