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Affaire Spitzer - Le mythe du crime sans victimes

24 mars 2008

par Melissa Farley et Victor Malarek

Que savons-nous de la femme que le gouverneur Eliot Spitzer aurait engagée comme prostituée ? C’est la seule personne qu’il n’ait pas mentionnée dans ses excuses publiques. Que vit-elle en ce moment ? Risque-t-elle d’être ciblée par le crime organisé parce qu’elle en sait trop ? Lui a-t-on offert les services d’un avocat ou proposé d’autres façons de gagner sa vie que la prostitution ?

"Je suis venue ici pour un but précis", a-t-elle dit à la coordonnatrice de son agence d’escortes après avoir rencontré le gouverneur Spitzer, d’après l’affidavit de l’agent de la F.B.I. qui a enquêté sur le réseau de prostitution. "Je sais pourquoi je suis ici. Je ne suis pas une...idiote, quoi."

Le but en question, comme l’a patiemment expliqué un homme bien renseigné, était de "louer" un "organe" pour 10 minutes. Les hommes louent des femmes par Internet ou par téléphone cellulaire, comme ils loueraient une auto. Maintenant que les agissements du gouverneur Spitzer ont fait les manchettes, l’éternel débat sur la prostitution refait surface : la prostitution est-elle un crime sans victimes ou cause-t-elle un tort considérable aux femmes prostituées, quel que soit le montant qu’on les paie ?

D’où vient la théorie selon laquelle la prostitution ne ferait pas de victimes ? Ce sont les hommes acheteurs des services de prostituées qui prétendent que ces femmes choisissent de se prostituer, qu’elles s’enrichissent, que le monde de la prostitution est prestigieux et que se prostituer excite les femmes.

Des études révèlent toutefois que la plupart des femmes prostituées, y compris celles qui travaillent pour les agences d’escortes, ont été victimes d’abus sexuels dans leur enfance. L’inceste prédispose les jeunes femmes à se prostituer en leur montrant ce qu’elles valent et ce qu’on attend d’elles. Les difficultés financières et le racisme sont aussi des facteurs qui orientent les femmes vers les agences d’escortes.

L’Emperor’s Club se présentait comme une agence d’escortes haut de gamme, mais à part ses tarifs plus élevés, il fonctionnait comme n’importe quelle autre entreprise de prostitution. Les proxénètes prenaient 50% des revenus des femmes. On exigeait souvent que les femmes fassent deux passes en une heure. Une femme, dont les propos ont été enregistrés par écoute électronique, a dit qu’elle ne pouvait pas supporter autant de pression. Le réseau opérait partout aux États-Unis et en Europe. Le transport des femmes à des fins de prostitution était camouflé sous le nom de "rendez-vous de voyage".

Les téléphonistes de l’Emperor’s Club ont reproché à l’une des femmes d’écourter les séances avec des clients pour pouvoir passer prendre ses enfants à la sortie des classes. D’après l’un d’eux, "en général, les filles qui ont des enfants ont une vie un peu plus compliquée".

Qu’une femme se prostitue dans une chambre d’hôtel ou sur la banquette d’une voiture garée dans une ruelle, qu’elle soit expédiée par des trafiquants de New York à Washington, du Mexique à la Floride ou de la ville à la banlieue, l’expérience de la prostitution lui cause un tort psychologique et physique immense. Et tout commence par l’acheteur.

* Melissa Farley est l’auteure de Prostitution and Trafficking in Nevada : Making the Connections. Victor Malarek est l’auteur de The Natashas : Inside the New Global Sex Trade.

Traduction pour Sisyphe : Marie Savoie.
Version originale en anglais : The Myth of the Victimless Crime, New York Times, Opinion, March 12, 2008. Si vous n’avez pas accès au New York Times, cliquez ici.

* Lire aussi : "Zero Tolerance for Johns : How the Government of Sweden Would Respond to Spitzer", par Birgitta Ohlsson and Jenny Sonesson, Stockholm, Wednesday, March 19, 2008. Birgitta Ohlsson is a member of the Swedish Parliament for the Liberal Party. Jenny Sonesson is secretary general of Liberal Women of Sweden.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 mars 2008.

Melissa Farley et Victor Malarek


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