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Vancouver 2010
Bordels, sport et défoulement masculin

6 janvier 2008

par Richard Poulin, sociologue

L’année 2010 est une année importante pour l’industrie mondialisée de la prostitution. C’est l’année des Jeux olympiques d’hiver à Vancouver et de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud. Dans les deux cas, les autorités envisagent la légalisation de la prostitution afin de ne pas criminaliser les amateurs de sport et les athlètes attendus en grand nombre qui, dès lors, auront accès en toute impunité au corps et au sexe des femmes.

Afrique du Sud

En Afrique du Sud, la prostitution pourrait être libéralisée le temps de la Coupe du monde de football pour permettre aux nombreux supporteurs de vivre pleinement la fête du soccer sans tomber sous le coup de la loi. Selon le chef de la police nationale, Jackie Selebi, cette libéralisation permettrait d’éviter les arrestations massives de supporteurs contrevenants. L’Afrique du Sud attend plus d’un million de touristes pendant la Coupe du monde 2010. Pour le chef de la police, lors du Mondial de 2006, « en Allemagne, ils l’ont contrôlée [la prostitution]. Ils ont constaté l’existence de ce phénomène, que l’on soit d’accord ou non ».

En Allemagne, à l’occasion de la Coupe du monde de 2006, des associations et des politiciens ont lancé une campagne contre la prostitution « forcée » liée à la traite (« Ab pfiff » ou « Coup de sifflet final »). Joseph Blatter, le président de la FIFA, a exhorté les partisans à ne recourir qu’« aux services des volontaires ». Le bilan de ces diverses actions est à tirer. Pour sa part, le gouvernement allemand a minimisé l’impact de la Coupe du monde sur la traite des personnes, tandis que la police de Munich, pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, a constaté une augmentation de 63% des femmes prostituées dans les bordels « licenciés ». D’où venaient donc ces femmes ? Le gouvernement allemand estime à 400 000 le nombre de femmes prostituées sur son territoire ; de 75 à 85% d’entre elles sont originaires d’autres pays. L’Allemagne est un pays où il est relativement difficile d’immigrer sauf, vraisemblablement, dans l’industrie de la prostitution.

L’Afrique du Sud est déjà reconnue comme un centre régional de la traite à des fins de prostitution. De nombreuses jeunes femmes et fillettes qui y sont prostituées sont originaires de pays de la région : Mozambique, Angola, Zimbabwe, Lesotho, Swaziland, Zambie... La légalisation de la prostitution pendant la durée de l’événement (comme la Hongrie l’avait faite pendant la course de la Formule 1 en 2001) donnera une impulsion à cette industrie et créera une demande accrue en jeunes femmes, d’où une possible expansion de la traite.

Vancouver

Le maire de Vancouver et des groupes favorables à la décriminalisation de la prostitution, notamment du proxénétisme, font la promotion du projet de création d’un bordel légal dirigé par des femmes prostituées, pour les Jeux olympiques de Vancouver en 2010. Ils espèrent convaincre Ottawa de déroger à ses lois pour permettre, sur une base « expérimentale », la création d’un bordel « coopératif ». Selon Susan Davis, porte-parole du projet et représentante de Prostitution Alternatives Counselling and Education (PACE) Society, une organisation favorable à la décriminalisation de la prostitution et du proxénétisme, des dizaines de milliers d’hommes viendront à Vancouver à l’occasion des Jeux olympiques et chercheront à se payer des relations sexuelles. Il faut donc que les « services sexuels » soient facilement disponibles.
L’autre argument pour légaliser la prostitution en bordel à Vancouver est d’assurer une meilleure sécurité aux femmes prostituées. Avec l’affaire Robert Pickton, assassin de six prostituées et présumé assassin de 20 autres, les promoteurs de la prostitution en bordels imputent la dangerosité de la prostitution à celle qui est pratiquée dans les rues. Or, au Québec, au moins 5 des 14 femmes prostituées tuées au cours des 10 dernières années n’œuvraient pas sur le trottoir. Elles étaient des prostituées incall et outcall, c’est-à-dire elles recevaient des clients dans un lieu « privé » ou se déplaçaient pour les rencontrer à leur domicile ou dans une chambre d’hôtel.

S’il est vrai qu’un nombre important de personnes prostituées au Canada ont été victimes de tueurs en série, c’est également le cas dans d’autres pays (Allemagne, France, Royaume-Uni, Etats-Unis...). Les tueurs en série s’attaquent généralement à des personnes marginalisées (personnes prostituées, jeunes hommes gais) ou en situation de faiblesse ou de dépendance (enfants et adolescents). Ils sévissent aussi bien dans des pays ayant légalisé la prostitution que dans les pays la prohibant ou encore les pays ayant adopté un régime juridique abolitionniste. Il n’y a pas de corrélation significative entre le fait de légaliser la prostitution et le déclin ou l’augmentation des meurtres en série de personnes prostituées.

L’argument d’une plus grande sécurité dans les bordels fait l’impasse sur les causes fondamentales de la violence de et dans la prostitution à savoir, comme le notait Georg Simmel (Philosophie de l’amour, Paris, Rivages, 1988), les rapports sociaux de pouvoir que confère le fait de payer, « ce qui accorde à l’homme une formidable prépondérance » dans la prostitution. Et qui dit pouvoir dit également abus de pouvoir et violence.

Dénonciations

La majorité des personnes prostituées disparues et assassinées du quartier Downtown Eastside à Vancouver est d’origine autochtone et métisse. Un groupe de l’une des communauté les concernées, l’Aboriginal Women’s Action Network (AWAN) de Colombie-Britannique, dénonce le projet de légalisation des bordels. L’AWAN souligne que « le fait de légaliser la prostitution à Vancouver ne rendra pas celle-ci plus sécuritaire pour les personnes qui sont prostituées ; cela ne fera qu’accroître le nombre de ces personnes » (1). Une autre organisation, l’Ex-Prostitutes Against Legislated Sexual Servitude (X-PALSS), s’oppose à ce projet ainsi qu’à « toute mesure qui mettrait plus de pouvoir entre les mains des hommes qui nous ont violentées en leur disant qu’ils ont légalement le droit d’agir à leur guise » (2). Ces anciennes femmes prostituées mettent en évidence le fait « qu’une fois la prostitution décriminalisée, les proxénètes et les clients seront totalement en sécurité », ce qui n’est pas le cas des femmes en situation de prostitution. « Qui allez-vous protéger ? » demandent-elles. C’est là le nœud du problème.

***

Les grands événements sportifs - Jeux olympiques, Coupe du monde de football, courses automobiles de Formule 1... - donnent une impulsion aux industries de la prostitution et du tourisme sexuel au profit des hommes et de leur pouvoir d’achat. Au moment des festivités sportives, il faut, semble-t-il, permettre aux hommes de se défouler et, pour cela, leur faciliter l’accès au sexe et au corps des jeunes femmes. Cet assujettissement d’une partie de l’humanité au plaisir et au pouvoir d’une autre partie, que certain-es veulent légaliser, pose pourtant de sérieuses questions éthiques dans un pays qui prétend promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes.

Notes

1. « L’Aboriginal Women’s Action Network s’oppose à la création d’un bordel à Vancouver aux Jeux olympiques de 2010 ».
2. « Un groupe de femmes ex-prostituées s’oppose à un bordel légal à Vancouver ».

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 janvier 2008

Richard Poulin, sociologue


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