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Commentaire
La guerre faite aux femmes au Congo14 juin 2009
par
Note de la rédaction : Eve Ensler est l’auteure de la pièce « Les Monologues du vagin » et la fondatrice de V-Day, mouvement international visant à mettre un terme à la violence contre les femmes et les filles. V-Day a financé plus de 10 000 programmes contre la violence mis en oeuvre avec la participation d’organisations locales et a créé des maisons d’hébergement en République démocratique du Congo, en Haïti, au Kenya, dans le Dakota du Sud, en Égypte et en Iraq. Le présent commentaire a été conçu à partir des observations que Mme Ensler a présentées le mercredi 13 mai 2009 au sous-comité sénatorial sur les relations étrangères (affaires africaines) et au sous-comité sur les activités et les organisations internationales, les droits de la personne, la démocratie et les questions relatives aux femmes dans le monde. (CNN) Selon la dramaturge Eve Ensler, la guerre civile au Congo fait des ravages terribles parmi les femmes et les filles. Traduction française pour Sisyphe : France Dombrowski.
_________________ (CNN) – J’écris aujourd’hui au nom d’innombrables activistes de V-Day partout dans le monde et en solidarité avec mes nombreux frères et sœurs congolais-es, qui demandent justice et la fin des viols et de la guerre.
J’ai espoir que ces mots et ceux des autres rompront le silence et déclencheront une vague d’actions visant à faire progresser les femmes congolaises vers la paix, la sécurité et la liberté.Ma pièce, « Les Monologues du vagin », m’a ouvert les yeux sur le monde dans ce monde. Partout où cette pièce m’a amenée, un grand nombre de femmes faisaient la queue pour me raconter le viol, l’inceste, la volée de coups, les mutilations dont elles avaient été victimes. C’est la raison pour laquelle, il y a 11 ans, nous avons lancé V-Day, mouvement d’envergure mondiale visant à mettre un terme à la violence contre les femmes et les filles.
Le mouvement s’est répandu comme une traînée de poudre dans 130 pays, recueillant 70 millions de dollars. J’ai visité et revisité les régions du monde minées par le viol, des zones d’hostilités définies publiquement comme la Bosnie, l’Afghanistan et Haïti aux champs de bataille privés dans les collèges et les collectivités, partout en Amérique du Nord, en Europe et dans le monde. Ma boîte de réception (et mon cœur) s’est encombrée d’histoires vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pendant plus d’une décennie.
Rien de ce que j’ai entendu ou vu ne se compare à ce qui se passe en République démocratique du Congo, où l’avidité des entreprises, nourrie par la consommation capitaliste, et le viol des femmes ont fusionné en un seul et unique cauchemar. Le féminicide, la destruction systématique et planifiée de la population féminine, est utilisé comme tactique de guerre pour faire disparaître des villages, piller des mines et saper les bases mêmes de la société congolaise.
En douze ans, six millions d’hommes et de femmes sont morts au Congo et 1,4 million de personnes ont été déplacées. Des centaines et des milliers de femmes et de filles ont été violées et torturées. Des bébés n’ayant que de six mois, des femmes ayant jusqu’à 80 ans, leurs entrailles déchirées. Les événements dont j’ai été témoin au Congo m’ont anéantie et changée à tout jamais. Je ne serai plus jamais la même. Aucun-e d’entre nous ne devrait jamais être le ou la même.
Je pense à Béatrice, qui a reçu une balle dans le vagin et qui a maintenant des tubes à la place des organes. À Honorata, violée par des gangs pendant qu’elle était attachée la tête en bas à une roue. À Noëlla, qui est mon amour - une fillette de huit ans qui a été détenue deux semaines tandis que des groupes d’hommes adultes la violaient encore et encore. Elle a maintenant une fistule, ce qui fait qu’elle urine et défèque sur elle-même. Elle vit dans l’humiliation.
J’étais en Bosnie durant la guerre en 1994 lorsque des camps de viols, où des femmes blanches étaient violées, ont été découverts. En moins de deux ans, la communauté internationale est intervenue de façon appropriée. Pourtant, au Congo, le féminicide se poursuit depuis douze ans. Pourquoi ? Le coltan, minerai sans lequel nos téléphones cellulaires et nos ordinateurs ne sauraient fonctionner, serait-il plus important que les filles congolaises ?
Est-ce du racisme pur et simple, l’indifférence et le mépris total du monde à l’égard des personnes noires, et des femmes noires particulièrement ? Est-ce simplement le fait que les Nations Unies et la plupart des gouvernements sont dirigés par des hommes qui n’ont jamais su l’effet que cela fait d’être violé ?Les événements qui se déroulent au Congo constituent le cas de violence la plus sauvage et la plus débridée à l’égard des femmes dans le monde. Si la communauté internationale ne parvient pas à le maîtriser, si l’impunité totale continue de régner, cela crée un précédent, fait franchir partout un nouveau seuil dans les violences qu’il est permis d’infliger au corps des femmes au nom de l’exploitation et de l’avidité. C’est la guerre au rabais.
Les femmes au Congo sont parmi les femmes qui manifestent dans le monde le plus de force morale. Elles ont besoin de notre protection et de notre appui. Les gouvernements occidentaux, comme celui des États-Unis, devraient subventionner un programme destiné à former des agentes de police congolaises.Les gouvernements en question devraient se pencher sur leur rôle dans le pillage des minerais et exiger que les entreprises déterminent le parcours que ces derniers empruntent depuis leur origine. S’assurer qu’elles fabriquent et vendent des produits offrant toutes les garanties de respect du corps des femmes. Verser des fonds pour les soins médicaux et psychologiques des femmes, et promouvoir le renforcement de leur autonomie économique. Exercer des pressions sur le Rwanda, le Congo, l’Ouganda et d’autres pays de la région des Grands Lacs pour qu’ils s’assoient avec l’ensemble des milices impliquées dans le conflit afin de trouver une solution politique.
Chercher une solution militaire est devenu hors de question et n’entraînerait que plus de viols. Avant tout, nous devons venir en aide aux femmes. Parce que les femmes sont au cœur de l’horreur qui sévit, elles doivent être au cœur des solutions et des négociations de paix. Les femmes sont l’avenir du Congo. Elles sont sa plus grande ressource.
Malheureusement, nous ne sommes pas les premiers à témoigner des atrocités commises au Congo. Je ne suis que l’une des nombreuses personnes ayant défilé pour décrire cette horreur. Néanmoins, dans l’est du Congo, 1 100 femmes par mois sont violées, selon le tout dernier rapport des Nations Unies. Que fera le gouvernement des États-Unis, que ferez-vous, vous tous qui lisez les présentes lignes, pour arrêter cette horreur ?
Faisons du Congo le pays où nous aurons mis fin au féminicide, la tendance qui éventre désespérément la planète - de la flagellation au Pakistan aux nouvelles lois sur le viol en Afghanistan en passant par les viols fréquents en Haïti, au Darfour, au Zimbabwe et la maltraitance, l’inceste, le harcèlement, la traite, l’asservissement, la mutilation génitale, les crimes d’honneur au quotidien. Faisons du Congo le pays où les femmes seront enfin aimées et la vie, affirmée, où les femmes auront pris le contrôle légitime de leur corps et de leur pays.
Source : Version originale anglaise Source : « Commentary : War on women in Congo », CNN, May 18, 2009.
Traduction pour Sisyphe : France Dombrowski Contact pour Sisyphe. Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 juin 2009
P.S.
Lire également : Fémicide au Congo, par Élaine Audet.
Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3329 -