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Québec - Il y a 25 ans, Denis Lortie tirait sur des employés de l’Assemblée nationale

8 mai 2009

par Richard Poulin et Yanick Dulong

Il y a 25 ans, Denis Lortie, qui n’était pas "un tueur fou" selon le cliché médiatique que Marc Laurendeau a à nouveau employé à Radio-Canada, ce matin, se présentait à l’Assemblée nationale du Québec dans l’intention de tuer le premier ministre et les député-es.



Le matin du 8 mai 1984, Denis Lortie se présente à l’Assemblée nationale, vêtu d’une tenue de commando et armé d’une mitraillette et de grenades. Son but reste néanmoins d’anéantir le Gouvernement du Québec, dirigé à l’époque par le Parti québécois, un parti souverainiste. Lortie estime que ce gouvernement constitue la cause de tous les maux des francophones, victimes des préjugés et discriminations de la part des anglophones canadiens.

Lorsqu’il pénètre dans le Salon bleu, lieu des travaux parlementaires, les membres de l’Assemblée nationale n’y sont pas. Lortie est arrivé trop tôt, ce qui ne manque pas de l’enrager. Il prend alors place dans le fauteuil réservé au président de l’Assemblée nationale et se met à tirer dans toutes les directions. Le tireur ne cesse de se plaindre d’être arrivé en avance et se met à paniquer au point de jeter sa prothèse dentaire sur le sol. Il tire ensuite une rafale de balles sur les bancs réservés à la députation, en particulier celui du Premier ministre René Lévesque.

L’entrée du Sergent d’armes, René Jalbert, interrompt la scène. L’homme s’approche doucement de Lortie, s’identifie et commence à discuter avec lui. Vouant un profond respect aux militaires de grade supérieur, Lortie accepte de dialoguer avec Jalbert. Ce dernier le convainc de libérer les otages prisonniers dans la salle. Au début de l’après-midi, Lortie finit par se rendre aux autorités. La fusillade à l’Assemblée nationale du Québec a fait 3 morts et 13 blessés, mais aucun député ne figurait parmi les victimes. Lortie a fait feu sur des personnes d’origine sociale plutôt modeste, des messagers et des pages affairés à préparer la salle avant la reprise des travaux parlementaires.

Denis Lortie s’élève au rang de « justicier » en affirmant son intention de libérer tous les Québécois du joug du gouvernement. La quête du pouvoir transparaît dans ses faits et gestes.

D’abord, le geste d’occuper le siège destiné au président de l’Assemblée et, ensuite, cette remarque adressée à la secrétaire du Sergent d’armes,
Jalbert : « Si vous rencontrez des gardes sur votre chemin, dites-leur que Denis vous autorise à passer » (Fournier, 1996 : 38). Cette recherche de pouvoir s’inscrit dans les scénarios valorisés et attendus de la masculinité et de la virilité au sein de la société patriarcale. Aucune femme ne pose des gestes comme ceux de Lortie.

Le lieu de la tuerie rend l’incident encore plus troublant, car le geste est posé dans un milieu où l’on tente de résoudre les différends par le dialogue et la négociation pacifique, et non par la violence.

En France, Richard Durn a ouvert le feu sur des membres d’une assemblée municipale à l’Hôtel de Ville de Nanterre en 2002. Le tueur n’acceptait pas que l’on ait refusé sa demande d’un logement social. Ce qui frappe le plus dans l’événement, c’est que le tueur, un militant, s’est attaqué à des élus de la gauche, des personnes aux allégeances politiques similaires aux siennes (Guilloteau, 2002).

La dynamique sociale, politique et masculine, domine également dans les meurtres de masse en milieu de travail. Dans ce type de tuerie, on trouve très peu de victimes parmi les femmes ou les enfants. Les meurtres en milieu de travail ont souvent lieu dans des zones industrielles, tels
des usines, des centres postaux ou des chantiers de construction où des hommes constituent la majeure partie des employés et des superviseurs.
On constate que 17% des tueurs masculins ont ciblé des gens de ce milieu tandis qu’une seule femme s’en est prise à ses superviseurs et collègues
de travail (...)

***

Quand un tueur s’attaque aux personnes qui représentent les institutions politiques, la misogynie sexiste n’est jamais loin : « Vous voulez avoir la libération de la femme, vous l’avez : payez pour ! », a vociféré Denis Lortie à l’une de ses otages à l’Assemblée nationale du Québec
(Fournier, 1996 : 32).

La violence du meurtrier en série et de masse constitue une mise en valeur de soi-même, une manifestation de sa puissance égotique. Certains tueurs déclarent être de simples instruments de forces supérieures qui leur ordonnent de lutter contre les « fléaux sociaux » qu’ils associent aux
prostituées, aux homosexuels, aux féministes ou encore aux groupes ethniques et aux minorités nationales. Ils s’attaquent à des individus de ces groupes pour les remettre à leur place, pour leur montrer qui doit régner, qui doit se soumettre. Le choix de leurs victimes n’est donc pas aléatoire.

La violence des tueurs en série et de masse s’exerce [principalement] à l’encontre des êtres dominés, des groupes sociaux discriminés, particulièrement dans les moments où ceux-ci contestent les différentes formes de domination, qu’elles soient interpersonnelles1 ou collectives. Cette violence constitue la marque d’une volonté de domination ultime.

Les discours qui installent la violence du côté de la seule psychologie des criminels et qui, par le fait même, délaissent leurs victimes n’ont pas à
s’intéresser aux significations sociales, politiques, sexuelles et racistes des violences. En outre, ils transforment les coupables en victimes d’une
enfance malheureuse, d’une mère dominatrice, etc. Enfin, ils refusent de nommer cette violence qui est masculine ; de ce fait, ils l’occultent.
Qu’elle soit dirigée explicitement contre les femmes et les êtres féminisés ou non, une telle violence représente fondamentalement une expression de la virilité.

Autres exemples et analyses dans le livre Les meurtres en série et de masse, dynamique sociale et politique.

 Extraits du livre de Richard Poulin et Yanick Dulong, Les meurtres en série et de masse, dynamique sociale et politique, Montréal, 2009, Sisyphe, coll. Contrepoint, format 10 cm x 15 cm, 128 p. ISBN : 9782923456126. Prix en librairie : 12$. Par la poste : ajouter 2$ pour frais d’expédition. Les éditions Sisyphe, 4005, rue des Érables, Montréal, Québec, H2K 3V7, 514-374-5846 - sisyphe@globetrotter.net

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    Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 mai 2009

    Richard Poulin et Yanick Dulong


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