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La photo de Cathy Gauthier - Voir la femme qui souffre

21 janvier 2009

par Lucie Poirier

Des gens réclament la médiatisation de la photo de Cathy Gauthier sous prétexte que l’on divulgue la photo des hommes qui tuent leur famille. On compare un suicide avec un famillicide. Dans les cas de famillicides, majoritairement perpétrés par des hommes, le père tue sa femme et ses enfants, la femme ne veut pas mourir, elle est tuée. Dans le cas de Cathy Gauthier, son conjoint voulait mourir avec elle et leurs enfants. Il ne s’agit pas d’un contrôle qui finit par un meurtre mais d’un désespoir qui mène à un suicide.

Il y a des différences entre voyeurisme, sensationnalisme, ostracisme et compréhension, compassion, commisération. Il est facile de déclarer que les gens doivent demander de l’aide mais une enquête révélerait l’absence de ressources pour les personnes découragées ; ainsi, il y a des délais de plusieurs mois dans un CLSC pour un suivi psychologique. Étonnamment, les médias n’ont pas relevé la déficience de services pour les suicidaires. Notre mentalité les condamne peut-être d’avance et les personnes désespérées se chargent de s’exécuter elles-mêmes. Le sort d’un individu est parfois symbolique de l’oppression d’une société.

La photo de Cathy Gauthier ne contribuera pas à protéger la société ; elle n’est pas Karla Homolka, ni Isabelle Blain, dont on a montré la photo. Pourquoi Madame Gauthier a-t-elle fait à d’autres ce qu’elle s’est fait à elle-même ? Parce qu’elle ne croyait plus qu’il pouvait encore arriver des choses positives à sa famille ? Parce qu’elle était persuadée qu’elle évitait à d’autres des souffrances intolérables ? Parce qu’elle était convaincue de l’impossibilité de moments de répit parfois ? Parce qu’elle avait appris que dans notre société individualiste un individu ne vaut que ce qu’il a comme revenu ? Parce qu’elle avait constaté qu’on est plus prompt à juger qu’à aider ?

On a reproché à un gardien de s’être placé la main devant l’objectif d’une caméra lorsque Madame Gauthier est allée à la cour ; il existe encore des gens pour protéger la dignité d’une femme atterrée au lieu de l’exhiber. Même si nous sommes sous le règne de l’image, de l’apparence, il ne m’est pas nécessaire de voir la photo de Cathy Gauthier, j’ai besoin de savoir qu’on entreprend de mettre fin aux préjugés quand il s’agit de santé mentale, de dépression, de pauvreté. D’ailleurs, je sais à quoi elle ressemble ; elle a l’air d’une femme accablée, ravagée par la douleur, elle a l’air de ce qu’elle est, une femme malheureuse.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 janvier 2009

Lucie Poirier


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