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La publicité influence la sexualisation précoce

16 septembre 2008

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence

Certains parents sont conscients du fait que les émissions et films violents nuisent à leurs enfants. Bravo ! Les scènes violentes ne sont malheureusement pas seules en cause.



Le 11 juin 2008, le Conseil du statut de la femme du Québec (CSF) rendait public un dossier choc intitulé Le sexe dans les médias : obstacle aux rapports égalitaires. Le dossier démontre comment les médias véhiculent une conception de la sexualité basée sur des rapports inégalitaires entre femmes et hommes. Comme les ados sont occupés à construire leur identité, que les changements qu’ils vivent sont rapides et que les rapports sociaux de sexe prennent forme, il sont particulièrement vulnérables aux modèles qui leur sont présentés. Et les agences de marketing savent en tirer profit. L’enjeu aura des répercussions profondes et durables : les modèles sexuels stéréotypés propagés par les médias influencent la construction de l’identité sexuelle des adultes de demain.

Pour scruter l’espace public sous l’angle de la sexualité égalitaire, le CSF a rassemblé plusieurs études produites au Québec et ailleurs. Conclusion ? L’omniprésence de la sexualité dans les médias influence à la fois
1) les comportements sexuels des jeunes
2) et leur conception de la sexualité.

Le CSF fait 3 constats

1) Les médias qui exercent le plus d’emprise sur les jeunes proposent toujours plus de sexualité et la présentent de façon stéréotypée. La sexualité constitue un ingrédient commercial semblable à l’appât placé par le pêcheur sur son hameçon. Aux États-Unis, trois émissions sur 4 diffusées (77%) utilisent un contenu sexuel pour attirer des auditoires.

2) Filles et garçons sont influencés par les modèles sexuels utilisés par les médias et finissent par adhérer aux stéréotypes sexuels et à la précocité sexuelle.

3) Les médias de plus en plus consommés par les jeunes sont difficiles à contrôler, autant par les parents que par les pouvoirs publics.
Malgré les efforts déployés au cours des dernières années pour combattre les stéréotypes sexistes, les jeunes « achètent » le modèle de sexualité inégalitaire. Il ne faut pas s’en étonner puisque le modèle leur est imposé depuis le berceau. La séduction et la sexualité sont présentés aux filles comme des moyens légitimes pour obtenir ce qu’elles veulent. Elles apprennent ainsi à répondre aux désirs des hommes au détriment des leurs. Quant aux garçons, ils apprennent que leur sexualité doit être essentiellement physique, sans amour, basée sur des performances où le plaisir de la femme compte peu.

La sexualité soi-disant « libre » véhiculée par les médias ne comporte ni respect ni réciprocité. Le contexte de violence, de domination ou de contrainte passe avant la recherche du plaisir réciproque. Ce dernier est effacé des écrans radars des publicitaires.

L’omniprésence de la publicité

La sociologue Francine Descarries fait remarquer que la publicité est partout. Les Nord-Américains sont sollicités par des milliers de messages publicitaires chaque jour, entre 1 500 et 2 500. Selon le CSF, « qu’on le veuille ou non, la publicité véhicule un message idéologique. Elle propose, voire impose, des définitions des individus, des groupes et des relations sociales. La publicité marque l’inconscient aussi bien que le conscient, elle forge préjugés et croyances. La publicité, selon la spécialiste des médias Jean Kilbourne, est un des agents de socialisation les plus puissants pour nous dire qui nous sommes, qui nous devrions être et comment trouver le bonheur. Ainsi, la publicité participe à la fabrication des genres féminin et masculin. »

L’obsession de l’apparence

L’apparence physique est une source d’inquiétude centrale chez les jeunes, surtout les filles ; l’apparence passe avant la réussite scolaire ou la santé. Cette obsession de l’image corporelle nourrit un nombre croissant de troubles alimentaires. Se comparant à l’idéal de beauté diffusé par les médias, corps mince, attrayant, parfait, basané, inévitablement, les filles deviennent insatisfaites d’elles-mêmes. Plus de la moitié des filles (55%) de 15 à 19 ans veulent perdre du poids ; le tiers de celles de 4e année (35%) veulent faire de même. La majorité des jeunes croient que leur intégration sociale et leur popularité dépend de leur « look » et de leurs beaux vêtements.

L’acceptabilité de la violence

Une sexualité égalitaire est exempte de violence. Or, selon l’Institut de la statistique du Québec, la violence conjugale est en hausse chez les jeunes filles de 12 à 17 ans. Le tiers (34%) des filles ayant fréquenté un garçon durant l’année précédente ont subi de la violence psychologique, 20% ont été violentées physiquement et 11% sexuellement. La violence exercée dans les relations amoureuses des jeunes correspond à l’omniprésence et à la banalisation de la pornographie véhiculée par les médias. Les jeunes exposés à ces modèles sont incités trouver cette violence normale et plusieurs imitent ce qu’ils ont vu.

Maladies transmises sexuellement

Les messages sexuels des médias ont des effets sur la prolifération des infections transmissibles sexuellement. En 2005, le quart des adolescents actifs sexuellement n’ont pas utilisé de condom lors de leurs dernières relations sexuelles, d’où une hausse des infections. Entre 2004 et 2007, le taux d’infection à gonocoque a augmenté de 250% chez les adolescentes âgées de 15 à 19 ans. Le nombre de cas de chlamydia a doublé en 7 ans (1997-2004). Trois cas sur 4 sont des femmes et la majorité ont entre 15 et 24 ans.

Remèdes

Le CSF émet dix recommandations à l’intention du gouvernement : promotion de rapports égalitaires entre filles et garçons, développement du sens critique, responsabilité des acteurs. Le CSF recommande d’intensifier la lutte aux stéréotypes sexistes, de mener une vaste campagne médiatique pour faire la promotion de rapports égalitaires, de resserrer les règles d’application des normes en matière de stéréotypes des diffuseurs et des publicitaires.

La recrudescence du stéréotype de la femme séductrice et objet sexuel démontre l’échec relatif du mouvement féministe à convaincre l’ensemble de la société des effets néfastes de ces stéréotypes sur l’évolution des jeunes. Les espoirs du CSF ne sont pas morts. On cite en exemple des étudiantes du collège Mont-Notre-Dame, en Estrie, qui ont demandé que des revues qui véhiculent ces stéréotypes soient retirées de leur école. Les jeunes consultés dans le cadre des travaux du CSF trouvent que plusieurs vidéoclips véhiculent une image dégradante de la femme et jugent l’image des femmes dans les médias souvent dévalorisante. Le CSF voit dans ces jeunes un signe encourageant. Les jeunes PEUVENT développer un esprit critique et refuser les stéréotypes propagés par les médias, mais cela n’est possible que SI ON LEUR EN DONNE L’OCCASION. Et quelle institution mieux que l’école peut fournir cette occasion ?

 Jacques Brodeur, Edupax, organisme à but non lucratif avec expertise en prévention de la violence, éducation aux médias et éducation à la Paix.
Courriel. www.edupax.org.

P.S. On peut consulter l’avis du CSF en ligne : www.csf.gouv.qc.ca et en télécharger le résumé en format word à cette adresse sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 septembre 2008.

Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3078 -