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Opinion d’un juriste sur la position de la FFQ contre l’interdiction de symboles religieux dans les services publics
27 mai 2009
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L’avocat et docteur en droit constitutionnel, Alain-Robert Nadeau, commente l’actualité juridique dans Droit-inc.com. Dans quatre articles, sous le titre général « Du voile à la polygamie »*, il s’intéresse cette semaine à la position de la Fédération des femmes du Québec, que la ministre St-Pierre et le premier ministre ont endossée, à l’encontre de l’avis du Conseil du statut de la femme qui s’était prononcé contre les symboles religieux dans des fonctions publiques, rappelle le juriste.
« Avec la révolution tranquille, écrit-il, les Québécois se sont graduellement affranchis de deux étreintes fondamentales si intimement liées qu’il était presque impossible de les dissocier : le duplessisme et la religion. Voilà que les revendications de certaines franges fondamentalistes de groupes religieux semblent remettre en question le principe sacré – consacré par la Constitution américaine (1789) et par la Déclaration des droits de l’homme (1789) – de la séparation de l’Église et de l’État.
« À l’exception peut-être de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles (la commission Taylor-Bouchard), le gouvernement du Québec ne s’est peu ou prou intéressé à cette question plus large qu’est la place de la religion dans l’espace public québécois. Il a préféré s’abstenir d’adopter une politique à ce sujet afin d’éviter de déplaire à son électorat. Pourtant, l’importance que la société québécoise accorde à la tolérance ou, encore, à la nécessité de ne pas entraver l’intégration des minorités culturelles ne saurait faire obstacle à une affirmation politique claire au sujet de la place de la religion dans l’espace public québécois. À ses risques et périls, si je puis dire, le gouvernement préfère laisser les tribunaux trancher les questions. »
Mentionnant la position de la Cour suprême sur la liberté de religion, il cite les arrêts Big M Drug Mart (1985), Simpsons-Sears (1985), Amselem (2004) et Multani (2006), dans lesquels elle a défini un principe judiciaire fondé sur « la croyance sincère ». Mais ce principe, dit l’avocat, « n’appréhende qu’une partie de la réalité et ne tient pas compte de la question essentielle, soit qu’elle est la place que doit occuper la religion dans l’espace public québécois. » ( « Du voile à la polygamie - 1. Les principes judiciaires » (26 mai 2009).
Dans un second article, Alain-Robert Nadeau examine les cas du kirpan et du voile islamique. La Cour suprême avait statué en 2006 qu’un élève pouvait porter le kirpan à l’école, au nom de la liberté de religion, et qu’il était peu probable qu’il s’en serve comme d’une arme. Pour Alain-Robert Nadeau, « la Cour suprême a ainsi évacué la question – particulière au kirpan – de la sécurité mais aussi celle de son symbolisme. Le kirpan est un symbole religieux qui symbolise la résistance au mal ; il montrerait la détermination à défendre la foi sikhe et à se défendre pour ce que l’on croit. » Et il cite un exemple, non mentionné dans le jugement de la Cour suprême, dans lequel un sikhe a fait usage d’un kirpan lors d’un acte terroriste pour détourner un avion en voulant « promouvoir l’établissement de sa patrie sikhe ».
Quant au voile islamique dans les services publics, l’avocat met en évidence sa signification politique, en s’appuyant sur un article de Juliette Minces (Arguments, 2006), auteure de La femme voilée(1990), qui explique que le voile n’est pas à l’origine un « attribut religieux », mais un symbole politique : « (...) la musulmane, dit J. Minces, n’est pas censée porter le voile par rapport à Dieu (comme les chrétiennes qui se couvrent les cheveux lorsqu’elles se rendent à l’Église, ou les juifs la kippas, par exemple), mais par rapport aux hommes. (...) En fait, le voilement des femmes provient de toute une conception de la femme, des représentations que l’on en a et qui exigent qu’un contrôle permanent soit exercé sur elles. »
L’avocat Alain-Robert Nadeau conclut : « Ainsi, on le constate aisément, tant le port du kirpan que le voilement des femmes – et cela sans compter le fait que cette permissivité engendrera certainement d’autres demandes contraires aux valeurs québécoises (exemption de certains cours, cours séparés, locaux de prières, etc.) – n’est que la première étape de l’établissement de valeurs contraires aux valeurs communes de la société québécoises. » (2. « Le kirpan et le voilement des femmes » (27 mai 2009).
(...)
« Pourtant, notamment en raison du fait que le Québec est une société qui se caractérise par son libéralisme, son ouverture et sa tolérance, il est indispensable que le gouvernement et l’Assemblée nationale du Québec se dotent d’une politique claire au sujet de la place de la religion dans l’espace public. La politique de la République française et celle des États-Unis d’Amérique ne souffrent d’aucune ambiguïté. Ainsi devrait aussi être celle du gouvernement du Québec. À vrai dire, le temps des choix est arrivé.
« Le pluralisme de la société québécoise et l’intégration des immigrants nécessitent une affirmation sans ambiguïté de la séparation de l’Église et de l’État.
« Pis encore, la société de droit qu’est le Québec exige une réaffirmation des valeurs fondamentales de la société québécoise – lesquelles sont consacrées dans la Charte des droits et libertés de la personne –, dont notamment l’égalité entre les hommes et les femmes. » ("Le temps des choix", 29 mai 2009)
* « Du voile à la polygamie », dans Droit-Inc.com
– Lire aussi :
"Les tribunaux religieux et la polygamie", le 28 mai 2009. "Le temps des choix", le 29 mai 2009. Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 mai 2009
P.S.
Position de Sisyphe
« Pour une Charte de la laïcité au Québec », texte écrit par Élaine Audet, Micheline Carrier et Diane Guilbault, et co-signé par plus de 400 citoyens et citoyennes. Vous pouvez vous aussi signer ce texte en ligne.