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Sur le chemin de l’arc-en-ciel : une expérience au Mali

7 août 2008

par Marta Wnorowska

Au moment de la naissance d’un être humain, une âme tombe du ciel et éclate en deux morceaux. Nous passons nos vies à chercher la deuxième partie de nous-même, notre âme sœur, notre amour, notre moitié. Le 14 janvier 1980, mon âme tomba du ciel quelque part en Pologne et éclata en mille morceaux. Elle s’éparpilla un peu partout sur la planète : chez les êtres humains, le ciel, le vent, les couleurs, les odeurs, les océans. Dorénavant, je suis poussée par une sorte d’énergie, une intuition vers les endroits et les gens qui peuvent me ressembler. En visitant les pays, en rencontrant les gens, je retrouve mes éléments et je recolle les parties de mon âme. La vie est courte, et il faut bien que je rende mon âme en entier d’où elle est tombée.

Le 7 juin, nous sommes suspendus quelque part dans le ciel et nous nous dirigeons vers le Mali. J’ai décidé de répéter mon aventure avec Planète Urgence (après un séjour en Indonésie*) en partant en mission humanitaire « Sur le chemin de l’école ».

Il reste une heure de vol. Les images des films, des documentaires, des bouquins que j’ai pu absorber avant mon départ n’arrêtent pas de défiler dans ma tête. Je ressens presque leur présence physique comme s’ils agissaient de fantômes. À moitié endormie, j’étudie la carte. L’Afrique a bien une forme d’une grappe de raisin. Bientôt, j’aurais l’honneur de savourer du bon vin - une vraie potion magique qui va m’envahir la tête avec les paysages, les couleurs vives, les odeurs et les rencontres qui, jusqu’aujourd’hui, n’existaient que dans mon imagination.

Avant mon départ, on m’a posé la question : « Pourquoi l’Afrique ? » À vrai dire, je n’avais pas trouvé la réponse tout de suite. Je pense que ce sont les images, les histoires, les sentiments qu’on a goûtés dans l’enfance qui, tout simplement, s’imprègnent à jamais dans notre tête. Ils évoluent avec le temps, deviennent nos rêves pour enfin se transformer en buts, et ils finissent un jour en souvenirs enfermés dans un album de photos.

Mais là, je me pose quand même les questions : Est-ce que tout se passera bien ? Est-ce qu’on ne sera pas déçu de moi ? J’ai des papillons dans l’estomac, et le journal de voyage encore vide.

Arrivée samedi 8 juin

Après huit heures de vol, quelques films et jeux vidéos, je pose les pieds sur le continent qui fascine l’homme depuis des siècles et le rend perplexe. Je débarque avec mon carnet de vaccin, traitement anti-palu en sachant vaguement ce qui m’attend. La toute première chose qui m’accueille en posant les pieds en Afrique est la chaleur. La chaleur qui m’empêche de respirer, qui va ralentir mes pensés et élargir ma perception du monde, très différente de tout ce que j’ai connu auparavant. La chaleur qui ne me quittera plus jusqu’à mon départ.

La mission

On commence à dresser un éléphant quand il est encore bébé. On l’attache avec une chaîne à un gros arbre, pour ensuite, progressivement réduire la taille de la chaîne et de l’arbre. Quand un éléphant grandit, on n’a plus besoin de chercher un arbre gigantesque, ni la chaîne la plus résistante. Tout ce qui suffit, c’est de l’attacher à une petite plante verte et une corde fine.

Mais qu’arrive-t-il quand on ne trouve pas assez de cordes, quand le nombre de dresseurs n’est pas suffisant ?

Je m’occupe de la bibliothèque dans une école publique de Djelibougou. Je n’oublierai jamais mon premier jour. Yaya, le coopérateur de Planète Urgence qui s’occupe de ma mission, me présente aux instituteurs et aux enfants. Les classes de 80 élèves, l’absence d’électricité et d’outils, le manque de profs, l’état pitoyable des intérieurs, l’odeur de sueur dans l’air. Je me pose la question sur ma présence : « Qu’est ce que je suis venue faire ici ? » Je m’occupe de la bibliothèque. Les livres couverts de poussière, les toiles d’araignée, les mouches partout et la chaleur, cette grande chaleur impitoyable qui me rappelle sans cesse que je ne suis pas chez moi.

Il y a beaucoup d’enfants qui ne parlent que bombara. Ils viennent à la bibliothèque par curiosité. Ils me touchent les cheveux, la peau, les coups de soleil. Ils prennent les bouquins. Je joue avec les petits, je parle avec les plus grands, je leur lis des histoires, et mous en discutons ensuite. Un jour, j’ai fait une rencontre extraordinaire. Une rencontre qui peut-être était le but de mon voyage. Un petit garçon entre dans la salle avec un grand sourire, me regarde avec des yeux tout grands et tout de suite attire mon attention. Il est comme tous ses gamins, mais il y a quelque chose en lui, dans son regard émerveillé, qui me fait fondre le cœur.

Une fois qu’il est assis parmi les autres élèves, je remarque une collègue locale, là pour m’aider, et qui prend le bâton afin de surveiller le petit. Au début, je ne comprends pas. Le garçon ne parle pas français, mais il essaie de répondre à mes questions en imitant les autres enfants. Quand je lui repose la question, la bibliothécaire lance : « Il ne faut pas lui parler. Il n’est pas normal ! » Elle m’explique plus tard que souvent il devient agressif avec les autres, dérange, tape des jambes.

Petit à petit, je commence à le découvrir et j’ai honte d’avoir fui son sourire pendant la seconde qui a suivi les propos de la dame. Il m’intrigue.

Il s’appelle Diatrou. Personne n’a pu me dire quel âge il avait. Tous les jours, il vient, s’assoit à mon côté. Quand je suis occupée avec les autres enfants durant la lecture, il touche doucement mon bras pour signaler sa présence. Sans m’en rendre compte, je lui consacre plus de temps qu’aux autres. Je vérifie s’il entend bien en cliquant avec mes doigts vers ses oreilles. Les yeux fermés, il rigole et compte ‘1,2,3,4.’

Je lui apprends l’alphabet et à écrire son prénom. Il a du mal à tenir le crayon. Je lui tends le stylo dans sa main gauche :’Vas-y, essaie.’ Il s’avère que Diatrou est gaucher. Tous ces kilomètres rien que pour lui remettre son stylo dans sa main gauche ! Je fais une demande de cours particuliers. Je veux le faire dessiner, lui parler français, comprendre mieux son handicap afin de laisser un dossier pour les prochains volontaires. Yaya comprend mes motivations et fait les démarches. Il parle à la bibliothécaire pendant que je l’attends dehors avec Diatrou et un autre garçon qui nous sert d’interprète. Je regarde avec impatience les portes de la bibliothèque. Diatrou m’explique, avec les mots qui lui sortent de la bouche, coupés, incompressibles. Il remonte son pantalon et j’aperçois son genou.

« Il s’est fait renverser par une moto y a deux ans », traduit son camarade.‘Ça explique sa façon de marcher’ – je réalise. En voyant les poches qui sortent de son pantalon, je dis d’une voix troublée : « Ce n’est pas comme ça qu’un vrai garçon se tient ! Regarde. » Je remets les poches à leur place. J’aperçois son nombril qui sort, coupé trop loin à sa naissance, une image que je revois souvent ces jours-là chez les enfants dans la rue. Yaya sort. C’est dans la voiture qu’il m’annonce, la voix basse, sans me regarder : « Ce n’est pas possible. Il y un danger d’épidémie de rougeole à cause de la chaleur et en plus c’est une période d’examens de la fin de l’année. Il n’y a pas beaucoup d’enfants qui viennent dans l’après-midi. Et, tu sais Marta. Ils disent que Diatrou va devenir un militaire un jour. » J’ai des larmes aux yeux. « Ah bon ? On lui expliquera comment tenir une mitraillette alors que personne ne lui montre à tenir son stylo ?! »

Il m’explique ensuite que le vrai problème, c’est le manque de motivation de la bibliothécaire. Il fait très chaud et elle a la flemme de se déplacer à l’école. Comment alors expliquer le fait que les autres bibliothèques sont ouvertes ?

Yaya m’explique plein des choses sur le fonctionnement du système, la mentalité des gens. On rencontre le Directeur régional de bibliothèques, le ministère de l’Éducation. Chaque fois, je pose les mêmes questions et chaque fois je reste sans réponse. Je me sens comme dans un film ridicule, une farce, une caméra cachée. Je n’ai plus envie de chercher, mais je pense à Diatrou et j’ai honte de vouloir baisser mes bras.

Quelques jours plus tard

Chaque fois que je découvre quelque chose de fascinant, j’ai la drôle impression qu’on me cache des choses. Plus on flotte dans l’ignorance, plus cela fait mal d’être éjecté sur les plages inconnues. Comme un enfant qui vient de venir au monde. Il pousse un cri car il change d’environnement. Au Mali, je reste de bouche bée devant tout ce qui m’entoure. J’ai peur de ne pas avoir assez de temps, de ne pas comprendre comme il le faut. J’apprends beaucoup grâce aux gens que je rencontre et à une autre volontaire avec laquelle je partage une chambre. Alice, une véritable Alice dans un pays de merveille. J’adore l’écouter. Elle donne les cours de marketing dans une association artisanale, APISAM. On prend des cours de jambé, on fait le marché, on part en week-end. On sympathise avec les jeunes Maliens qui nous amènent danser, écouter de la musique, manger les plats maliens. Elle m’apporte plein de réponses sur les gens, les coutumes africaines, l’histoire, les choses qui m’envoûtent. C’est mon premier séjour sur ce continent. J’ai l’impression que les images de l’Afrique que j’avais dans la tête commencent à respirer par elles-mêmes : les couleurs semblent être plus précises, les odeurs deviennent plus fines, la langue gagne sa propre mélodie. À vrai dire, je me sens en peu perdue.

Je reste figée devant la beauté des femmes maliennes. Elles travaillent avec la grâce d’une gazelle, portent un tas des choses sur leur tête, leurs bébés sur le dos, des gouttes de sueur leur tombant du visage. Je crois que c’est cette image-là que je garderai le plus précieusement. La mère et son enfant. Image aussi fascinante que troublante. Comme les gens d’ici collés à leur terre chaude qui vivent au rythme de son cœur. Elle, en retour, les console, nourrit et protège. Je n’ose pas sortir ma bouteille d’eau planquée dans mon sac à dos même si je meurs de soif. Je me sens ridicule avec les brûlures de soleil et mon pauvre appareil photo. Je suis tout simplement intimidée.

Alice rigole en me voyant perplexe par rapport à la situation des femmes : « Pourquoi c’est comme ça ? » Elle répond en souriant : « J’ai ma propre théorie. La femme fascine l’homme depuis des siècles. Elle l’envoûte, porte la vie, et elle est souvent plus intelligente et plus forte que lui. C’est pourquoi l’homme a peur d’elle. » Sa théorie me plaît. Il est vrai qu’il est écrit nulle part que la femme est inférieure à l’homme. Alice est pour moi une grande sœur. Elle m’explique des choses, moi, je la fais rire avec mes questions de gamine et mes fautes de syntaxe quand je suis fatiguée. Je suis contente de pouvoir profiter de sa sagesse.

Un soir après le dîner

Le Dieu nous a créés différents. Les grands, les petits, les gros, les minces, les beaux et les moches, les forts et les faibles, les noirs, les blancs. Les intelligents, les bêtes. Et je me demande comment il veut que ça marche entre nous ? Mais il nous a donné de l’amour afin de nous rendre aveugles.

Je me demande pourquoi, de nos jours, personne n’a trouvé de réponse pour l’Afrique. Est-ce la faute de la colonisation ? Du manque d’éducation ? Des conditions météorologiques ? C’est difficile d’avoir de l’initiative quand on est dirigé par des gens qui détiennent le pouvoir depuis de longues années. L’éducation ? Je ne vois pas comment dresser tout un troupeau de petits éléphants en n’ayant pas assez d’arbres. Les conditions d’hygiène ? Il est facile de rester propre quand on travaille dans une salle climatisée, sans la chaleur qui fait couler notre maquillage, la sueur qui trempe nos vêtements ou encore les mouches qui n’arrêtent pas de nous importuner. Je crois que le laisser-faire est dû à un mélange de tout ça. Comme un petit garçon qui joue dans la rue en faisant tourner un pneu. Les restes de quelque chose qui n’existe plus. On s’en sert pour jouer sans vraiment savoir pourquoi.

Il est 4 heures du matin et je n’arrive pas à dormir. J’ai été réveillée par la pluie et l’orage. Quand j’étais petite, pour m’expliquer la source de la pluie, ma grand-mère disait que c’étaient les anges qui étendaient leur lessive. Les orages ? C’était le Bon Dieu qui déménageait. « Ah bon ? S’il déménage, il va où ? Pourquoi et pour qui nous laisse-t-il alors ? Et surtout, il n’est pas trop agréable comme voisin, vu les bruits qu’il fait la nuit ! » Même si aujourd’hui je suis une adulte, j’ai toujours peur des orages. Je me trouve à des milliers de kilomètres de chez moi et je me rends compte que je suis toute seule. Demain matin, il faut que j’appelle ma famille.

Cette nuit, je n’ai pas beaucoup dormi. C’est la troisième fois que je fais un cauchemar. Dans mes rêves, je suis régulièrement poursuivie par quelqu’un qui veut me tuer. J’ai l’impression que, progressivement, quelque chose s’est arrachée de mon intérieur. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.

Le dernier jour à l’école de Djelibgou, les enfants m’accompagnent à la voiture. Je leur dis au revoir, je leur dis d’être sages et de revenir plus souvent à la bibliothèque. Je n’arrive pas à leur faire des accolades d’adieu. Ils m’embrassent les bras. Je monte dans la voiture, leurs dessins à la main. J’essaie de ne pas regarder dans le rétroviseur. « Marta, tourne-toi. Regarde », dit Yaya. Les enfants courent derrière la voiture en faisant des signes d’adieu. Diatrou, devant tout le monde, en traînant sa jambe droite, court le plus vite. Je n’oublierai jamais cette image : son sourire et ses yeux remplis de choses qu’il veut me dire et que son handicap l’empêche d’exprimer.

Je me souviens de ma maîtresse du temps que j’étais à la maternelle. Son odeur, la mélodie de sa voix, la couleur de sa jupe. Jusqu’à aujourd’hui, j’en garde des souvenirs très vivaces. C’était la personne qui, d’après les enfants, connaissait toutes les réponses, qui devenait leur guide, le fantasme d’une femme idéale.

Peut-être les enfants vont-ils se rappeler, un jour, de cette femme blanche qui a fait une visite inopinée dans leur quotidien. Qui avait des coups de soleil sur son nez pointu, leur lisait des histoires ou les photographiait, qui leur expliquait que la capitale de l’Angleterre était Londres et pas Chelsea. Je me demande s’ils vont se souvenir d’une fille avec laquelle ils jouaient au foot et comment ils se moquaient d’elle quand un petit caillou dans sa chaussure lui faisait mal.

Ça y est, c’est fini. Yaya a remarqué que je ne parle pas beaucoup. Il m’a même demandé si j’étais malade. C’est marrant, me suis-je dit. Il avait l’habitude de m’entendre parler sans cesse. Mais je n’y suis pour rien. C’est comme ça. Je souris. J’étais partie en déesse, mais je rentre comme une fourmi gagnante, mais la tête basse. J’ai les yeux plus grands, les oreilles plus attentives, les mains plus créatives, les jambes plus légères, les pas plus sûrs, l’estomac plus avide, les papilles gustatives plus affinées. On commence à discuter de tout et de rien. Je ne sais pas comment lui dire qu’il me manquera et que je trouve chouette le travail qu’il fait, comme je n’arrivais pas à prendre Diatrou dans mes bras et à le serrer très fort pour lui dire que je l’aimais. Yaya me demande si je compte revenir un jour.

En Afrique, j’ai compressé plus de moments dans la valise, plus de temps que je n’aurais pu imaginer. J’aurai des souvenirs mémorables de moments ou d’événements qui en réalité n’ont duré qu’une seconde. À chaque retour de voyage, j’ai un peu l’impression d’avoir gagné la bataille contre le temps qui m’a été alloué pour découvrir la planète. Et même s’il ne m’arrive pas forcément que des bonnes surprises, cela vaut la peine. Comment pourrais-je regarder sans distinguer les couleurs, communiquer sans connaître les langues et cultures étrangères, être heureuse sans connaître la souffrance, me sentir riche sans avoir vu la pauvreté, avoir confiance sans connaître la peur ? Cette palette de sensations m’emmène en haut et en bas, comme une balançoire. Partir loin, aller à la rencontre d’inconnus, apprendre à gérer l’imprévu, c’est pour moi une aire de jeux extraordinaire. Pourquoi devrais-je me contenter d’un pauvre bac à sable alors qu’on m’a filé un ticket liberté pour la journée !!!

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Ça y est, je suis installée dans l’avion. Je suis épuisée et j’ai les mains sales. L’air est chaud et humide. J’ai l’impression qu’il me colle à la peau comme s’il voulait passer inaperçu et entrer avec moi. J’ai les yeux qui piquent à cause de la fatigue. Je regarde par la fenêtre, et des larmes tièdes me viennent comme un ruisseau hydratant la terre sèche. L’Afrique a bien la forme d’une grappe de raisin. J’ai eu l’honneur de savourer ce vin extraordinaire, une vraie potion magique qui m’a complètement envoûtée. Ce mélange de sensations a fait voler mon imagination sur un nuage de bonheur cotonneux qui s’est transformé en pluie inattendue me tombant du visage.

Je me rends compte que je n’ai rien vu ni rien compris. Je me sens comme si j’avais gagné un tour en montagne russe dans un parc d’attractions, l’endroit où tout ce qui se passe va trop vite. Un faux Disneyland en noir et blanc dont on paie cher l’accès et à l’entrée duquel on laisse la naïveté et l’illusion. Tout ce qu’il nous reste à la fin, ce sont seulement les frissons, le battement du cœur, une photo prise au passage où l’on ressemble à un débile qui feint d’avoir compris le truc. L’Afrique m’a volé mon cœur qui a commencé à grandir et d’étouffer dans mon corps. Ils se sont enfuis ensemble et maintenant, soulagée, je les regarde de loin danser sur le sable, je les vois tourner entre les feuilles où, poussés par le vent, ils s’embrassent passionnément. Et ça me rend triste et heureuse à la fois. J’ai la tête qui bout comme de l’eau dans une théière oubliée par mégarde sur le feu. Le bruit me fait penser à un enfant gâté qui pousse un cri de désespoir car il commence à comprendre qu’il n’aura pas ce qu’il voulait et qu’il ne lui restera qu’à accepter et à céder enfin au monde adulte. Mais moi, j’en veux davantage !

J’ai compris mes rêves. Il y a plein de choses en moi qui sont mortes, mais elles sont parties en paix. Mes rêves, qui m’ont permis de faire la place à la nouvelle conscience de la vie.

Je suis contente et apaisée d’avoir provoqué cela en venant en Afrique car j’ai l’impression que j’ai trouvé une partie de mon âme ici sous le sable rouge. Je suis consciente que mon travail n’était qu’une petite goutte dans la pluie nécessaire pour rendre ce monde meilleur. Mon expérience valait la peine étant donné la façon dont cette goutte m’a touchée. Je veux rester là, sous la pluie, et ressentir cet univers. Dans les moments comme ceux-là, je me sens heureuse. Heureuse de pouvoir et surtout de vouloir découvrir les deux faces de la planète. Il ne faut pas tourner la tête uniquement vers les bonnes choses. Il faut aussi aller à la rencontre de l’autre côté du paradis car personne encore n’a réussi à trouver la fin de l’arc-en-ciel.

Maintenant, il faut que je dorme. Mon sommeil m’emmènera à des milliers de kilomètres de ce moment qui me fait autant de mal que de bien. Il me permettra de prendre de la distance face aux idées qui barbouillent ma tête.

C’est ainsi que se termine la dernière page de mon aventure – un véritable marque-page dans l’ouvrage de ma vie. Demain matin, je serai en France. Je vais survoler une grappe de raisin sur un oiseau géant. Il m’emmènera vers le monde où les lions ont des visages humains, les belles femmes ont la grâce des gazelles, le temps est scrupuleusement compté, les gens faibles deviennent les victimes des prédateurs, là où les gens se rassemblent en troupeaux afin d’être plus forts, où il faut se battre pour survivre. Je rentre. Moi, le petit éléphant maladroit qui, par choix, s’était éloigné de sa maman. Le petit éléphant qui est tombé aveuglement amoureux de l’Afrique et qui, de façon nonchalante essaye de comprendre la magie cruelle de ce monde.

PS. Je remercie toutes les personnes grâce auxquelles mon voyage a été possible : mon employeur, Planète Urgence ; les collègues de travail ; mes ami-es ; ma famille ; les gens qui ont fait partie de l’univers que j’ai découvert sur place ; et aussi mes petits-enfants qui liront le récit de voyage de leur grand-mère, un soir, devant une cheminée et voudront peut-être poursuivre mes rêves, alors que moi, je serai déjà au bout de l’arc-en-ciel.

* De la même auteure : "Ma vie, mon aventure : une mission humanitaire en Indonésie".

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 juillet 2008

Marta Wnorowska


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3044 -