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L’Église engage un bras de fer contre l’avortement

26 janvier 2008

par Anne Roy et Gaël De Santis

Les attaques contre l’interruption volontaire de grossesse se multiplient partout où certains milieux cléricaux disposent d’un rapport de forces favorable.

En septembre dernier, le gouvernement de Jaroslaw Kaczynski pressait l’Union européenne de renoncer à une journée européenne contre la peine de mort. Motif, relayé par Robert Szaniawski, le porte-parole de celui qui était encore premier ministre de la Pologne : "Si quelqu’un veut discuter de la peine de mort, il devrait discuter dans le même contexte de l’interdiction de l’euthanasie et de l’avortement." Le sophisme a payé : l’Union a cédé et annulé la commémoration prévue.

Un point pour le pape

Curieux voyage des idées : le 31 décembre dernier, en Italie cette fois, le cardinal Camillo Ruini, vicaire général du pape et ancien président de la conférence épiscopale italienne, réagissait à l’approbation par l’Assemblée générale de l’ONU d’une demande de moratoire sur la peine de mort en s’appuyant sur une rhétorique désormais familière aux pourfendeurs du droit à l’avortement, laquelle n’a pas disparu avec le recul marqué par le Parti droit et justice (PiS) lors des dernières élections. Ce dernier n’a malheureusement pas l’exclusivité, ni en Pologne ni même dans le reste de l’Europe, des habiles tours de passe-passe, mêlant arguments "scientifiques" sur la baisse démographique ou la nature du foetus et profession de foi sur "la défense de la vie".

"Je crois qu’après l’heureux résultat obtenu concernant la peine de mort, il est très logique de rappeler le thème de l’avortement et demander un moratoire", déclarait donc le cardinal Camillo Ruini, venant étayer les sombres débats qui agitent la scène politique italienne depuis que le coordinateur national de Forza Italia a déposé une motion parlementaire pour revenir sur la loi de dépénalisation de l’avortement, dite "loi 194", adoptée en 1978.

Dans un premier temps opposée à toute modification d’une loi qui, rappelait-elle, avait sauvé la vie de nombreuses femmes, la ministre de la Santé, Livia Turco, a finalement changé de discours et demandé au Conseil supérieur de la santé des "indications sur la capacité de vie autonome des foetus". Un point pour le pape, donc, qui a renouvelé son appel à "stimuler le débat public sur le caractère sacré de la vie", lors d’une conférence destinée aux diplomates accrédités au Saint-Siège, le 7 janvier .

En Espagne, dans un contexte politique marqué par les remous de la campagne électorale (lire également en page 13), la question de l’avortement est venue s’inscrire dans le débat public sur un mode peu subtil. Et une fois encore sous la pression cléricale. Le 30 décembre dernier, à l’occasion de la Journée de la famille chrétienne, 200 000 personnes ont ainsi manifesté dans les rues leur opposition à l’avortement, au divorce "express" et au mariage homosexuel.

Dépénalisé depuis 1985, en cas de viol, malformation du foetus ou danger pour la santé physique ou morale de la mère, l’avortement se pratique à 98 % dans des cliniques accréditées privées. Or, depuis cet automne, ces dernières sont régulièrement mises à l’index : à Madrid, un centre médical a été temporairement fermé par les autorités, plusieurs autres ont été attaqués et des groupes de militants anti-avortement ont manifesté devant leurs portes. Le 26 novembre dernier, au cours de plusieurs interventions policières, quatorze personnes ont été interpellées à Barcelone (dont quatre placées en détention) et trois cliniques privées barcelonaises ont été fermées.

En guise de protestation, plusieurs cliniques privées se sont vu contraintes à une grève de cinq jours, au début du mois, pour garantir le droit à l’avortement. "On est en train de semer le doute sur le caractère légal de ce que nous pratiquons, ainsi que sur les cliniques, qui depuis vingt-deux ans ont garanti ce droit", s’inquiétait ainsi Francisca Garcia Gallego, la porte-parole de l’Association des cliniques accréditées.

"Les partis écrasés par l’église"

Les exemples ne manquent pas en Europe de la manifestation du bras de fer engagé par les courants les plus rétrogrades de l’Église contre l’avortement. Point de friction exacerbé, le cas de la Pologne a tendance à occulter des offensives, pourtant similaires, en d’autres lieux. Ainsi en Slovaquie, la Cour constitutionnelle a-t-elle été sommée de confirmer, en décembre dernier, la validité de la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à douze semaines : en 2001, le député chrétien-démocrate Daniel Lipsic avait en effet déposé une plainte, espérant "faire reconnaître le droit à la vie" des foetus, selon lui, mis en danger par la loi qui "préfère aux vies innocentes les libertés individuelles". Sa plainte a été rejetée par sept voix contre cinq, mais le député a annoncé son intention d’en passer par la voie parlementaire.

En Lituanie, les mouvements féministes sont en alerte depuis qu’un groupe de cinq députés menés par un parlementaire d’un parti de la minorité polonaise, Valdemar Tomasevski a réussi, après deux tentatives infructueuses, à faire accepter un débat au Parlement, destiné à remettre en cause la législation sur l’avortement. "Les médias et l’opinion publique prennent ces débats à la légère, quant aux partis politiques, écrasés par la puissance de l’Église, ils n’osent pas prendre de position claire sur le sujet", s’inquiète la directrice du Planning familial lituanien, qui regrette que les débats télévisés soient poussés à la caricature. Beaucoup s’inquiètent, dans le pays, de la portée des médias catholiques polonais sur la minorité de langue polonaise. "Ce projet est très proche de la loi en vigueur en Pologne", détaille la députée Marija Pavilioniene, préoccupée de voir la frange des démocrates si peu présents "face à une Église qui, elle, redouble d’activité".

Source : L’Humanité, le 18 janvier 2008.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 janvier 2008

Anne Roy et Gaël De Santis


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