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Selon un rapport du ministère de l’Éducation de l’Australie
La non-mixité en milieu scolaire nuirait aux garçons

7 février 2003

par Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

La montée de la droite religieuse et politique en Occident ramène à l’avant-scène des questions que l’on croyait réglées depuis un certain temps. Ainsi en est-il de la mixité à l’école, acquise au Québec au moment de la démocratisation de l’enseignement avec, en principe, l’accès pour les filles aux mêmes cursus scolaires et aux mêmes institutions que les garçons. Alimentées par quelques données statistiques montrant des rendements scolaires moindres chez les garçons que chez les filles, alarmées par les médias qui continuent à exploiter le thème, plusieurs commissions scolaires se sont lancées ces derniers temps dans diverses interventions destinées spécifiquement aux garçons, incluant la mise sur pied d’activités et de classes non-mixtes. Comme si les écarts de réussite scolaire entre garçons et filles étaient suffisamment grands pour que le recours à la ségrégation - appelons les choses par leur nom - soit justifié. Comme si la présence des filles en classe constituait l’explication première des difficultés de certains de leurs confrères.



Ce climat alarmiste n’est pas propre au Québec, et comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, l’Australie a vécu le même phénomène quelques années avant nous. À tel point que le ministère de l’Éducation australien a jugé bon en mars 2001 de commander à des spécialistes universitaires une étude pour faire le point sur "les besoins éducatifs des garçons". Le rapport du groupe de recherche est maintenant disponible.(1) Il contient une foule de renseignements pertinents et d’autant plus intéressants que plusieurs de leurs constats viennent corroborer des résultats de recherche obtenus au Québec.

Les risques de la non-mixité pour les garçons

Le rapport repose sur 19 études de cas d’écoles primaires ou secondaires qui ont des programmes spécifiques s’adressant aux garçons. Ces établissements ont été choisis parce qu’ils représentent une large gamme de situations (milieu socioéconomique varié, statut privé ou public, écoles confessionnelles ou pas, mixtes ou pas, de tailles variables, en milieu urbain ou rural). La démarche de recherche comprend des entrevues avec les directions d’école, le personnel enseignant (groupes de 6 personnes) et non-enseignant, de même qu’avec les parents (4 par établissement) et les jeunes (au moins 6 garçons et 6 filles) dans chacun des lieux. Un questionnaire standardisé a également été administré à toutes les étudiantes et étudiants de même qu’à tout le personnel enseignant. L’envergure impressionne.

En comparant les diverses interventions dans les écoles et en évaluant leurs effets, les auteurs en arrivent aux constats suivants concernant la mixité dans les écoles :

1) le changement de structures, c’est-à-dire l’introduction de la non-mixité, ne produit en soi aucune amélioration des apprentissages des garçons, ni de leurs résultats scolaires.

2) il existe certains risques très réels associés à la formation de classes non mixtes. D’une part, le fait de concevoir les garçons comme un groupe homogène, avec les mêmes besoins éducatifs, parce qu’ils sont de même sexe, s’avère contre-productif en ce qui a trait aux apprentissages. Sur le plan pédagogique, il s’agit là en effet d’une base d’intervention fausse car les garçons ne sont pas tous pareils, ils n’ont pas tous les mêmes besoins éducatifs et une fraction d’entre eux seulement éprouve des difficultés à l’école. Ainsi, les classes de garçons -comme les classes de filles - comprennent une bonne proportion de jeunes qui évoluent sans difficulté particulière et un nombre plus restreint qui, lui, aurait besoin d’une attention plus spécifique.

D’autre part, certaines interventions pédagogiques dans les écoles ou les classes de garçons ont entraîné une diminution des attentes du personnel enseignant envers ces garçons et une réduction des exigences, notamment par des contenus diminués. Cet effet n’a pas toujours été perçu par le personnel enseignant en place. Il résulte dans la façon de concevoir les groupes de garçons, c’est-à-dire de les considérer en "déficit culturel". Le personnel enseignant a alors eu tendance à ajuster à la baisse ses objectifs d’apprentissage plutôt que d’interroger ses préconceptions et ses pratiques pédagogiques.(2) Dans certains cas, souvent pour des questions de comportement et d’indiscipline associés aux garçons, l’école a choisi une approche autoritaire qui a eu un effet négatif, tout particulièrement sur les garçons en difficulté, parce que celle-ci suscite un climat de rébellion. Les auteurs donnent en contre-exemple une école centrée sur le développement des relations positives et authentiques avec les jeunes, et où le rendement scolaire des garçons s’est amélioré. Dans cette dernière école, ils étaient plutôt encouragés à se responsabiliser face à leur apprentissage et à leur conduite.

Toujours parmi les risques associés à la création de groupes non-mixtes, le fait d’adapter les contenus en visant des intérêts qu’on associe aux garçons (par exemple, proposer des thèmes de lecture jugés plus "masculins") n’est pas nécessairement avantageux, à moins de s’assurer que le traitement qu’on fait de cette "matière" suscite l’engagement intellectuel, non pas seulement soulever des intérêts. Par ailleurs, dans cette approche, il y a des risques que les représentations stéréotypiques de la masculinité soient véhiculées sans remise en question. Les auteurs font remarquer à cet effet que certaines de ces représentations se construisent justement sur une opposition à l’univers scolaire. Ou encore, par l’homophobie qu’elles véhiculent, elles risquent de nuire à bon nombre de jeunes qui ne correspondent pas aux modèles masculins dominants.

3) les écoles parmi les plus efficaces sont celles qui ont un fort engagement tant envers un sexe qu’envers l’autre. Cela veut dire qu’elles ont mûri une politique globale concernant les deux sexes. Une telle politique se traduit dans un engagement envers l’égalité et accorde autant d’importance à l’éducation d’un sexe qu’à l’autre.

4) le sexe du personnel enseignant n’a pas d’impact sur les résultats scolaires (femme ou homme avec groupe de garçons, femme ou homme avec groupe de filles). C’est la qualité de la relation entre la personne qui enseigne et les élèves qui constitue le facteur primordial dans l’atteinte de bons résultats, tant chez les garçons que chez les filles. Ce constat remet en question, à bon droit il me semble, la théorie du déficit de modèles masculins à l’école, théorie que les médias québécois reprennent régulièrement.

5) les écoles qui ont obtenu les meilleures améliorations dans le rendement scolaire des garçons sont celles qui ont su abandonner des stratégies qui ne fonctionnaient pas pour recibler leurs interventions vers les garçons et les filles qui en avaient besoin. Très concrètement, cela a signifié l’abandon de la non-mixité et l’élaboration de nouvelles pratiques pédagogiques centrées sur les besoins éducatifs de tous les jeunes en difficulté.

Le premier jalon a été d’identifier précisément quels garçons et quelles filles avaient des besoins éducatifs non comblés. Le deuxième a été pour le personnel enseignant de se structurer en "communautés professionnelles d’apprenants" afin de répondre à ces besoins. Ces groupes ont intégré à leur horaire régulier du temps pour des échanges sur certaines lectures ou sur certains sujets, ils ont précisé certaines lacunes dans leurs savoirs, ils ont prévu des participations à des colloques, ils ont invité des conférenciers à l’école, enfin, ils ont élaboré ce que les auteurs ont appelé des "pédagogies productives", c’est-à dire des approches à la fois exigeantes et supportantes, qui demandent aux jeunes de travailler fort, mais à des travaux scolaires stimulants qui posent des défis sur le plan intellectuel.

Les avantages de la non-mixité pour les filles

Cette dernière étude est l’une des rares qui renseigne sur les effets de la non-mixité chez les garçons. Du côté des filles, quelques recherches, notamment en Grande-Bretagne, ont avancé qu’elles améliorent leur situation quand elles sont entre elles. Celles-ci n’ont pas à supporter les comportements de certains garçons qui monopolisent l’attention en classe et occupent tout l’espace, elles n’ont pas à subir de harcèlement sexuel. Par ailleurs, elles se sentent en plus grande confiance quand vient le temps d’aborder certaines matières scientifiques connotées masculines. Bref, les conditions d’apprentissage s’améliorent pour elles en situation de non-mixité. Par ailleurs, les recherches portant sur les interactions sexuées en classe mixte arrivent à des conclusions similaires : ce sont les garçons qui profitent de la mixité scolaire parce qu’une part disproportionnée des ressources leur est consacrée.

Des critiques ont cependant fait remarquer que le processus de sélection qui accompagne souvent l’admission dans les écoles non mixtes empêche de lier de façon incontestable la non-mixité et une meilleure réussite scolaire. C’est aussi la conclusion à laquelle en arrive l’Association américaine des femmes universitaires qui a commandé une étude sur la question en 1998.(3) Son rapport indique entre autres que :

1) il n’existe aucune évidence de la supériorité de la non-mixité sur la mixité au regard des résultats scolaires ;

2) la non-mixité produit des résultats positifs pour certaines élèves dans certaines conditions. Cependant, il est difficile d’établir si les bénéfices obtenus sont reliés uniquement au facteur de non-mixité ;

3) aucun milieu scolaire, mixte ou non mixte, ne permet d’échapper au sexisme.

La non-mixité scolaire ne favoriserait pas l’égalité des sexes

Deux remarques. D’une part, une situation de non-mixité prive le personnel enseignant d’occasions concrètes d’intervenir sur divers aspects problématiques des rapports sociaux de sexe tels que vécus à l’école. Au-delà du rendement scolaire à améliorer se posent en effet des enjeux d’éducation liés à l’apprentissage de la vie en société, société mixte et marquée, faut-il le rappeler, par des rapports sociaux inégaux. Sur ce plan, l’école a une responsabilité qu’elle doit assumer.

D’autre part, si la non-mixité comporte certains avantages pour les filles, on ne peut en conclure qu’il en serait de même pour les garçons : les conditions d’apprentissage de ces derniers ne s’améliorent pas pour autant. Comme groupe, ils ont tendance à reproduire dans la classe une hiérarchisation entre garçons où certaines valeurs et certains comportements jugés plus conformes à l’identité masculine dominante s’imposent. La dévalorisation de l’école et de la culture scolaire, le dénigrement de ceux qui réussissent et la culture du jeu plutôt que de l’effort font souvent partie de leur univers. Comme les filles, mais par la pression des pairs cette fois, certains garçons se retrouvent donc devant des conditions d’apprentissage détériorées. Et tout comme les filles, ils bénéficieraient d’interventions visant à lever ces limitations.

Sur le plan de la réussite scolaire, le recours à la non-mixité pour les garçons semble donc être un cul-de-sac et l’attrait pour les commissions scolaires, semble-t-il, c’est plutôt de pouvoir dire aux parents inquiets qu’elles "font quelque chose". Cette voie est d’autant plus attrayante qu’elle peut être suivie sans engendrer de dépenses supplémentaires majeures.

Pourtant, d’autres enjeux plus fondamentaux sont liés au retour de la non-mixité. L’un d’entre eux est certes le recours à des curriculum différenciés selon le sexe. Soi-disant adaptés, ils sont construits conformément à des visions stéréotypées de ce que sont les garçons et les filles. Pour les premiers, plus d’activités physiques et sportives, plus d’ordinateurs, plus de sciences, plus de compétition ; pour les filles … le retour à l’enseignement ménager ? (4) On le voit, cette avenue est loin de nous rapprocher de l’égalité entre les sexes. Elle risque plutôt d’enfermer dans des conceptions limitatives et contraignantes de ce que sont les hommes et les femmes.

Enfin, dernier point, qu’en est-il des filles qui connaissent des difficultés à l’école ? Où est l’aide pour les 25% d’entre elles qui ont aussi des besoins éducatifs particuliers et que l’on oublie trop facilement ? La recherche australienne citée plus haut montre qu’une allocation efficace des ressources allouées aux interventions sur la réussite scolaire se doit de viser autant les filles que les garçons.


Sources

l. Lingard, Bob, Martino, Wayne, Mills, Martin et Mark Bahr (2002). Addressing the Educational Needs of Boys. Research Report submitted to the Department of Education, Science and Training. Sydney. Les renseignements qui suivent sont tirés de cette recherche.
2. Ce même phénomène a par ailleurs été documenté dans les milieux socio-économiquement faibles.
3. American Association of University Women educational Foundation, Separated by Sex. A critical Look at Single-sex Education for Girls, AAUWEF, 1998.
4. Cet exemple n’est ni tiré de mon imagination, ni inspiré du Québec des années 50. Il provient de "réformes" de l’éducation faites en Europe de l’Est à la fin des années 90.

Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

P.S.

Lire une version plus élaborée de cet article :

« La non-mixité à l’école : quels enjeux ? » par Pierrette Bouchard et Jean-Claude St-Amant, revue OPTIONS, no 22, 2003. On peut la télécharger ici en format PDF.




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