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La longue marche de Hillary Clinton

1er mars 2008

par Jeanne Gagnon, auteure

La montée de Hillary Clinton vers la Maison Blanche nous projette vers cette réalité indiscutable qui, là sous nos yeux, affirme la proximité d’une femme en direction du pouvoir politique entre tous, à savoir pour le rôle de présidente des États-Unis d’Amérique.

A ce jour, le féminisme a ébranlé les superstructures du patriarcat, mais ce système a des théories et modèles. Ce qui obligera Hillary Clinton à faire le pari de s’approprier le pouvoir en misant sur l’assurance métaphysique émanant de ce qui fut accompli et achevé à ce jour par « l’être-féminin ». Cela dit, en misant sur ce qu’elle veut accomplir et achever à travers sa longue marche de battante. Ainsi pourrait-elle consolider l’assurance métaphysique d’une femme arrivée jusqu’au pouvoir suprême par ses propres moyens, c’est-à-dire à travers labeur et détermination.

Ma réflexion se veut une introspection autour du parcours d’une femme, tout en ramenant à la longue marche des femmes que sous-tend celle de Hillary Clinton.

Cette marche est la nôtre...

La longue marche de Hillary Clinton nous fait reconnaître celle d’une femme, mais aussi la longue marche de toutes les femmes. Et dans la foulée de son pas, l’événement nous rappelle aux valeurs féministes, aux difficultés d’assumer pouvoir et féminitude face à l’étalonnage d’un patriarcat ayant ses théories quant au pouvoir. De même sa théorie du système et des groupes, sa théorie de l’évolution, sa théorie de l’angle et des modèles à partir de superstructures. (1) Peut-on dire que le féminisme a ébranlé les superstructures en s’appropriant une réflexion autour de valeurs anti-patriarcales ? Très certainement !

Malgré le féminisme, malgré la supposée égalité de la société américaine, la longue marche de Hillary Clinton nous projette dans les résistances du système. Résistances d’autant plus significatives que nous sommes de l’époque où les médias font et défont l’image, parfois naïvement, parfois dans le cynisme ! C’est pourquoi j’ai voulu faire de cet article un lieu d’incubation autour des faces cachées de la culture dominante, tout en me servant de quelques références livresques et journalistiques. Histoire de montrer le chemin parcouru, mais aussi les influences de la culture à travers l’assurance métaphysique. Ce terme fait référence aux valeurs culturelles ayant des incidences sur le comportement des individus. (2)

Celles qui ont lu Clara Malraux se souviendront de quelques paroles rappelant à cette infériorité à travers le refoulement d’une femme de la bourgeoisie française, laquelle vivait un féminisme avant l’heure, tout en étant confrontée à une relation de couple invitant à la sous-estimation de « l’être-féminin ». Cela dit, en acceptant le fait que la culture patriarcale de l’époque transmettait un modèle où la femme ne pouvait apparaître en avant-plan. Cela dit, en se rappelant que le compagnon deviendra l’un des écrivains majeurs du XXe siècle. Et si l’homme s’est intéressé à la Condition humaine (3) à travers son oeuvre, en même temps, il renvoyait à l’assurance métaphysique du rapport de forces hommes-femmes. Ce qu’elle révélera par l’écriture en disant : « Je m’étais à peu près résignée à la condition juive (...) et de demi-étrangère, mais quoi, il me faudrait désormais tenir compte, par-dessus le marché, d’une sous-estimation de principe opérée par une moitié de l’humanité et que je devais vaincre pour parvenir à l’égalité avec ceux-là peut-être qui ne me valaient pas ?" (4) Ainsi, tout au long de cette publication, nous apparaît la longue marche d’une femme qui, malgré sa fortune, reste soudée au couple pendant de nombreuses années tout en évaluant les transformations de cette cohabitation sur son pas (sa démarche, son parcours) de femme : « Je marchais bien autrefois, sûre, on pouvait écouter mon pas. Maintenant, je sautille à côté de lui (...). Tout ce qu’on ne leur défend pas, tout ce qu’ils peuvent recommencer une fois, deux fois, trois fois. » (5)

C’est un peu ce à quoi « l’être féminin » est confronté par cette longue marche vers le pouvoir politique. Nous pouvons affirmer sans contredit que Hillary Clinton est désavantagée par son statut de femme. De même désavantagée par le charisme de son rival. Et bien sûr désavantagée par les symboles que charrie Barack Obama à travers l’homme métissé, mais aussi par les faces cachées d’une culture patriarcale capable de récupérer l’âme collective au détriment des valeurs prônées tant par Obama que par Clinton.

Hillary et les pièges de l’image

Par les technologies nous pouvons suivre le périple des candidats en route vers la Maison Blanche. Ce qui, en même temps, nous introduit au pouvoir des médias à travers le traitement journalistique, voire à travers le non-dit. Compte tenu que par Hillary Clinton et Barack Obama se vit un moment historique, on comprend l’importance du traitement de l’information.

Je n’invente rien ! Tout le monde sait que les rides de Hillary Clinton ont été des propos journalistiques des dernières semaines. De même, cette larme jugée de l’ordre d’une stratégie politique ! Était-ce pour autant des propos substantiels autour de la politique internationale ? Et par-delà les quiproquo, l’occultation de vérités pouvant servir ou desservir la démocratie.

Consciente du pouvoir de la médiatisation d’un événement, j’ai cru pertinent de ramener à la livrée d’un journaliste responsable, lequel critiquait le non-dit nous privant de l’essentiel. C’était quelque temps après le Référendum de 1980. Ce journaliste de La Presse invité à recevoir le Prix Olivar-Asselin (décembre 1983) nous fait quelques révélations saisissantes : « C’est un problème moral. Toute la machine des médias d’information est bloquée. Ça ne fonctionne plus du tout. (...). Le débat référendaire fut celui des élites, des aristocrates de la pensée. Aucun d’entre nous n’a réussi à expliquer ce qui se passait vraiment (...). C’est effarant ce dont on ne dit pas un mot. » (6)

Dans l’inéquité du traitement médiatique, on fait beaucoup intervenir le rapport à l’image pour Hillary Clinton. J’ai signalé le rapport aux rides et, bien sûr, cette larme jugée inappropriée. On a le commentaire sardonique de Pierre Foglia (7), lequel tentait de nous faire avaler un fiel journalistique n’ayant rien à voir avec les idées. Il commence son article en disant que Hillary Clinton échappe à la catégorie colombe-faucon. Le langage reste politique mais la plume dérape rapidement vers un rictus aliénant. Nous voilà introduit-es vers l’image de bourgeoises « crocodiles » dont ferait partie Hillary Clinton. « On ne s’en doute pas quand on les voit manger des petits fours, mais attendez qu’elles s’approchent du pouvoir, elles ouvrent si grand la gueule qu’on voit le fond de leur petite culotte ».

En une année, mes lectures du journal La Presse pourraient se compter sur les doigts d’une seule main. Ce jour du 18 février, on m’a fait parvenir l’article et comme le propos s’avérait de la plus grande actualité, j’ai voulu le parcourir. Ce fut la nausée en même temps que bénéfique, car ce renouement avec la prose de Foglia me renvoyait aux faces cachées du patriarcat, tant à travers la déformation des faits et liens que par le non-dit auquel nous renvoyait le journaliste Jean-V. Dufresne.(8)

Les femmes et les émotions

Un retour à la réflexion de Colette Beauchamp intitulée Le silence des médias publié chez Remue-ménage m’aura permis de cerner les profils antagonistes ayant constamment obligé la femme à nier ses émotions. A l’époque, la catégorie « femmes journalistes » était de l’ordre d’une minorité. La lutte n’aurait pu exister. Les femmes qui ont lutté en vue d’exercer une influence à travers des émissions d’affaires publiques se seront fait renvoyer sur des tablettes, sinon à des tribunes où elles se sentaient sous-utilisées.

Bref, le comportement des femmes devenait piégé à travers le modèle imposé par la culture patriarcale ! Et l’auteure de nous introduire aux normes ne s’appliquant plus lorsqu’il s’agira d’un homme puisque ce dernier pouvait et continue de pouvoir « être chauve, bedonnant, obèse, affecté de strabisme, de n’importe quel timbre de voix, d’une élocution et diction moyenne » et se voir accepté dans ce qu’il est.

L’intérêt de cette réflexion émanant de l’intérieur de la tribune journalistique vient du bris d’un silence éprouvant, tout en nous renvoyant au coeur du contrôle de « l’être féminin » et de son image. Certaines ont ressenti très durement ce contrôle sur leurs émotions. Voyons ce qu’en révèle la journaliste : « Toute émotivité était bannie des ondes, comme si la froideur et l’agressivité n’étaient pas aussi des expressions d’émotions refoulées - et les moins efficaces pour établir une communication. Nombre de femmes, après plusieurs années de métier, suivent encore des cours pour apprendre à poser leur voix, la dépersonnaliser et acquérir le ton neutre alors que leurs camarades masculins n’en ont jamais ressenti le besoin : leur timbre naturel suffit. » (9)

Cette réflexion nous oblige également à reconnaître le problème qui se pose pour les femmes en route pour le pouvoir politique suprême. Tout comme les journalistes du début des années 1970, ces femmes n’arriveront pas en lieu et place à la douzaine avant la fin du siècle et encore ! Ce qui renvoie au danger d’un combat dans l’insularité.

Les conséquences du modèle imposé à l’intérieur des médias se font significatives à travers les propos de Lizette Gervais : « J’en suis arrivée à douter de ma compétence, à me dévaloriser et finalement à me sentir très très très insécure ; (...) Le grand reproche que je serais tentée d’adresser à ceux qui dirigent l’information, c’est qu’ils s’acharnent à vouloir faire de l’information désincarnée. On tient dur comme fer à ce qu’elle soit vide d’émotion. Dès que je parle d’émotion, je sais que je vais passer pour une ‘vraie femme’ dans le sens le plus péjoratif du terme. » (10)

La politique et les émotions

J’adhère à la thèse de Lise Payette disant que Hillary a tout intérêt à se comporter en femme à travers sa montée vers le pouvoir politique, thèse qu’elle nous révèle dans une chronique récente : « J’ai écouté attentivement le discours de Hillary Clinton au New Hampshire (...) en me disant qu’il était temps que cette femme se montre telle qu’elle est, forte et sensible à la fois, femme de tête et femme de coeur en même temps. (...). Elle dispose de dix mois pour cesser de jouer à l’homme politique et devenir une femme politique, avec tous les risques que cela comporte ». (11)

Ce qui se passe à travers la longue marche de Hillary Clinton, mais aussi à travers la couverture médiatique, me permet de cerner les influences d’un patriarcat dont les symboles restent omniprésents. Dans le cas présent, Hillary Clinton représente le modèle antagoniste hérité du féminisme. Souvenons-nous des paroles de Clara Malraux faisant référence au fait que les hommes peuvent se tromper... ce qui fait référence aux interdits touchant la femme : « Tout ce qu’ils peuvent recommencer une fois, deux fois, trois fois. » (12) Déjà, nous pouvons percevoir l’étalon de mesure en défaveur. Une larme... et le jugement négatif autour des émotions... et de l’inaptitude au pouvoir.

Tout ce panégyrique ne vient pas pour autant signifier que je suis une inconditionnelle de Hillary Clinton. Pas du tout. Tout comme je ne saurais voir les féministes comme des femmes irréprochables en tout. La critique nous est nécessaire ! De ce fait, je suis aux premières lignes lors des rassemblements, tant pour les manquements à la démocratie que pour nos contradictions.

Hillary Clinton m’a déçue à quelques reprises. D’abord que je parle de son manque de courage lorsqu’elle a voté pour la guerre en Irak. Également pour défendre son projet d’assurance maladie universelle.

Elle a forcé mon admiration à d’autres moments, notamment par cette audace à regarder le pouvoir médiatique droit dans les yeux au plus fort de la tempête Lewinski. De même par sa capacité à demeurer sur les rails, puis de projeter son identité à travers le bilan d’une femme blessée.

Je l’ai crue femme progressiste capable de défendre becs et ongles certains projets politiques de gauche, mais tout comme Carl Bernstein (13), j’en suis venue à la percevoir plus à l’aise dans le système que dans les idées de gauche. Malgré les incursions qu’elle y a faites et qu’elle cache selon Bernstein. L’article fait référence à son stage d’étudiante dans un bureau d’avocats défendant les Black Panthers et à son mémoire consacré à l’activiste social Saul Alinsky.

Un constat

La longue marche de Hillary Clinton me permet, comme femme, et de même à toutes les féministes de faire le constat suivant :

  • Nous sommes fragilisées par l’image de « l’être féminin ».
  • Toute femme voulant s’approprier le pouvoir d’État doit avoir une bonne dose d’assurance métaphysique pour avancer sans être déstabilisée par le modèle de la culture patriarcale.
  • Nous avons à travailler sur l’éducation politique de la masse quant à la récupération par les forces occultes du patriarcat.
  • Les femmes doivent avancer vers le pouvoir politique, à tous les paliers, et en plus grand nombre.
  • Il faut viser l’envahissement du pouvoir politique à travers l’État.

    En résumé, les femmes devront davantage envahir les champs politiques afin de « produire de l’assurance métaphysique à travers leurs valeurs. Ce qui est nécessaire à l’humain et au phénomène de l’existence collective. » (14)

    Notes


    1. La machine à exister , Jean-François Volpert , Éditions Privat, 1978, p. 22.
    2. Ibid, pp. 54-69
    3. La condition humaine, par André Malraux.
    4. Nos vingt ans,Clara Malraux, Éditions Grasset, 1978, p. 206.
    5. Nos vingt ans,Clara Malraux, Éditions Grasset, 1978, p. 233.
    6. Le silence des médias, Colette Beauchamp , Éditions remue -ménage, 1988, 2e édition.
    7. Chronique de Pierre Foglia, 18 février 2008, La Presse.
    8. Le silence des médias, Colette Beauchamp. Éditions remue- ménage, 1988, p.122.
    9. Ibid., p. 240.
    10. Ibid., p. 250.
    11. « La bataille de Hillary Clinton », Lise Payette, Le Devoir, 11 janvier 2008.
    12. Nos vingt ans, Clara Malraux, Editions Grasset, p.233.
    13. Revue L’Express, 31 janvier 2008.
    14. La machine à exister, Jean-François Volpert, Editions Privat, 1978, p. 69.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 février 2008.

    Jeanne Gagnon, auteure


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