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La mort d’Aqsa Parvez, attribuée à son père, est le résultat d’un choc culturel
25 mai 2008
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On a inhumé furtivement le corps d’Aqsa Parvez hier, son meurtre tragique résonnant encore à travers une ville horrifiée, en état de choc.
On peut voir son beau visage partout, au téléjournal et dans les pages des journaux. On est saisi par ses yeux brun foncé, illuminés par l’espoir et l’intensité générés par tout ce que la vie lui offrait. Sa vie a été fauchée à 16 ans, par son propre père croit-on, un père rétrograde qui ne pouvait pas supporter le besoin de sa fille d’échapper à son contrôle suffocant et aux diktats de sa religion.
L’insoumission au cours de l’adolescence est aussi vieille que le monde. Mais s’il s’y ajoute le choc des cultures et un patriarcat répressif, une jeune fille de seize ans peut payer de sa vie. Est-ce parce qu’elle avait pris l’habitude d’enlever son hijab en arrivant à l’école secondaire Applewood Heights, abandonnant ainsi l’uniforme qui symbolise la soumission des femmes musulmanes, dans le but de se fondre dans son groupe de filles aimant comme elle le hip-hop, la danse et la mode, qu’on a étranglé Aqsa ?
Elle avait quitté la maison
Est-ce parce qu’elle avait eu l’audace de quitter un foyer qu’elle percevait comme oppressif, se mettant d’abord à l’abri dans un refuge et emménageant ensuite chez une famille, ce qui apporta la honte à la sienne ?
Nous ne le saurons peut-être jamais. Mais pour une femme, que nous appellerons Fatima, l’histoire est étrangement familière.
« Aujourd’hui, nous avons devant les yeux le visage de cette jeune femme, Aqsa Parvez, dit-elle, mais à mon avis, ce problème existait il y a plus de 20 ans, lorsque j’avais moi-même 10 ans ».
Elle aussi, elle était cette adolescente rebelle qui chevauchait deux mondes. Refusant d’être la fille musulmane obéissante que désirait son père, elle aspirait à s’intégrer à la société occidentale dans laquelle il avait choisi d’établir son nouveau foyer. Venue du Pakistan alors qu’elle était encore enfant, elle n’avait pas l’obligation de porter le hijab, contrairement aux autres filles qu’elle connaissait, qui enlevaient leur coiffe dès qu’elles étaient hors de la vue de leurs parents. Ses parents insistaient seulement pour qu’elle porte des vêtements larges, pudiques.
Ce n’est pas à propos du port de vêtements traditionnels qu’elle avait dû lutter contre son père. C’est plutôt à cause de son refus d’accepter un mariage arrangé.
Lorsque Fatima n’avait que 15 ans, son père l’a forcée à épouser, lors d’une visite au Pakistan, un homme dont elle assurerait ensuite, lorsqu’elle serait majeure, le parrainage pour son immigration au Canada.
Une fois revenue à la maison, elle refusa de respecter cet engagement. Désespérée, elle demanda l’aide d’une travailleuse sociale qui, assez rapidement, prit le parti de son père. Leur lutte s’amplifia au point où son père la frappa un jour au visage. Elle signa alors les documents de parrainage.
S’ensuivirent des années de relations inexistantes avec sa famille, après qu’elle eut quitté le foyer et refusé de vivre avec son « mari ».
« Le prix à payer pour la rébellion contre ces attentes est énorme », soupire Fatima, maintenant divorcée.
Dans ce contexte, c’est avec colère qu’elle reçut la nouvelle du meurtre d’Aqsa et qu’elle prit la décision qu’aucune autre jeune femme ne subirait un tel sort. Mais déjà des bruits inquiétants couraient. « Ils prétendaient que tout ceci n’était arrivé que parce qu’elle était une fille mauvaise, incontrôlable », déplore Fatima, exaspérée. « Ils disent : “N’avez-vous pas vu son visage provoquant sur Facebook ?” »
Elle croit que sa communauté a la responsabilité de reconnaître que tant de jeunes femmes mènent dans le désespoir des vies complètement réprimées. « Nous savons que ce problème existe et qu’il existe depuis très longtemps, dit Fatima. Nous devons y faire face, le reconnaître et agir pour le régler. Il ne suffit pas de le nier ».
Une disparition tragique
Syed Shaw demande lui aussi à sa communauté d’agir. « Sa disparition tragique devrait ouvrir les yeux de ces pères “traditionnels” qui vivent au Canada complètement enfermés dans une mentalité du 15e siècle », insiste ce spécialiste en technologies de l’information, d’origine pakistanaise. « Ils ne peuvent pas et ne doivent pas s’attendre à ce que leur fille vive dans la bouillonnante ville de Mississauga avec la mentalité d’une fille de la campagne pakistanaise. Les deux n’ont tout simplement rien en commun ».
L’ironie, dit-il, c’est que des immigrants viennent chercher la liberté au Canada. Mais certains d’entre eux oublient que ce droit, acquis au terme de longues luttes, est aussi celui de leurs familles. Ils auraient pu choisir l’Arabie Saoudite : « Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? »
Shaw appelle les autres Musulmans à faire plus que simplement agir de manière défensive. « J’espère quelle deviendra un phare d’espoir pour toutes les filles qui sont dans la même situation, vivant comme des otages dans leur propre famille ».
Pour Qaiser Naqvi, PDG du Muslim Welfare Centre (Centre de service social musulman), le problème tient à ce qu’un grand nombre d’immigrants musulmans de première génération viennent d’une culture musulmane dans laquelle les femmes ont infiniment moins de droits. « C’est pourquoi la communauté a la responsabilité de mettre sur pied une variété de services pour aider ces immigrants à s’adapter », dit-il. « Ils doivent prendre conscience du fait que cette société n’est pas la même que celle d’où ils viennent. Ils doivent se rendre compte du fait que leurs enfants ont besoin de s’adapter à cette nouvelle société s’ils veulent connaître le succès. Alors, il faut apprendre à être souple ».
S’ils ne développent pas cette souplesse, les conflits sont alors inévitables. Le Muslim Welfare Centre est venu en aide à 4 000 femmes et enfants depuis l’ouverture en 1996 du premier (et seul) refuge pour femmes musulmanes au Canada. « S’ils nous avaient contactés, nous aurions sûrement pu leur venir en aide », dit-il avec tristesse.
Un appel au réveil
Trop souvent, dit l’imam Habeeb Alli, les membres de sa communauté ont des réticences à demander de l’aide. Le meurtre d’Aqsa est un appel au réveil, à la prise de conscience qu’on a besoin de plus de services pour soulager les tensions entre les parents traditionnels et leur progéniture plus libérale, qui se font la guerre en famille. « C’est la honte et la timidité qui poussent les gens de notre communauté à vouloir garder secrètes certaines choses ».
Secrétaire général du Canadian Council of Imams (Conseil canadien des Imams), Alli dit qu’il faut rappeler aux parents que la pratique de la religion est un choix personnel. La qualité d’une Musulmane ne se dépend pas du port d’un couvre-chef : « La majorité des femmes du monde musulman porte-t-elle le hijab ? Non. Cela les rend-elle moins musulmanes ? Non ».
Pour le docteur Mahfooz Kanwar, la mort d’Aqsa porte toutes les marques d’un homicide fondé sur l’honneur, commis par un homme qui considérait que sa religion et sa famille n’avaient pas été respectés. « Que c’est stupide », s’est-il écrié à Calgary, où il a récemment pris sa retraite comme professeur de sociologie au Mount-Royal College. « Nous vivons au Canada, pas au Pakistan ».
Cela est d’autant plus absurde que nulle part dans le Coran est-il écrit que les femmes doivent se couvrir la tête. « La burka, le hijab et le niqab sont des reliquats d’une culture saoudienne primaire. Ils n’ont rien à voir avec l’islam. »
Kanwar connaît au moins 9 familles dont les filles ont dû se débattre comme Aqsa avec une double vie, arrivant au collège vêtue des traditionnels hijab et vêtements amples, pour se changer dans les toilettes et en émerger en jeans serrés, avec la chevelure dénouée.
Lorsque trois des pères ont découvert le pot aux roses, leurs filles furent rapidement mariées à des hommes du Pakistan qu’elles n’avaient jamais rencontrés : les cérémonies religieuses de mariage se déroulèrent au téléphone !
« On les empêche de s’intégrer à leur nouvelle patrie », s’écrie le professeur, membre du Muslim Canadian Congress (Congrès musulman canadien). « Elles vivent au Canada, mais on leur interdit de vivre comme des Canadiennes. »
Et quand elles osent le faire, cela peut être au risque de leur vie.
N.B. : Le titre original étant très long, nous l’avons raccourci. Le titre intégral en français se lit ainsi : « La mort d’Aqsa, attribuée à son propre père, est le résultat d’un choc culturel entre des parents enchaînés à la tradition et leur progéniture plus ouverte ».
Version originale : « Aqsa’s death, allegedly at the hands of her father, is the sad result of a culture clash between traditional parents and their liberal offspring », Toronto Sun, 16 décembre 2007.
Traduction pour Sisyphe : Philippe-Robert de Massy
Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 janvier 2008
P.S.
Lire aussi
"Mort d’Aqsa Parvez : Des musulmans froissés".
Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2853 -