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Journal de voyage au Sénégal
Pour l’amour des enfants talibés19 décembre 2007
par
Ce n’est pas à titre d’avocate ni de présidente du Conseil du statut de la femme que Christiane Pelchat signe ce récit d’un voyage au Sénégal effectué en octobre dernier. C’est plutôt à titre de femme engagée dans la coopération internationale, qui continue de suivre et d’aider des enfants, maintenant plus grands, qu’elle a soutenus au cours de ses années de coopération. D’abord à Saint-Louis, avec son conjoint Serge, de novembre 1998 à février 2000, et ensuite seule à Dakar, de décembre 2001 à décembre 2003. Serge était chef de projet à la Fondation Paul Gérin-Lajoie tandis que Christiane était coopérante volontaire du Centre d’étude et de coopération internationale (CECI), pour la Fondation. À Saint-Louis, quand le nouveau marabout ou maître de Coran s’est révélé un être dur pour les enfants que lui avaient confiés des familles, généralement pauvres, les deux coopérants sont partis à la recherche des familles afin de les inciter à reprendre avec eux ces petits garçons maltraités et malheureux. Grâce à une expérience de collaboration avec un bon marabout, la Fondation Saint-Louis alphabétise maintenant plusieurs enfants talibés. Pour une meilleure compréhension de ce récit de voyage : un marabout est un maître de Coran, un talibé, un élève ou disciple du marabout, et une daara, une école coranique dirigée par un marabout.
Bonjour, amies et amis qui nous suivez depuis longtemps ! Nous voulons partager ce récit avec vous.
Serge et moi sommes retournés au Sénégal au mois d’octobre dernier pour revoir nos amis. Parmi eux, cinq enfants de la rue, talibés mendiants, qui ont réintégré leur famille dans leur village. Ces enfants, qui venaient soir et matin chez nous à Saint-Louis pour prendre deux repas par jour, ainsi qu’une demi-tasse de riz cru qui servait au marabout de leur école coranique. Ils venaient aussi se laver et se changer. Nous comptions une dizaine de ces petits enfants malades, affectés par la galle, les conjonctivites, la typhoïde, la malaria, les infections de toutes sortes. Un d’entre eux est décédé des suites d’une méningite non soignée.
Au cours des années, avec l’aide d’amis sénégalais, nous avons contacté les familles de ces quatre enfants afin qu’elles les reprennent. Nous nous sommes aussi engagés à aider ces familles, notamment pour les frais reliés au retour à l’école ou à une formation.
Pour une partie du voyage, nous étions accompagnés de Sophie Langlois, journaliste à Radio-Canada basée en Afrique, du caméraman Mathieu et du technicien Évariste. Sophie Langlois faisait déjà un reportage sur ces enfants mendiants - talibés mendiants - et voulait voir de près des enfants ayant vécu sous la férule d’un marabout et vivant maintenant dans un environnement familial. Quand on parle à ces petits, je vous jure que l’on comprend bien leur message : même la pire situation de misère et de pauvreté ne peut justifier que des enfants soient confiés à ces marabouts qui n’ont d’autres soucis que d’amasser de l’argent pour eux-mêmes et leur famille. Ces enfants sont marqués pour la vie. Il fallait entendre et voir Mamadou et Aly témoigner des sévices quotidiens qu’ils subissaient en captivité.
Je dis captivité puisqu’il est impossible pour ces enfants de quitter la Daara*. Nous l’avons appris aux dépens de l’un de nos talibés. Nous avons tenté sans succès de retrouver les parents de Ousmane Sow dans son village natal. Ousmane m’avait suppliée, en 2003, de le ramener chez lui comme nous l’avions fait pour Oumar, Mamadou et Abou. Le bruit de notre recherche s’est répandu, et le petit Ousmane a été sanctionné et on lui a interdit d’aller à Fondation à Saint-Louis ou Ibou lui donnait à manger. Nous avons d’ailleurs, avec beaucoup de joie, retrouvé Ousmane dans les rues de Saint-Louis. Vous dire l’émotion que j’ai ressentie lorsque j’ai vu ce-maintenant-grand-garçon devant moi avec ces immenses yeux remplis de tristesse. Ousmane Sow est peut-être, de tous les talibés dont nous nous sommes occupé, celui qui a le plus pleuré et m’a fait le plus pleurer. Que de souffrance ce petit cœur peut contenir. Gêné, timide, il m’a saluée avec son grand sourire. Je lui ai dit que nous ne l’avions pas oublié, combien contente j’étais de le retrouver. Au cours des jours qui ont suivi, nous avons mis en place avec l’aide de nos amis un subterfuge pour que Ousmane puisse aller manger et se vêtir chez Pape Momar Diop, sans que ses copains ne le sachent, pour éviter qu’il soit dénoncé au marabout. Surtout ne jamais prononcer le nom de Christiane devant ses amis. Ousmane est très intelligent, il a semble-t-il terminé l’étude du Coran. Il a tenté de rentrer avec son père l’an dernier, mais ce dernier l’a retourné au marabout. Avant de partir, je l’ai revu et l’ai assuré que je l’aiderais à apprendre à lire et à écrire.
Notre voyage s’est donc poursuivi en direction du nord du Sénégal avec un premier arrêt à Ndioum, village qui compte 4 de nos anciens talibés. À ce jour, nous n’étions en contact qu’avec Mamadou Wane et son frère Abou et sa famille. Nous avons repris contact avec Aly Diallo et son père ainsi qu’avec Souleymane Dem, le plus petit de tous. C’est celui qui refusait de m’approcher lorsque je retournais à Saint-Louis. Peut-être parce qu’il croyait que je l’avais abandonné en rentrant au Canada. Moi-même je le croyais... alors !
Mamadou ne savait pas que nous étions en voyage au Sénégal. Le dernier contact que nous avions eu avec lui, c’est par l’intermédiaire de Jean Masson qui était au Sénégal en août dernier et qui lui a remis 200$ en notre nom pour ses fournitures scolaires. Notre ami Malick Ba nous permet d’être en contact avec lui. Mamadou fait le 5ième secondaire, c’est-à-dire le secondaire 1 chez nous. Un enfant mendiant qui avait fait la première année en Mauritanie. Imaginez sa surprise lorsqu’il nous vit arriver dans son village en pleine brousse, sans qu’on se soit annoncé d’aucune façon. Incrédulité, surprise et joie marquaient le visage de notre ami Mamadou. Sa tante a tranquillement mis une natte pour recevoir les invités. Nous déchaussant comme le veut la coutume, Serge et moi prenons place au côté de notre ami Mamadou, encore plus grand que sur la photo que Jean m’a transmise. Nous avons été reçus plus tard par son oncle le patriarche de la famille, un « vieux » très respecté dans le village. Nous avons discuté des besoins de Mamadou et de sa famille. Mamadou aimerait bien que l’on puisse l’aider à construire une petite maison pour sa mère et ses deux frères. Il aimerait aussi poursuivre ses études à l’université. Quoique, à la vue de la caméra de Mathieu, le caméraman de Radio-Canada, l’envie de devenir caméraman lui a traversé l’esprit. Tout d’un coup, c’était à sa portée.
Nous avons aussi revu Aly Diallo que nous avions perdu de vue depuis notre dernière visite. Aly venait aussi manger à la maison de Saint-Louis. Après notre départ en 2000, des gens ont contacté son père pour lui dire à quel point il souffrait à l’école coranique et combien il ne pouvait plus endurer les mauvais traitements. Son père l’a rapatrié. Il m’expliqua qu’il l’avait donné au marabout après le décès de sa femme. Aly est maintenant en 6e année. Évidemment, nous nous sommes aussi engagés à l’aider. Nous lui avons remis sur place de l’argent pour des vêtements et de la nourriture. Aly était tellement malheureux dans la Daara que Oumar Niang, qui était un peu le porte-parole des enfants de la maison, l’avait fait passer pour son petit frère alors que ce n’était pas le cas. Il a utilisé ce subterfuge parce que nous en étions à 8 petits et que nous avions décidé que, pour bien remplir notre tâche, il fallait nous limiter à ce nombre.
En quittant Aly et Mamadou, nous sommes allés voir Souleymane, toujours dans le même village. Nous avons retrouvé un petit très mal en point. Très maigre, avec une nette carence en protéine visible à la naissance du cuir chevelu. Un jeune garçon d’environ 14 ans qui ne sait ni lire ni écrire et que sa mère a refusé de reprendre. Il vit avec sa tante, la mère de son père. Il est rentré depuis 2002 au village et il n’a pas reçu d’éducation depuis. Il est très timide et on sent très fortement le contrôle exercé sur lui par sa tante. J’ai essayé de la convaincre, sans succès, de l’envoyer à l’école. Elle m’a même accusée d’avoir été à l’origine de la fermeture du Daara. En essayant de lui expliquer que c’est parce que le marabout était très mauvais que j’ai commencé à rechercher les familles des enfants, je me suis rendu compte qu’elle était la mère de cet infâme individu. Les pieds dans les plats... Comment obtenir grâce maintenant à ses yeux. J’ai tenté de me racheter en lui disant à quel point nous apprécions son autre fils qui avait précédé l’autre comme marabout... Mais sans succès. Souleymane m’accompagna à la voiture en pleurant, en me suppliant de l’envoyer à l’école et de lui envoyer des vêtements, mais surtout des chaussures. Il est pieds nus, ce qui augmente sa servilité envers cette... tante. La modeste demeure est dans le fond d’une terre qui est entourée d’acacias, arbre qui laisse tomber des épines plus dures que celles des roses. Impossible de s’enfuir à pied quand il faut au moins 2 kilomètres pour se rendre sur la route.
Le coeur en pleurs, nous sommes montés plus au nord pour aller voir Oumar Niang qui, maintenant, est apprenti dans un centre de menuiserie de bois (au Sénégal, on parle aussi de menuisier métallique). Oumar est la personne, outre Mamadou, avec qui nous communiquons régulièrement. Nous avons depuis 2 ans commencé à envoyer de l’argent pour reconstruire la maison de sa mère qui a été emportée lors de la dernière pluie, en 2005. Oumar est en pleine forme, il ne reçoit pas de salaire pour l’instant, mais son sourire en dit long sur la valeur qu’il accorde à cet apprentissage. Le centre a été créé par des expatriés qui ont eu de la machinerie de France. Toutefois, il est possible que nous ayons à appuyer financièrement ce centre puisque le directeur est parti avec la caisse !
Nous avons rendu visite à la famille de Oumar, cette famille très accueillante comme toujours. Pour ceux et celles qui se souviennent, Oumar est le talibé qui était rentré à l’école grâce à un don de Roland Demers pour l’achat de livres de référence à cette école. Alors, quand nous sommes rentrés au village, j’ai demandé à un garçon de nous aider à trouver la maison de Oumar Niang. Ce dernier m’a demandé : « Est-ce que tu es Christiane ? » « Oui. » Il m’a reconnue puisque, à l’époque, il était élève de cette école.
Je vous laisse sur cette dernière anecdote qui nous donne de l’espoir. Lors de notre retour vers Saint-Louis, nous avons donné rendez-vous à Mamadou afin qu’il puisse apporter des sandales à Souleymane. Nous lui avons donné des nouvelles de Oumar, son co-talibé, en lui précisant que si, au moins, Souleymane pouvait apprendre un métier comme le fait Oumar.... Il y a une semaine, j’ai appelé l’oncle de Souleymane qui habite dans un autre village, pour tenter de le convaincre d’éduquer Souleymane, j’ai convenu de lui envoyer de l’argent pour la culture de l’oignon. Il s’engage à montrer la culture à Souleymane. J’appelle Mamadou pour qu’il transmette la bonne nouvelle à Souleymane. Après quatre jours de tentatives pour lui parler, quand finalement je l‘atteins, il ne me laisse pas le temps des salamalek et m’informe que Souleymane travaille comme apprenti chez un artisan de bois, comme Oumar !
– Mais qui a organisé cela Mamadou ?
– C’est moi, j’ai parlé à grande tante de Souleymane et elle a accepté !
– Mamadou, tu viens de me faire un des plus beaux cadeaux que j’ai reçus dans ma vie.Vous vous rendez compte que ce jeune homme a fait cette démarche de sa propre initiative, sans qu’un adulte l’accompagne, ce qui est normalement crucial pour la crédibilité d’une telle démarche. J’ai aussi parlé à Souleymane dont la voix semblait plus affermie que la dernière fois. Je lui ai demandé s’il était content ?
– Oui suis content, mais ici c’est loin, achète-moi un vélo !La solidarité dont a fait preuve Mamadou nous donne toute une leçon, à Serge et à moi, et nous aide à passer par-dessus toutes les difficultés pour continuer à aider ces jeunes garçons. Les moyens de communication sont très souvent déficients. Les enfants changent de résidence, ils sont aux champs, chez une tante, chez un oncle. Sans l’aide de Badou, de Fatou Mboup et de Françoise, qui sont des intermédiaires hors pair et que nous aimons beaucoup, nous n’aurions pu pendant les sept dernières années maintenir le contact avec ces petits.
Le reportage sur les talibés mendiants de Sophie Langlois de Radio-Canada sera diffusé en décembre ou au début de janvier au Téléjournal. Je vous invite à l’écouter. Merci et joyeux Noël !!!
À la prochaine année.
Note de Sisyphe
. Nous remercions Louise Bégin qui a autorisé la reproduction de la magnifique photo qui illustre ce récit. Pour plus de détails sur les talibés, les marabouts, les daaras et la Fondation Saint-Louis, visitez le site de son Journal de voyage.
. À consulter également : Les talibés au Sénégal et le site Les talibés.Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 décembre 2007