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Mères immigrantes africaines - S’opposer aux coutumes discriminatoires

17 avril 2009

par Ghislaine Sathoud, écrivaine et militante

Entre rébellion et soumission, entre espoir et désolation, les Africaines se lancent à la conquête de leurs droits. Cette initiative – très controversée – est la pomme de discorde entre les défenseurs d’un certain libéralisme qui prônent la fin des violences injustifiées à l’égard des femmes et les partisans d’un conservatisme intransigeant qui affichent ouvertement leurs velléités machistes, valorisent les discriminations sexistes et applaudissent certaines traditions, bien qu’elles privent les femmes de leurs droits les plus élémentaires.

Dans un tel contexte, faut-il le rappeler, les militantes pour les droits humains doivent intensifier la lutte afin d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Enfin, et c’est le plus important, malgré la controverse entourant les luttes des femmes, avec un courage exemplaire, les militantes refusent de jeter l’éponge, poursuivent leurs revendications, participent et s’engagent dans diverses initiatives visant à lutter contre la marginalisation des femmes.

Cela dit, ne nous leurrons pas, il y a lieu de rappeler que certaines femmes, soit inconsciemment, soit pour des intérêts personnels, se désolidarisent du combat collectif, perpétuent des pratiques inappropriées du point de vue des luttes féministes.

Le point le plus important à retenir, dans quelques cas de violation des droits femmes - et c’est là un paradoxe qui devrait interpeller la gente féminine, - c’est que ce sont malheureusement des femmes qui imposent ces coutumes discriminatoires à leurs congénères. Par exemple, au Congo-Brazzaville, concernant les rites du veuvage, la belle-famille fait subir une maltraitance criminelle à la veuve et à ses enfants. Ces brutalités persistent malgré le fait que le code de la famille énonce les procédures à suivre pour le partage du patrimoine familial.

En fait, quand le droit coutumier se confronte au droit civil, dans la majorité des cas, le premier prime sur l’autre. Pour dire les choses clairement, dans la pratique des rites du veuvage, les valeurs humaines sont bafouées. De ce fait, les exigences coutumières sont réellement dommageables pour l’estime personnelle des veuves. Donc, une fois encore, ces châtiments vont à l’encontre des droits humains. Ces pratiques nuisibles fragilisent la santé mentale et la santé physique des victimes. Nombreuses sont les veuves qui subissent durant de longues années un harcèlement psychologique de la part de la belle-famille. Et cette pratique très courante remonte à des temps immémoriaux. Elle reste encore valable de nos jours !

Pour combattre ce phénomène et éradiquer ces violences ignobles, il faut déconstruire les mythes, s’opposer à la culture de résignation. Les veuves devraient refuser de subir un tel traitement. Ironiquement, selon les coutumes, comme nous le disions déjà, ce sont des femmes qui infligent des sévices aux veuves : durant le deuil, les belles-sœurs participent à ce complot contre l’émancipation de la femme. Les femmes sont les exécutantes d’une culture patriarcale qui les dessert. Les hommes n’interviennent qu’à la fin du processus pour expulser la veuve et les orphelins du domicile familial. Un constat s’impose : les blessures psychologiques des victimes restent indélébiles.

Dans quelques cas exceptionnels, les victimes refusent de se soumettre aux normes coutumières. En bravant les interdits, ces vaillantes veuves contribuent remarquablement au combat des femmes ! Alors, il faut une sensibilisation à large échelle, s’engager formellement pour encourager une désobéissance générale.

Il faut souligner que les traditions accordent aux femmes enceintes le privilège de bénéficier de divers apports pendant la grossesse et après l’accouchement. Cette solidarité apporte un confort inestimable à la mère pour réussir la conciliation de ses activités habituelles avec l’arrivée du nouveau-né. Par contre, concernant l’accouchement, les coutumes sont drastiques : la douleur est présentée comme une épreuve éliminatoire ; seulement les « mères méritantes », c’est-à-dire celles qui remportent la bataille, celles qui accouchent naturellement, reçoivent les « honneurs ».

Autre contexte, autres réalités : contrairement à leurs consœurs installées sur la terre de leurs ancêtres, les Africaines établies dans les sociétés occidentales ne peuvent pas profiter de la merveilleuse coutume qui consiste à instruire la mère sur la maternité. Ce changement entraîne d’innombrables conséquences.

Effectivement, l’immigration apporte des changements radicaux à tous les niveaux. Aussi, la collaboration du partenaire est de plus en plus souhaitée, notamment pour meubler la solitude causée par la perte du réseau social. Or, selon les usages ancestraux en Afrique, les hommes ne s’impliquent ni dans les tâches ménagères, ni dans les soins des enfants, ni même pour soutenir affectivement la compagne pendant l’accouchement. Là-bas, le contexte est différent : l’assistance de la famille est telle que les femmes ne réalisent pas l’ampleur des responsabilités assumées. Elles remplissent convenablement leurs devoirs avec en bonus les ressources humaines, psychologiques et matérielles mises à leur disposition.

La présence des proches est une arme puissante qui apporte du tonus aux femmes au point d’alléger le fardeau des charges domestiques et de masquer les carences affectives… Loin de l’environnement habituel, la perte de ce soutien devient une obsédante difficulté tant du point de vue organisationnel que moral. Et le besoin de combler ce vide se fait cruellement sentir.

Cependant, une grande question demeure : adopter de nouvelles habitudes pour faciliter le bon fonctionnement de la famille, est-ce renier sa culture d’origine ?

Les femmes enceintes subissent toutes sortes de violences, surtout celles qui ont une mobilité réduite à cause des manifestations liées à la grossesse.

En tout cas, des témoignages probants démontrent que la perte du soutien familial est vécue comme une véritable amputation. Plusieurs immigrantes sont déprimées après l’accouchement.
Le fait de vivre sous d’autres cieux change inévitablement les habitudes des Africaines face à la maternité, solitude oblige !

En effet, si la maternité fait couler de l’encre dans le monde, pour les Africaines, d’une manière générale, elle est fortement encouragée. La maternité n’est pas une question individuelle, elle est une question collective. Et du point de vue des coutumes, la famille du mari jouit de prérogatives exceptionnelles, entre autres, elle bénéficie du droit de réclamer des prétendus « héritiers ». À cet égard, la mariée subit des menaces. Il faut préciser que les coutumes sont variables d’une région à l’autre en Afrique. Mais, d’une manière générale, la maternité n’est pas un choix ; elle est carrément une obligation, un acte incontournable pour se mettre à l’abri des pressions, pour tenter de surmonter l’hostilité publique.

De plus, toute suspicion de stérilité vise particulièrement la femme. Il en est d’ailleurs de même pour le sexe du nourrisson. Nul besoin de rappeler que les filles sont accueillies froidement.

Quoi qu’il en soit, il faut redonner aux femmes des espaces de dignité et de liberté. Leur liberté est confisquée et, la plupart du temps, elles n’ont que des obligations : obligation de se marier pour « honorer » la famille, obligation de se soumettre à l’autorité du mari, obligation d’avoir une progéniture…

La maternité ? Elle donne une panoplie d’informations sur la condition de la femme dans nos contrées. Dans ma culture d’origine, l’accouchement est perçu comme une démonstration de force et d’endurance. Quelquefois, il est assimilé à un jour de gloire. Enfin, jour de gloire si et seulement si la mère sort « victorieuse » de cette expérience. Sortir victorieuse, dans ce cas-ci, revêt diverses significations : cela peut signifier rester saine et sauve malgré le délabrement des hôpitaux ou encore respecter toutes les croyances sur l’accouchement.

Par le biais de la maternité, on véhicule des messages, tous plus effarants les uns que les autres, qui contribuent à raviver les préjugés et à renforcer les discriminations à l’égard des femmes.
Les instructions sont draconiennes : il faut faire montre de courage, affronter dignement la douleur. Outre cela, des histoires révoltantes et inimaginables circulent au sujet de la césarienne, qui serait une « sanction » subie par les femmes fainéantes, une punition pour les faibles incapables « d’affronter » dignement les contractions pour expulser le bébé. Et toutes les interventions pour secourir le bébé prennent une connotation péjorative en défaveur de la mère.

Franchement, cette vision réductrice de la maternité est une violence à l’égard des femmes, comme il en existe tant. Et selon de fortes croyances savamment entretenues dans la société, y compris par les femmes elles-mêmes, il faut endurer la douleur pour accoucher.

L’épidurale ? Les Africaines ne devraient pas recourir à cette assistance médicalisée qui consiste à apaiser la douleur durant l’accouchement. Il apparaît clairement que ce geste profane les valeurs traditionnelles qui prônent la bravoure. Et, comme d’habitude, les rumeurs persistent, et ceux et celles qui les alimentent ne tiennent pas du tout compte des urgences médicales qui exigent parfois l’application de telle méthode plutôt que telle autre.

Faut-il négliger une femme en danger pour l’obliger à démontrer ses grandes aptitudes en matière d’endurance ? Quelle attitude adopter en face d’une souffrance fœtale ? Ne serait-il pas judicieux de laisser les femmes concernées prendre les décisions appropriées à leur situation ?

Voilà des pistes de réflexion qui pourraient aider à faire des choix judicieux.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 avril 2009

Ghislaine Sathoud, écrivaine et militante


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