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Deux décennies de manifestations et d’espoir pour les Femmes en Noir

12 mars 2008

par Aditi Bhaduri

"J’adore Israël, mais cela ne donne pas le droit aux Israéliens d’aller s’installer dans des territoires qui ne nous appartiennent pas."(Gila Svirsky)

Au moment d’entamer leur troisième décennie, les Femmes en Noir ont bien
progressé depuis leur première manifestion contre l’Occupation israélienne de
la Palestine.

C’est lors d’une journée typiquement hivernale, à Jérusalem, que j’ai rencontré pour la première fois Gila Svirsky. Le temps était pluvieux, morne et frisquet, la seconde Intifada ou Rébellion palestinienne venait d’éclater quelques mois plus tôt, la tension émanait du lieu environnant et ne présageait rien de bon. Quoiqu’elle eût une journée extrêmement occupée, Gila a pris le temps de venir me rejoindre dans la vieille ville. C’est dans la vieille ville de Jérusalem que commence la grande division Israéliens-Palestiniens. Bien que les sites les plus sacrés des trois croyances abrahamiques convergent ici et que l’endroit soit sous direction israélienne, les Juifs qui vivent à l’extérieur de la vieille ville hésitent encore à la visiter. Et quand ils le font, comme le dit Gila, ils insistent pour se rencontrer uniquement près de la Porte de Jaffa, à l’entrée des quartiers chrétiens et arméniens, même si les autres portes sont plus proches.

Et ainsi, en dégustant un délicieux déjeuner d’humus et de pain pita
accompagné de kahwa entrelacé de cardamome, dans un vieux restaurant chrétien
syrien des quartiers chrétiens de la vieille vile de Jérusalem, j’ai
fait la connaissance de Gila Svirsky, l’image publique des Femmes en Noir.

Tout a commencé, il y a exactement 20 ans, en décembre 1987, peu après qu’eût éclaté la première Intifada ou Rébellion dans les territoires palestiniens contre l’occupation militaire israélienne. Un petit groupe de femmes juives de Jérusalem, comme Dafna Amit, Mimi Ash, Ruth Cohen et Hagar Roublev, des militantes de gauche, un mélange de professeures, d’enseignantes et d’autres femmes décidèrent de lancer une simple protestation pour exprimer leur foi dans la paix et exiger qu’Israël mette fin à son occupation des territoires palestiniens.

Un engagement ferme

Une fois par semaine, à la même place de Paris au centre de Jérusalem et à un
carrefour à circulation importante, vêtues de noir pour symboliser la souffrance et la tragédie à la fois des Israéliens et des Palestiniens, elles brandissaient leurs pancartes portant leur emblème - "des mains noires" - et une seule phrase en arabe, en hébreu et en anglais : "Mettez fin à l’Occupation !" Sérieuses et déterminées, elles firent le serment de venir au même endroit jusqu’à ce qu’Israël réponde à leur demande. Elles s’inspiraient du "Black Sash Movement" d’Afrique du Sud dans lequel des femmes blanches luttaient contre l’apartheid et dont l’emblème était la ceinture noire portée afin d’exprimer leur dégoût du système raciste.

Gila Svirsky, l’actuelle dirigeante non officielle des FENs, a
rejoint le mouvement en janvier 1988. Née et élevée dans une famille juive
orthodoxe aux États-Unis, Gila s’est installée en Israël il y a près de 40 ans. Grand-mère de 61 ans - elle espère que ses petits-fils ne s’engageront pas dans l’armée israélienne -, elle se tient droite du haut de son mètre 80. Sous une tignasse de cheveux blancs et des lunettes, ses yeux pétillent et elle explique : "J’adore Israël, mais cela ne donne pas aux Israéliens le droit
d’aller s’établir dans des territoires qui ne nous appartiennent pas ;
notre occupation de la Palestine est une mauvaise chose. Je manifeste contre elle pour sauver notre pays de la corruption de l’occupation." Les sentiments de Gila trouvent écho chez d’autres membres, bien que beaucoup soient nées et aient grandi en Israël, comme Mary Rosenfeld, une enseignante de l’Université hébraïque de Jérusalem, ou Ditta Bitterman, une architecte installée à Tel Aviv. Le mouvement s’est étendu à des localités comme Tel Aviv, Haifa et Nazareth. Très vite, des femmes se sont mises à faire des vigies dans 40 lieux différents en Israël.

Une gauche en croissance

Les vigies attirèrent à la fois des femmes arabes, chrétiennes et musulmanes, toutes citoyennes d’Israël. Nabiola Espanioli and Khulood Badawi, des militantes israéliennes arabes sont les membres arabes les plus connues des FENs.

Bientôt, les femmes israéliennes entendirent parler de "vigies de
solidarité" au Canada et aux USA : des Femmes en Noir, juives et
palestiniennes, portant des pancartes semblables avec le symbole de la main noire et les slogans "Femmes palestiniennes et juives unies" et "Deux
peuples, deux États".

Les Femmes en Noir se mirent à fleurir dans beaucoup de villes européennes et, au tournant de la dernière décennie, elles se donnèrent leur propre objectif, ce qui signifie que beaucoup de ces groupes n’avaient plus rien à voir avec l’occupation israélienne, mais commencèrent à manifester contre des problèmes locaux propres à chaque groupe. En Italie, les FENs manifestaient contre la violence de la mafia ; en Allemagne, elles manifestaient contre le néo-nazisme et la xénophobie ; et à Belgrade et à Zagreb, elles condamnaient la guerre, le viol massif des femmes et les conflits ethniques, en créant un modèle de coopération inter-ethnique. A Londres, les FENs manifestaient contre l’Opération Iraqi Freedom ; maintenant, elles manifestent contre l’occupation de ce pays par les alliés. Aujourd’hui, le Mouvement international des Femmes en Noir fait partie intégrale de tous les mouvements et études féministes et pacifistes. Des féministes comme Cynthia Cockburn et Haifa Zangana sont fières d’y être associées. Mais ce sont les Femmes en Noir israéliennes qui en revendiquent la maternité.

Quand j’ai accompagné Gila à la réunion du vendredi, il pleuvait et il faisait froid. Un groupe de femmes et d’hommes au visage sombre, tous vêtus de noir, participaient à la vigie marquant le 14e anniversaire du mouvement. Il portais tous et toutes une pancarte où figurait l’emblème de la main noire et le slogan "Mettez fin à l’Occupation". Une seule Palestinienne était venue à la vigie et, avec une femme juive, tenait un calicot qui disait "Nous refusons d’être ennemies", une affirmation simple mais puissante. Des passants réagissaient. Certains levaient le pouce pour appuyer le groupe ; d’autres l’insultaient. Deux motocyclistes ralentirent et montrèrent en silence la photo de Rehovam Zeevi, le ministre israélien mort depuis peu d’une balle tirée par un Palestinien. La police montait la garde, les manifestations des vigies n’ayant pas toujours été tranquilles, elles ont souvent été menacées et parfois attaquées, accusées d’être des traîtres. Un jour, on a aussi arrêté des membres des FENs qui s’étaient couchées devant l’entrée du ministère de la Défense pour illustrer ce que représentait la fermeture des territoires pour les Palestiniens.

Des femmes arabes en font aussi les frais. Les FENs avaient forgé des liens avec des femmes palestiniennes de Cisjordanie. Kawther Salam, une journaliste palestinienne habitant Hébron, une membre en Cisjordanie, a été traitée avec mépris comme "une traîtresse aimant les juifs" par beaucoup de Palestiniens. En outre, il y a eu souvent des différences idéologiques entre femmes israéliennes et palestiniennes.

Quelques années après ce vendredi d’hiver, je me suis retrouvée à Jérusalem. C’était en août et au moment du retrait de Gaza, le temps était très chaud et étouffant. Et de nouveau, un vendredi après-midi, alors qu’il faisait chaud comme dans un four, j’ai découvert un groupe de femmes habillées de noir tenant leur vigie. A cause du retrait de Gaza, auquel le plus grand nombre d’habitants de Jérusalem était opposé, l’atmosphère à Jérusalem était chargée de ressentiment. Il y avait plus de huées que d’applaudissements. Les propos "Traîtres, amoureuses des Arabes" étaient lancés avec plus de colère contre les FENs. Ces dernières étaient bien résolues à ne pas renoncer à leur rendez-vous avec le destin.

Les FENs ont eu 20 ans récemment et leur vigie du 28 décembre 2007 a souligné ce 20e anniversaire. Cinq cents (500) personnes y ont participé, toutes disant et promettant de ne pas perdre espoir, et de chercher d’autres voies
que celles qui divisent. Il existe une raison de se montrer d’optimisme car les gens en Israël sont plus que jamais conscients qu’on doit mettre fin rapidement à l’occupation.

De l’espoir

Ce fut un dur voyage, mais il y a eu des moments encourageants. Il existe des mouvements de solidarité dans près de 150 villes du globe. Le mouvement israélien a reçu le Prix de la Paix d’Aix-la-Chapelle (1991), le Prix de la Paix de Saint François d’Assises en Italie (1994), et le Prix de
construction de la Paix de l’Association juive pour la Paix (2001). En 2001,
le Mouvement international des Femmes en Noir a reçu le Prix de la Paix du
Millenium du Fonds de développement pour les Femmes, de l’ONU. Les groupes des FENs israéliens et serbes ont aussi été candidats au Prix Nobel de la Paix
en 2001.

Avec l’année 2008, le mouvement entre dans une troisième décennie. Mais, comme le dit fièrement Gila quoique déprimée : "J’espère que ces vigies ne dureront plus bien longtemps. J’espère que cette occupation cessera bientôt et qu’il y aura deux États, Israël et la Palestine, côte-à-côte. »

Traduction : Lynette Dubmble. Publication originale en français sur la liste FEN.

 Version originale anglaise : <http://www.global-sisterhood-networ...> Two decades of protest and hope, par Aditi Bhaduri, site Global-sisterhood-Network.
 Liste des vigiles de Femmes en Noirs dans le monde, pays par pays : le site de Women In Black, Femmes en Noir.
 Pour s’abonner à la liste de diffusion Femmes en Noir : voir cette page.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er mars 2008

Aditi Bhaduri


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