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Israël bafoue impunément le droit international à Gaza

18 janvier 2009

par Élaine Audet

J’ai toujours détesté le mot « impunément ». J’en avais fait un jour le titre d’un projet de roman sur l’histoire d’un viol commis en toute impunité. Depuis une quarantaine d’années, quand j’entends parler des guerres d’invasion et de l’occupation du sol palestinien par Israël, c’est toujours ce mot qui me revient en tête, soulevant en moi révolte, tristesse, et une insupportable sensation d’impuissance.

En effet, que faire face à un État qui se moque complètement des protestations massives partout dans le monde et des innombrables résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU depuis 60 ans ? Cette arrogance d’Israël repose sur le soutien inconditionnel que n’ont jamais cessé de lui apporter les États-Unis, quelle que soit la démesure de sa violation du droit international. Une aide de 30 milliards de dollars, sans compter le ravitaillement maritime constant en armes. Comment des Juifs, qui ont tant souffert au cours de leur histoire, peuvent-ils à leur tour commettre de telles atrocités ?

Quelques points d’histoire

En 1800, la population de la Palestine était juive à 6% environ. En 1947, en tenant compte de la vague d’émigration juive après la Deuxième Guerre mondiale, les Juifs composaient 33% de la population totale, mais n’étaient propriétaires que d’environ 6% du territoire, en dépit de leurs efforts pour acquérir le plus possible de terres des Palestiniens.

En 1947, des leaders nationalistes juifs (sionistes) réussissent à convaincre les puissances occidentales de créer un État juif au Moyen-Orient et les Nations Unies de séparer la Palestine historique entre les juifs et les non juifs. La Résolution 181, votée le 29 novembre 1949, stipule que l’État juif, qui représente 33% de la population, se verrait attribuer 53% du territoire. Quant à l’État palestinien qui compte 67% de la population, il devrait se contenter de 47% du territoire de la Palestine historique. Les Palestiniens rejettent ce plan si manifestement injuste et, pour une fois, Israël respecte une résolution des Nations Unies.

Ce n’était que le début de ce que le peuple palestien appelle "le désastre". L’année suivante, commence, avec l’appui de la Grande-Bretagne et des États-Unis, une série de guerres visant à élargir le territoire d’Israël, laissant les Palestiniens avec 22% du territoire et l’exode d’un nombre croissant de réfugiés. Toutefois, en 1967, après la guerre de 6 jours, le Conseil de sécurité des Nations Unies , conscient de la politique d’expansion d’Israël, condamne l’annexion de Jérusalem ainsi que la colonisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Israël, pour sa part, ignore la résolution des Nations Unies dont la mission, faut-il le rappeler, consiste à sauvegarder la paix et à empêcher que des génocides soient commis. En 2008, avec la construction par Israël d’un mur encerclant la Cisjordanie, l’État hébreu réussit à annexer 10% de plus du territoire, ne laissant que 12% au peuple palestinien (1).

Mensonges par omission

Vingt jours après l’invasion de Gaza, le 27 décembre, par l’armée israélienne, les médias et les politiciens continuent à occulter systématiquement le fait que c’est Israël qui a brisé le cessez-le-feu, le 4 novembre, lorsque ses forces armées ont mené plusieurs attaques qui ont causé la mort de six Palestiniens. Le Hamas n’avait pas tiré de roquettes à partir de Gaza depuis le 19 juin (date du cessez-le-feu), et a seulement recommencé ses tirs lors de l’attaque israélienne.

On feint également d’ignorer que la population de Gaza, d’environ 1,5 million de personnes, vit sous un blocus et dépend du bon vouloir d’Israël qui contrôle l’accès à Gaza et son infrastructure (l’eau, la nourriture, les médicaments, les carburants, les fournitures industrielles, l’électricité, la radio et les fréquences de télévision). En plus, depuis le début de novembre 2008, l’État hébreu censure l’information et empêche les journalistes de se rendre à Gaza. Il se réserve le droit d’intervenir militairement et continue de violer le droit international.

Comment ne pas voir que le but véritable d’Israël n’est manifestement pas d’empêcher les tirs de roquette du Hamas, mais de couper totalement Gaza de la Cisjordanie, afin de rendre à jamais impossible la création d’un État palestinien indépendant ? Quel nom donne-t-on à une telle politique ? Nettoyage ethnique ? Génocide ? Guerre d’extermination ? L’existence du Hamas a, pour un temps, fait l’affaire d’Israël parce qu’il affaiblissait le Fatah d’Arafat et divisait la résistance palestinienne. Israël n’a jamais reconnu les élections remportées par le Hamas démocratiquement, aux dires même de tous les observateurs étrangers. Aujourd’hui, il veut imposer, avec l’appui des États-Unis, la direction de Mahmoud Abbas du Fatah, contre le choix de la population de Gaza, en agitant l’épouvantail terroriste de l’Iran et de la Syrie. Assistons-nous, en ce moment, au premier acte d’une guerre totale au Moyen-Orient, comme certains le prédisent ?

Utilisation d’armes interdites

Israël a reconnu avoir jeté sur Gaza des bombes au phosphore, interdites par les lois internationales. Il utilise également une nouvelle sorte de bombe à fragmentation nommée D.I.M.E. Ce sont deux chirurgiens norvégiens, présents à Gaza, qui ont révélé dans le quotidien français Le Monde et dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet l’utilisation de ces bombes américaines contre Gaza. Selon Israël, de telles armes auraient pour but de limiter les dommages collatéraux !

La fiche technique de la bombe D.I.M.E. explique la gravité des blessures constatées sur les populations civiles : « Les membres sont sectionnés, le corps lacéré par de multiples coupures microscopiques et par une poudre incandescente qui va pénétrer sous la peau, provoquant de terribles brûlures jusqu’aux os, coagulant les vaisseaux sanguins, nécrosant les tissus. Les médecins ne peuvent absolument rien face à cette nécrose rapide et ne peuvent qu’amputer, sans trouver d’éclats qui expliquent les coupures et les brûlures. Sans extraction de métal (2). »

Force disproportionnée et crimes de guerre

Dans la communauté internationale et dans l’histoire du droit, même si on les viole souvent et en toute impunité, on reconnaît depuis longtemps les principes de nécessité et de proportionnalité en ce qui a trait au droit à l’autodéfense. Du 27 décembre au 16 janvier, l’offensive israélienne à Gaza a causé 1097 morts dont 355 enfants et 100 femmes, et blessé plus de 5 000 personnes. Chez les Israéliens, la guerre a fait 13 morts dont 3 civils. Le droit international, tel que consacré dans la quatrième Convention de Genève, interdit un usage de la force qui met en danger les non-combattants - un précepte qui a été maintes fois ignoré impunément par Israël.

Depuis vingt jours, l’armée israélienne multiplie les frappes sur les objectifs civils, sans épargner l’école et le quartier général de l’ONU, ni le chauffeur d’un de ses camions, clairement identifié, qui transportait de l’aide à Gaza, ni les hôpitaux, ni les écoles, ni des bâtiments occupés par les médias. Israël a ainsi détruit d’importantes quantités de vivres destinées à l’aide humanitaire. En plus, une telle violence a forcé des organismes tels que l’Office des travaux et des secours pour les réfugiés palestiniens (UNWRA) et CARE à suspendre leur distribution de vivres et de médicaments.

Dans une lettre ouverte, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), à l’instar du rapporteur spécial des Nations Unies, Richard Falk, et de Louise Arbour, ancienne Haut-Commissaire aux Droits de l’homme, vient d’appeler le Conseil de sécurité à ordonner au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir des investigations sur « les attaques à grande échelle et systématiques de l’armée israélienne dans la bande de Gaza [qui] doivent être qualifiées de crimes de guerre, si ce n’est de crimes contre l’humanité", en raison du "nombre croissant de victimes civiles » (3).

Lutte des femmes pour la paix

Un communiqué d’appui aux Palestiniennes de la Marche mondiale des femmes en France remarque à juste titre que les médias font rarement mention de la situation des femmes palestiniennes dans cette guerre meurtrière. On est bien loin de l’intégration de la lutte pour l’égalité entre les sexes à la lutte anti-impérialiste de libération nationale.

Que ce soit au Québec, au Canada et dans la plupart des pays, on a vu le renforcement de la solidarité entre des Israéliennes et des Palestiniennes, dans diverses organisations communes comme les Femmes en Noir (4), les femmes d’Isha L’Ishla (5), la Commission internationale des femmes (6) et tant d’autres pour s’opposer d’une seule voix à la politique colonialiste d’Israël et à ses frappes destructrices entraînant la mort d’un nombre grandissant de civils sans défense.

Position du gouvernement canadien

"Si quelqu’un tirait des roquettes sur ma maison où mes deux filles dorment chaque soir, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour faire cesser cela", déclare Barak Obama. Et que devraient faire les parents des enfants palestiniens, qui tombent par centaines sous les balles d’une des armées les mieux équipées du monde, qui viole leurs droits et piétine leurs rêves depuis des décennies ? Dire, comme le premier ministre canadien, Stephen Harper, et le chef de l’opposition libérale, Michael Ignatieff, que le Hamas doit cesser d’abord d’agresser Israël, comme condition à l’arrêt des hostilités, équivaut à donner le feu vert à Israël pour dévaster Gaza.

De telles prises de position de nos gouvernants s’appuient sur la prétention de l’équivalence de l’agresseur et de la victime, de l’occupant et du mouvement populaire de résistance. C’est comme si on avait déclaré, du temps de l’occupation en France, que la résistance devait mettre fin à ses attentats pour que l’armée d’occupation allemande cesse ses exactions et rentre tranquillement chez elle !

L’existence même d’un mouvement de résistance palestinien à l’occupation et au blocus d’Israël sert à justifier des crimes qualifiés cyniquement de simples "dommages collatéraux". Il s’agit plutôt d’une guerre d’extermination bien planifiée dans le but de prendre possession du territoire de Gaza, de ses ressources gazières au large des côtes, depuis longtemps convoitées par Israël, et de l’accès si important à l’eau.

Alors que le Nouveau Parti démocratique à Ottawa réclame un cessez-le-feu immédiat, la défense de l’aide humanitaire et le retour au processus de paix, le Bloc québécois exige, en plus, la fin de toutes les violences à l’endroit des populations civiles et la mise sur pied d’une force d’interposition qui veillera à la protection des populations civiles et à l’acheminement de l’aide humanitaire. Il reconnaît que les tirs de roquettes sur le territoire israélien doivent cesser, mais juge nécessaire de dénoncer simultanément la réplique disproportionnée et inacceptable de l’armée israélienne.

L’urgence d’agir

Il faut renforcer la pression diplomatique conjointement à celle de l’opinion publique, multiplier les sanctions, menacer de rompre les accords et les relations économiques avec l’envahisseur, cesser toute relation économique avec Israël. Sanctionner Israël pour ses constantes violations des résolutions de l’ONU pour la paix et le cessez-le-feu en invoquant le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. C’est ce que Naomi Klein appelle le BDS, une campagne "Boycott, Désinvestissement, Sanctions", semblable à celle qu’on a appliquée à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid (7).

La nouvelle administration américaine pourrait forcer l’armée colonialiste d’Israël à cesser le feu et à négocier réellement l’établissement de deux États indépendants sur le territoire palestinien. Et, comme le dit si justement Maria Mourani (8), députée du Bloc québécois : « Un règlement pacifique du conflit passe par la fin de l’occupation militaire israélienne et la fin des colonies en territoire occupé, un règlement satisfaisant pour toutes les parties, tant de la question de l’annexion de Jérusalem-Est que de celle des réfugiés, ainsi qu’un règlement global qui reconnaît à Israël le droit d’exister à l’intérieur de frontières sûres et reconnues tout en assurant la création d’un État palestinien indépendant, digne et viable. »

Notes

1. Canadians for Justice and Peace in Middle East (CJPME).
2. Le Monde
3. Le Monde et Le Figaro.
4. Femmes en noir
5. Les femmes d’Isha L’Ishla
6. Commission internationale des femmes
7. Naomi Klein, "Boycott, Divest, Sanction Israel", The Nation, 7 janvier 2009.
8. Maria Mourani, "Gaza : Israël devrait prendre l’initiative d’un cessez-le-feu", Vigile, 13 janvier 2009.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 janvier 2009

Élaine Audet

P.S.

Des liens à consulter sur la situation à Gaza

  • "La situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967", par Richard Falk, Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens. Introduction et téléchargement à cette page.
  • "L’Union Juive Française pour la Paix dénonce l’attaque contre Gaza", Sisyphe, 27 décembre 2008.
  • "Les muscles d’Israël", par François Brousseau, Le Devoir, 29 décembre 2008.
  • "Dissidences israéliennes", par François Brousseau, Le Devoir, le 5 janvier 2009.
  • "Israël ne se défend pas, il extermine avec la complicité du gouvernement canadien", par Lorraine Guay, Le Devoir, 31 décembre 2008.
  • "Israël est l’agresseur", par Rachad Antonius, La Presse, 1er janvier 2009.
  • Israël face à la conscience des peuples, par Uri Avnery. 11 janvier 2009.
  • Comprendre ce qu’est le Hamas, par William Sieghart, 2 janvier 2009.


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