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Journée internationale des femmes 2009
Une belle dame de 85 ans qui aimerait vivre une autre révolution

8 mars 2009

par Diane Guilbault, collaboratrice de Sisyphe

Le 8 mars est la Journée internationale des femmes (1). Cette journée sert à rappeler et à célébrer les luttes qui ont été menées par plusieurs femmes pour le mieux-être des autres femmes. Je suis fière d’être la fille de l’une des ces battantes : France Guilbault, née Julien. Dans ces deux noms, un peu de notre histoire …et beaucoup d’histoires !

Née en 1923, dernière-née de sa famille et orpheline de père à 12 ans, ma mère a un itinéraire à la fois typique et atypique. Elle a été la secrétaire du poète Alain Grandbois, après avoir travaillé dans un cabinet d’avocats à Montréal alors qu’elle n’avait que 17 ans. Puis, jusqu’à son mariage, à 27 ans (une cause désespérée à l’époque !), elle a travaillé pour divers ministères à Québec.

Ma mère a eu quatre filles et un garçon qui sont venus s’ajouter à la fille que mon père avait eue avec sa première femme décédée très jeune. Notre maison était un véritable gynécée au sommet duquel veillait ma mère. Avant même que l’expression ne soit inventée, ma mère jouait de la conciliation travail-famille en experte, avec ingéniosité et aussi grâce à un ingrédient essentiel, mais assez rare en 1960 : le soutien de son mari.

Elle était une bénévole très active en santé mentale. Elle visitait et accompagnait des patients et des patientes de l’Hôpital St-Michel Archange (aujourd’hui Robert-Giffard) et en invitait régulièrement à la maison pour partager avec nous le repas du dimanche soir. Je ne sais pas d’où lui est venu cet intérêt pour la maladie mentale et la solitude qui l’accompagne, mais encore aujourd’hui, elle reste l’oreille bienveillante de plusieurs personnes.

France et Diane en vacances

En 1975, décrétée Année internationale des femmes par l’ONU, elle a poussé son engagement un cran plus loin en fondant le premier Centre Femmes de Québec. Parler des droits des femmes à ce moment était le privilège des Casgrain, Bird, Kirkland, Payette. Pour les femmes de sa génération, ce discours équivalait à faire, aux yeux des hommes de leur âge, une véritable déclaration d’indépendance !

Le Centre Femmes de Québec a d’abord écouté les nombreuses femmes de tout âge, brisées par la solitude, la pauvreté, ou déroutées par les nouvelles exigences posées par une société en profonde mutation. Puis, rapidement, on y a offert des formations pour que ces femmes puissent prendre leur envol. La violence conjugale n’était pas encore nommée, mais elle existait, et le Centre Femmes a aussi commencé à offrir des services d’hébergement, avec le YWCA qui abritait alors ses locaux.

Les bénévoles du Centre Femmes de Québec – car on l’oublie souvent, ces services n’auraient pu voir le jour sans le bénévolat intense et de longue durée de femmes convaincues – ont permis à des centaines de femmes de trouver leur voie, d’apprendre à écouter leur voix. En 2009, il est difficile d’imaginer ce que cela représentait de révolutionnaire pour l’époque, mais les femmes comme ma mère ont véritablement été celles qui ont dû ramer à contre-courant de tout ce qu’on leur avait enseigné : la soumission, la coquetterie comme arme de séduction obligatoire, le silence. Ma mère a été capable de franchir ces barrières par la parole, par sa volonté, sans jamais faire la guerre à qui que ce soit. Elle a su se trouver des alliées, des amies comme Marcelle Picard, co-fondatrice du Centre Femmes, et ensemble elles ont construit. Et qu’est-ce qu’elles ont ri !!!! Car ma mère est une comique qui s’ignore. Son sens de la répartie lui a ouvert bien des portes même si, en même temps, certain-es ont dû pincer les lèvres devant tant d’audace. Nous, ses filles, nous n’avons pas hérité de son sens de la répartie, mais elle nous a vaccinées contre l’indifférence. Elle nous a encouragées à nous engager, prêchant essentiellement par l’exemple. Mais son engagement était très discret. Nous connaissions ses principales activités en santé mentale et pour le Centre Femmes, mais elle a beaucoup travaillé dans l’ombre. Sans doute parce que selon elle, donner, ce n’est pas avant tout une occasion de se montrer ni de recevoir un reçu d’impôt !

Je suis toujours décontenancée par ces histoires de rivalité mère-fille qui me sont étrangères. Ma mère ne s’est jamais posée ni en modèle, ni en adversaire. Au contraire, elle a tout fait pour que nous soyons convaincues que nous n’avions pas besoin de nous taire pour être belles, pour que nous soyons maîtresses de notre destin. Des échanges acrimonieux, il y en a eu bien évidemment, mais avec la maturité, je vois ces antagonismes comme une preuve de sa capacité à nous laisser déployer nos ailes.

Ma mère a accueilli les amours de ses enfants avec chaleur et empathie. Plusieurs fois grand-mère, elle suit les aventures de ses petits-enfants par internet quand ils sont au loin et elle continue de s’intéresser au monde qui bouge de plus en plus vite, non seulement grâce à eux, mais avec eux.

Aujourd’hui, ma mère est une belle dame de 85 ans, toujours aussi vive d’esprit, mais qui voudrait bien vivre une autre révolution, celle qui permettra de parler des vieilles sans que ce soit méprisant, avec respect, une révolution où les grands-mères et arrière-grands-mères ne seront plus infantilisées, mais traitées en égales. Les résidences de personnes âgées et les CHSLD sont des lieux où vivent surtout des dames octogénaires et nonagénaires. C’est sans doute pourquoi ces établissements n’obtiennent pas l’attention équivalente à celle qu’on porte aux urgences des hôpitaux. Notre société fait des femmes âgées des personnes invisibles. Et ça, ma mère ne l’accepte toujours pas. Elle continue de se battre, mais à son âge, on se sent bien vulnérable. Moi qui me rêve en mémée déchaînée (2), je peux témoigner qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Veuve et en résidence depuis quelques années, ma mère n’a de cesse de chercher des moyens de convaincre les gestionnaires d’apporter des améliorations pour l’ensemble des résident-es, mais que faire sans risquer d’être éventuellement soumise à toutes sortes de petites représailles ? Pour se garder l’esprit alerte, elle suit les différents cours offerts aux aîné-es par la commission scolaire. Mais on lui a refusé son diplôme – en fait un simple certificat confirmant qu’elle a suivi le cours - sous prétexte que son nom actuel n’était pas le même que celui apparaissant sur son certificat de baptême... Ce serait triste si ce n’était la manière dont elle rapporte cette anecdote. On a alors envie de plaindre bien davantage la commission scolaire que ma mère !

Les médias se creusent toujours la tête pour trouver quoi dire chaque 8 mars. Qu’ils aillent donc rencontrer des femmes comme ma mère : ils comprendront peut-être pourquoi cette Journée existe et pourquoi on doit continuer de la souligner.

En attendant, bonne Journée internationale des femmes, chère maman.

Notes

1. Et non de LA femme, quoi qu’en disent les instances fédérales et onusiennes.
2. L’équivalent des Raging Grannies, un groupe militant de femmes âgées.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 mars 2009

Diane Guilbault, collaboratrice de Sisyphe


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